Cinquante-quatrième équipée

Débuter une nouvelle année, ce n’est pas toujours simple. Et puisque les gaulois comptaient par vingtaine, 2020 est une année gauloise. Oui, mais laquelle ? La bleue, sans filtre et caporal, la gauloise Maryland ? La gauloise blonde ? Cette dernière est une aberration marketing. La gauloise est brune, un point c’est tout. Elle a du corps, de la chair et ses volutes enrichiraient d’un bel effet le club de mes photographies de jazz toutes noires et blanches qu’elles sont. Bref, en ce 03 janvier 2020, écouter Jean-Louis Almosnino en trio au Hot Club de Lyon était une aubaine, de celles que l’on se souhaite pour continuer à bien vieillir en gardant le sourire avec du jazz de chez jazz, soit une musique finalement délivrée des outrages du temps ; et j’écris cela en écoutant Vic Juris, lui aussi hors de portée du temps assassin depuis le 31 décembre dernier.

Dans l’institution lyonnaise (depuis 1948), les trois musiciens étant du crû, un public convaincu mais hélas passablement clairsemé les attendait. Cela n’empêcha pas le trio d’embrayer avec une composition originale bluesy punchy avant de mêler par la suite standards et autres créations du guitariste et du contrebassiste. A ce point du récit, je m’aperçois qu’il est ardu de narrer un concert quand on connait les musiciens et plus particulièrement le guitariste. Je dirai seulement que ce dernier sait ce que swing veut dire et qu’il est doué d’un sens de la mélodie assez rare pour être signalé. J’ajouterai que dans son style, toutes influences digérées et sublimées au long d’un parcours sans compromission, il donne à ouïr une musique se renouvelant avec brio. Bien accompagné par un batteur précis, Charles Clayette, point trop bavard sur les fûts, et par un contrebassiste, Stéphane Rivero, à la rondeur ferme et tranquille, « Almos » sut donner en deux sets denses et dans un élan complice avec la salle de quoi tapoter du pied avec un irréfragable plaisir. L’ombre de Wes M. et de quelques autres flotta entre les lignes, de telle sorte que vous savez maintenant dans quelle esthétique jazzy je baignai pour ce premier concert de l’année nouvelle : mainstream décomplexée, comme ils disent, et fière de l’être. Ceci écrit, et pour votre gouverne, sachez que le 03 janvier 2003 a vu la naissance du poil à gratter suédois, je veux dire Greta Thunberg, celle qui démasque les vieux cons la honnissant en chœur et avec acharnement. Mais quand les faits énoncés sont avérés, les vieillards précités n’ont d’autre défense que de s’attaquer à la personne. Assez laid tout ça. Quoi qu’il en soit, elle est ce qu’elle est : une adolescente ayant compris le pouvoir des mots et de l’image, ce qui est fort intelligent et même estimable. Et s’il ne fait pas bon être jeune de nos jours, ce n’est pas seulement par les fautes de vieilles badernes dépassées, c’est aussi que la tempête arrive des douze coins du globe. Et ce n’est pas la petite suédoise qui à gratté les allumettes. On hérite la terre de nos enfants, disaient les amérindiens. Les nôtres nous montrent le chemin. Pourvu qu’ils écoutent encore du jazz dans cent ans : un bon vieux Grant Green ou un Dolphy de derrière les fagots. Histoire de ne pas oublier l’Histoire et de se laisser assez d’avenir pour improviser des vies humaines fécondes et souriantes.


Dans nos oreilles

Dexter Gordon - Swiss Nights


Devant nos yeux

Marguerite Duras - Des journées entières dans les arbres


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