Vive Jacques !

Même perdus de vue, ils vous tiennent lieu sinon de phare (même si certains continuent à vous éclairer) du moins de repères qui ont balisé une partie de votre chemin lorsqu’ils ne l’ont pas tout simplement créé. Jean Lou Rivière devenu homme de théâtre et décédé brutalement -comme on dit à juste titre- l’an passé a été de ces derniers. L’itinéraire personnel qu’on lui doit constitue une forme de dette - le fait est rare pour les dettes – dont on aime se souvenir. Quant à Jacques Coursil,notre ami trompettiste et « linguisticien » (c’est le nom que lui avait attribué, afin de le mettre en selle devant les étudiants, un autre Jacques, le maître des amphis caennais d’alors -avant de rejoindre la Sorbonne- , Jacques Seebacher, spécialiste de V.Hugo et professeur charismatique), quasi jeune premier venu de New-York (quoique né à Paris) dans les années 70, avec ses diplômes en avant et sa trompette en retrait, nous l’avons connu dans une fréquentation ordinaire, souvent le mercredi dans un restaurant tout aussi ordinaire en compagnie d’une amie commune Catherine.P. On peine à imaginer, à entendre la tannante complainte des temps présents, ces déjeuners extraordinaires passés à rire et dont le principal auteur et acteur était notre ami antillais. Ce rire, est devenu moins communicatif au fil des ans- m’a-t-il semblé. Il riait davantage pour lui- même, ponctuant ses phrases de ce rire qui indique que si on ne l’a pas compris, lui, si. En découvrant ces jours derniers son passage au Théâtre Berthellot en 2018, nous avons retrouvé cette même manière de ponctuer chaque confidence faite au public de ce rire pas forcément communicatif. Pas étonnant qu’il affectionnait le jeu en solo, dialoguant avant tout avec lui-même. Cette intériorité, dans ce cas, ne signifiait certainement pas, à ses yeux, repli sur soi tant il a revendiqué l’héritage de Frantz Fanon et les révoltes de ses pairs et des autres poètes. De la même manière, les pensées linguistiques qui surgissaient dans son esprit, telles des fusées, n’étaient pas forcément éclairantes, et pourtant, on retrouve cité dans toutes les articles qui lui sont consacrés des éloges sans nom : mais combien ont lu La fonction muette du langage paru en 2000 ? Et combien ont vu ou entendu le musicien et écouté Minimal Brass, enregistré en 2005 ?
Son unique ( ?) prestation soliste, donnée dans les environs de Caen (si on excepte un concert avec des musiciens caennais, en un lieu célèbre localement en son temps, La Grignotière), nous avait laissé perplexe, il l’avait bien compris. Il venait, il est vrai, de reprendre son instrument en plein milieu des concepts de Saussure (qui, lui aussi, entendait une musique intérieure !) et ses conceptions du langage nous semblaient bien hermétiques alors.
Clap de fin de l’épisode caennais : un poste universitaire l’attendait à la Martinique.
On le voit, ces quelques mots ou souvenirs ne sauraient tenir lieu d’article nécrologique. Ils concernent davantage l’ami musicien-universitaire que le trompettiste et le linguiste que nous connaissions trop peu. En outre, contrairement au personnage de Julien Davenne interprété par F. Truffaut dans son propre film La Chambre verte (1978), nous ne goûtons guère ce sous- genre littéraire. Cependant, ces quelques années où nous avons bien aimé Jacques et où il nous a bien amusés avec ses anecdotes et ses saillies mais aussi ses pensées parfois nébuleuses, il a bien ri en notre compagnie. D’un rire entendu comme il se doit.

PS : Marc Chonier propose sur son site un film « Photogrammes » de Guillaume Dero réalisé en 2010 dans le cadre de Banlieues Bleues où l’on peut voir en concert, à la suite d’une Résidence, le trompettiste en quartette en compagnie de jeunes musiciens, avant une improbable prestation chez un libraire-disquaire Soufflecontinu avec, à ses côtés, Archie Shepp.