L.U.M.E. (Lisbon Underground Music Ensemble) - Théâtre de Coutances, jeudi 26 mai 2022, 16 heures (festival Jazz sous les pommiers)

Marco Barroso : composition, direction, piano
Manuel Luis Cochofel : flûte
Paulo Bernardino : clarinette
Joao Pedro Silva : saxophone soprano
Tomás Marques : saxophone alto
Gonçalo Prazeres : saxophone ténor
Gabriela Figueiredo : saxophone baryton
Gileno Santana, Jéssica Pina, João Silva : trompettes
Ruben da Luz, Eduardo Lala, Mario Vicente : trombones
Miguel Amado : basse
Vini Baschera : batterie

LUME -Lisbon Underground Music Ensemble- à Coutances

Alerte ! Un équipage étranger inconnu sur les listes des déjà-venus est entré dans l’eau du bocal du jazz franco-français. Ils sont quinze et avancent sous un nom de code étrange (étranges étrangers décidément !) L.U.M.E.... Alors nous, chez CultureJazz, on se réjouit d’une telle audace mais, en sortant les jumelles, on voit que ce sous-marin vert et rouge arbore un pavillon "saison Portugal-France 2022". L’opération est pilotée en haut lieu : le risque est donc limité de diffuser des musiques trop sauvages.

L.U.M.E. (né en 2006, quand même), pourrait être à la ville de Lisbonne ce que le Vienna Art Orchestra était à Vienne (Autriche). Surtout pas l’orchestre officiel de la ville mais un ensemble qui fédère des énergies locales éclectiques en inventant une musique de son temps. Raison supplémentaire pour que je choisisse ce concert, le Lisbon Underground Music Ensemble n’était pas repéré par nos radars. Alors j’ai sorti le périscope pour apercevoir l’excellent label lisboète Clean Feed comme éditeur de ses deux derniers albums. Entrer au catalogue de ce label curieux, tenace et courageux est un signe de créativité qui ne peut que nous inciter à ouvrir grandes nos écoutilles (lire Jean Buzelin en 2008 !).

Nous voilà donc bien installés dans le théâtre de Coutances pour découvrir en live l’orchestre que pilote le pianiste compositeur et arrangeur Marco Barroso. Sans surprise, c’est "Las Californias" le dernier programme de l’ensemble (et dernier album en date) qui sera servi cet après-midi là.

Marco Barroso
LUME -Lisbon Underground Music Ensemble- à Coutances

Voilà un orchestre qui pète le feu (lume en portugais) pour faire briller l’imagination débordante du compositeur. Cependant, contrairement à ce qui se pratique souvent dans les "grands formats" contemporains [1], Marco Barroso a choisi de se restreindre au strict format du big-band dans la tradition du jazz. Pas de cordes, de percussions, d’électronique (juste une tablette récalcitrante), trois trompettes, trois trombones, quatre échelons de la famille des saxophones, du baryton au soprano, une clarinette, une flûte puis une basse, une batterie et le piano. Aucun instrumentiste ne "double" sur un second instrument si on excepte le clavier annexe de Barroso. La contrainte est alors une des composantes de la créativité et elle nécessite d’immenses qualités pour que l’orchestre relève le défi de pièces tordues, complexes, vives et souvent explosives. Si on devait situer Marco Barroso, il serait quelque part entre Django Bates pour la folle complexité et John Hollenbeck pour la rigueur rythmique bouillonnante.
"Las Californias" pourrait être la bande son d’un film de Terry Gilliam. Marco Barroso, meilleur musicien que présentateur de son travail (l’obstacle de la langue le perturbe...) présente ses compositions en faisant souvent référence à des images, à des situations de la vie... La composition éponyme nous transporte dans un désert californien plein d’embûches écrasé de soleil. La suite "radiophonique" AM Phantasies est basée sur six séquences comme une dérapage incontrôlé sur une bande FM, un télescopage du jazz d’autrefois et de sons parasites. Bugalu est évidemment très dansante, quasi-disco, mais derrière une rythmique des plus carrées se cachent des subtilités harmoniques propices à des envolées solistes échevelées (il est fou l’alto !)...

LUME -Lisbon Underground Music Ensemble- à Coutances
© Sébastien Toulorge

Cette musique que certains trouvent innovante ou surprenante est largement redevable du travail initié par des compositeurs du siècle passé. Il y a du Charles Ives dans les superpositions de thèmes disparates (Cleptophonie Fantastique), du Stavinsky (Le Sacre...) dans l’hypnotique Shroomdinger et probablement aussi du Frank Zappa dans l’association d’une écriture complexe et de rythmiques empruntées au rock et aux musiques populaires. Cependant, on ne réduira pas ce concert à l’interprétation de compositions élaborées puisque l’improvisation a aussi largement sa place. Les solistes peuvent donner libre cours à leur imagination sans entraves et souvent hors des grilles comme ce solo de soprano de João Pedro Silva qui sonnait comme un clin d’œil à Evan Parker ou Roscoe Mitchell...
Il faut une base solide pour qu’un tel édifice tienne debout sans flancher. On saluera chapeau bas l’impressionnante prestation du bassiste (six cordes) Miguel Amado et du batteur costaud Vini Baschera qui pourrait rivaliser avec notre Éric Échampard national dans l’autorité rythmique.
Quand arrive l’ultime note, il faut se résoudre à laisser repartir cet équipage portugais qui aura brillé par sa cohésion, son inventivité et l’énergie que dégage cette musique. Il fallait pour cela le talent d’un compositeur orfèvre qui a su tirer profit de sa vaste culture musicale pour ciseler des compositions qui proposent des formes et des couleurs originales dans un cadre orchestral somme toute conventionnel. Beau travail pour notre bonheur d’auditeurs curieux. On applaudit chaleureusement, évidemment.


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Écoutez l’album "Las Californias" et... n’hésitez pas à acheter (pour que vive cette musique) !
Clean Feed records - 2021 / distribution Orkhêstra

[1LUME est affilié à la fédération des Grands Formats, grandes formations de jazz en Europe.