Concert littéraire

Au milieu du dispositif du lieu resté en place depuis l’épisode « L’atelier du plateau fait son cirque » en octobre dernier, les artistes s’installent en quasi cercle les uns vers les autres sans porter leur regard vers le public, public occupant les deux volées de gradins. Projetée sur le mur, prise par Guy Le Querrec en 1978, inspiratrice de ce concert, la photo « Noces à Auray ». Ils sont cinq pour en déplier les possibles : François Corneloup compositions, sax baryton et soprano, Sophia Domancich Fender Rhodes, Jacky Molard violon, Joachim Florent contrebasse et Anne Alvaro voix. Une pièce orchestrale ouvre le concert, tempo moyen lent, comme chuchotée et empreinte de la fatigue d’une nuit blanche, avec déjà, sur fond de l’inimitable son du Fender Rhodes et du toucher aérien de Domancich, le violon dont le son évoque plinn, gavotte, an-dro et autre laridé. À peine deux secondes de silence avant de passer en mode tonique et d’inviter et la voix d’Anne Alvaro et le texte vigoureux, intense et robuste de Jean Rochard. Qui bien sûr, boosté par cette photo de mariage, a tout d’une fresque qui explore le temps qui passe, le désir, le cycle des saisons, ce baiser-là des mariés et la vie au large d’Auray et de ce moment singulier. Très vite, l’auditeur doit trancher : écouter le texte tout de suite entendu déjà évanoui ? La musique ? Les deux ? Dilemme permanent même si la voix et le texte enflent peu à peu ; Alvaro s’anime, gesticule, s’emporte. Il y aura un tableau lent, grave, méditatif ( la contrebasse à l’archet, a capella ) et puis, le violon « celtico-bretonnant » pour une danse où, échappant à la pesanteur, chacun garde un pied en l’air ; un clin d’oeil au désastre écolo-industriel déjà patent en 1978 (« la marée était en noir : Amoco Cadiz »). Peu à peu, l’intensité croit, le texte, la noce, il est question de scat, de clic et de clac, c’est vif, pêchu, enlevé avant le bal façon fest noz : une danse serpentine, le soprano lancé dans un très très gros solo volubile, enthousiaste, habité. La voix cesse, tout a été dit, le baryton a capella soliloque sans tempo, sans pulsation, libre ; rien que la musique, tendre, délicate, gentille ; et tout de même, rejoint par les deux cordes, il se laisse aller jusqu’à une (brève) furie paroxystique et, d’un seul coup d’un seul, c’est fini. Silence de tous et toutes, puis un gloussement, un rire, une détente collective, une inspiration profonde et les applaudissements nourris. On s’aperçoit alors que nul applaudissement, nul gratouillis de gorge, nul raclement de chaise n’ont marqué les transitions d’un tableau à l’autre : totale tension-attention, silence de crypte, écoute phénoménale tout du long.
Grand plaisir, gros succès.


Atelier du Plateau - Rue du Plateau, 75020 PARIS
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