Pour bien débuter cet automne 2021, il fallait se rendre à Port-Bail-sur-Mer, dans le Cotentin.
Les Arches en Jazz, ainsi s’intitule un événement tout neuf qui met en valeur des couleurs singulières du jazz sans tambours ni trompettes, loin des clichés, avec finesse et sensibilité.
Belle aubaine donc au sortir d’une longue période de létargie culturelle. Initiative courageuse également de placer ce festival (terme galvaudé !) après la pleine période touristique. Le jazz, dans sa diversité, peut hisser les voiles et caboter librement dans le hâvre de l’Olonde, modeste fleuve qui vient ici se joindre à la mer en se faufilant dans les herbus à marée basse pour mieux les envahir à marée haute.

La mer passe sous les 13 arches du pont ce midi-là, scintillante pour faire écho au bleu azur du ciel normand. L’ancienne église Notre-Dame dresse son robuste clocher fortifié au bord du marais comme un défi aux éléments.
Les spectateurs jazzophiles ou simplement curieux profitent du soleil avant d’entrer dans l’église où les attend le duo Franck Tortiller - Misja Fitzgerald-Michel. L’entrée est libre (mais le passe sanitaire est de rigueur), entrons donc !

Les Arches en Jazz 2021
Les Arches en Jazz 2021
Yves Rousseau dans l’église Notre-Dame de Port-Bail-sur-Mer - 25 septembre 2021
@ Christian Ducasse

Yves Rousseau a laissé sa contrebasse au repos durant ce festival. Il est ici dans son rôle de co-organisateur largement en charge de la direction artistique [1]. Constatant que l’église s’est vite emplie de fidèles du jazz mais aussi de curieux plus ou moins initiés, il arbore un large sourire... Ces concerts sont à entrée libre mais le public s’est montré très respectueux des musiciens et a été vite conquis par la musique...

Port-Bail-Sur-Mer - Samedi 25 septembre 2021 - 12 heures

  Franck Tortiller & Misja Fitzgerald-Michel

Les Arches en Jazz 2021
Les Arches en Jazz 2021
Misja Fitzgerald-Michel & Franck Tortiller - Port-Bail-sur-Mer - 25 septembre 2021
@ Christian Ducasse

Franck Tortiller revient sur des terres normandes qu’il affectionne. Fier d’être bourguignon, c’est un ambassadeur convaincant de sa région qu’il fait rayonner à travers sa musique. Depuis quelques temps (et un disque, Les heures propices en hommage à Lamartine, autre bourguignon !), il a noué un dialogue fructueux avec le guitariste Misja Fitzgerald-Michel. Tous les deux cultivent un côté vieux-jeu : ils aiment les musiques de la fin du siècle dernier ! Le folk, la pop, le jazz aussi. On ne les blâmera pas, bien au contraire. Au menu ce midi-là, des compositions originales mais aussi du guitariste autrichien Harry Pepl, du saxophoniste amérindien Jim Pepper, de David Crosby mais aussi de Thelonious Monk. Le son du vibraphone emplit la voûte de l’église, intimement lié au jeu en accords et aux envolées solistes de Misja Fitzgerald-Michel. La musique emplit l’espace et pourtant, ils ne sont que deux dans une formule acoustique !
Après les avoir écoutés à Rambaud, village des Hautes-Alpes [2] arrosé par un orage sévère le 31 juillet, ce fut un grand plaisir de les retrouver dans la clarté de la lumière de cette église par un midi fort ensoleillé.

Port-Bail-Sur-Mer - Samedi 25 septembre 2021 - 15 heures

  Julia Robin solo

Les Arches en Jazz 2021
Les Arches en Jazz 2021
Julia Robin - église Notre-Dame de Port-Bail-sur-Mer - 25 septembre 2021
@ Christian Ducasse

Julia Robin est bordelaise. Musicienne à la formation et à la pratique instrumentale plutôt classique, également diplômée de philosophie, elle s’est passionnée pour la musique et l’incroyable parcours de vie de Joni Mitchell. Seule avec sa contrebasse dans le chœur de la petite église, elle cartographie un cheminement à travers le répertoire de la guitariste, chanteuse, plasticienne canadienne qui a laissé une empreinte inaltérable sur la musique nord-américaine depuis la fin des années 60. Avec une grande sensibilité, une belle simplicité, Julia Robin transmet sa passion pour cette musique intemporelle qui s’accomode fort bien d’une formule minimaliste alliant la profondeur des graves de l’instrument et le grain de la voix très naturelle. On se laisse cheminer avec bonheur en sa compagnie sur les traces de Joni Michell. On concluera avec une pointe d’émotion toute particulière lorsqu’elle reprend pour le rappel et pour la première fois, dit-elle, la célèbre The Circle Game. Une des plus belles interprétations que j’aie entendu depuis l’excellente reprise imaginée par Raphaël Imbert (Music Is My Hope), bien moins emphatique que ce qu’en a fait Joni Michell sur l’album très symphonique Travelogue (2002).

Les Arches en Jazz 2021
Les Arches en Jazz 2021
Julia Robin - église de Port-Bail-sur-Mer - 25 septembre 2021
© Christian Ducasse

Un festival sans tambours ni trompettes, disais-je... Après le duo Tortiller - Fitzgerald-Michel et le solo de Julia Robin, il restait un peu de temps pour profiter de ce bel après-midi avant de prendre la direction de Saint-Lô-D’Ourville, commune voisine où avait lieu le concert du soir avac une formation tout aussi atypique !

Merci à Christian Ducasse pour les photos ci-dessus !


Samedi 25 septembre - Saint-Lô-D’Ourville - 20 heures

  Entre les terres : François Corneloup, Catherine Delaunay, Jacky Molard, Vincent Courtois

19 heures 30 : Yves Rousseau est un peu tendu et se demande si le public sera assez nombreux à ce rendez-vous du soir pour envisager l’avenir de la manifestation. Les concerts à entrée-libre ont été des réussites mais il faut aussi des recettes de trésorerie !
20 heures  : André Cayot, son complice dans l’équipe de pilotage du festival, transporte des chaises. C’est bon signe ! L’ex-Monsieur musiques actuelles au Ministère de la Culture découvre les joies de l’organisation matérielle d’urgence pour permettre aux nombreux spectateurs de prendre place.

Les Arches en Jazz 2021
Les Arches en Jazz 2021
Catherine Delaunay, Jacky Molard, Vincent Courtois & François Corneloup - Saint-Lô-D’Ourville (Manche) - 25 septembre 2021.
© Thierry Giard

"Entre les Terres". Ainsi s’intitule la formation réunie par le saxophoniste baryton François Corneloup et le violoniste Jacky Molard. Tous les deux se connaissent bien par l’entremise de la contrebassiste Hélène Labarrière dans (et autour de) cette formidable fabrique de culture en milieu rural qu’est La Grande Boutique à Langonnet, dans le Morbihan. La disposition scénique évoque plus un quatuor classique qu’un quartet de jazz et c’est bien normal car la musique est totalement inclassable, au carrefour des cultures du monde, des musiques savantes et des danses primitives revisitées. Rien d’étonnant alors qu’ils aient choisi pour complices la clarinettiste (merveilleuse de finesse et de créativité) Catherine Delaunay et notre violoncelliste de référence, Vincent Courtois.
Oui, la musique peut vivre sa vie librement entre écriture (ou mémoire absolue pour Jacky Molard qui se passe de partition) et improvisation. En voici une fois de plus la preuve avec ce concert qui rassemble tout ce qui fait l’esprit et la profondeur du jazz sans jamais ressembler à du jazz, sans section rythmique ni instrument harmonique. Et pourtant cette musique est basée sur un tourbillon de rythmes et d’harmonies sans cesse en mouvement dans les rôles attribués aux instruments. Cordes pizzicato, boucles mélodiques profondes du baryton, envolées de clarinette, jeux de timbres et de couleurs chaudes et subtiles. Entre ces terres-là, se dessine un univers d’une grande singularité. J’ai souvent pensé à Stravinsky, à ses collages et superpositions de voix mais cette pensée est aussitôt remplacée par une autre : la transe d’un fest-noz endiablé, une ambiance sombre dans un marais brumeux, un monde inexploré, une autre terre entre les terres... Tous les musiciens témoignent d’une sensibilité remarquable mais on ne peut que donner un grand coup de chapeau à Jacky Molard qui synthétise admirablement les cultures populaires pour les élever au rang de musiques inventives, presque expérimentales, sans aucun hermétisme.
Applaudissements nourris pour saluer une prestation qui a conquis le public ce soir-là. Une musique curieuse pour auditeurs et programmateurs curieux.
Prenant la parole en fin de concert, François Corneloup a mentionné que Entre Les terres avait pu se produire en France à quatre reprises au cours du mois, ce qui n’est pas mal du tout. Il note cependant que chacun de ces concerts relevait du choix artistique d’un musicien-programmateur : trois contrebassistes [3] et un batteur [4]... Que peut-on en conclure... ?
Réponse en 2022 ?


[1Les autres membres fondateurs et animateurs de l’événement sont André Cayot, ex-conseiller aux musiques actuelles pour le Ministère de la Culture, Sébastian Danchin écrivain, producteur de musique et François Rousseau, le frère d’Yves, maire de cette commune de Port-Bail-sur-Mer depuis 2020... et une solide équipe de bénévoles comme il se doit ! Organisé par l’association Jazz et Musiques en Cotentin.

[2...dans le cadre du Festival de Chaillol, événement tout aussi exemplaire pour l’implantation de la culture en milieu rural montagnard.

[3Philippe Laccarrière -festival Au Sud Du Nord / Essonne-, Claude Tchamitchian -festival Les Émouvantes / Marseille et Yves Rousseau pour Arches en Jazz.

[4Bruno Tocanne pour Jazz à Trois Palis, en Charente.