Samedi 27 janvier 2024

Je ne recule devant rien. L’autre samedi, j’ai dérogé à une règle qui s’est insidieusement fixée malgré moi au fil du temps : j’ai assisté aux balances avec mon appareil photographique. Et pourquoi cela ? Parce qu’au théâtre de Mâcon, l’espace entre le premier rang et la scène est si étroit que les spectateurs auraient été dérangés par mon travail. Ensuite, une grande formation avec quatorze pupitres et autant de musiciens assis, visuellement, c’est délicat et presque moche. Impatient d’écouter la version de Christophe Del Sasso de l’Africa/Brass du Père John, j’assistai dès vingt heures à la première partie avec le quintet de Célia Kameni, figure montante du chant hexagonal. De jazz dans ses chansons, il y eut assez peu. Je fus là en présence d’un quintet au son travaillé interprétant des titres, en anglais comme en français, proches d’une pop music soft, avec sur un morceau ou deux quelques réminiscences « chanson française rive gauche ». Ce ne fut pas désagréable en soi (mais de mon point de vue pas transcendant non plus) car la chanteuse possède un beau grain de voix et qu’elle était soutenue par des musiciens très affûtés. Entracte.

Peu de big-bang(s) existent en France et je ne boudai pas mon plaisir d’en choper un dans les pavillons, surtout quand il a l’idée de se confronter à un must du passé qui demande d’avoir des tripes et une formation au taquet. Quelques remplaçants de luxe s’étaient invités, Simon Goubert en lieu et place de Karl Jannuska, Pierrick Pédron prit lui le pupitre de Géraldine Laurent et Eric Legnini le clavier de Pierre De Bethmann, entres autres. Tout alla pour le mieux et, dès le premier morceau (Tunji), David El Malek dynamita la salle avec un solo incendiaire que la figure tutélaire planant au dessus d’eux n’aurait pas renié. Suivirent ensuite les trois titres du disque de 1961 et un rappel. Pierrick Pédron à l’alto tint son rang avec vigueur et inventivité, tout comme Sophie Alour au ténor avec son jeu élégamment serein. D’autres musiciens eurent de beaux soli à offrir mais je ne suis pas là pour faire un catalogue, n’est-ce pas. Si je regrettai qu’en front de scène le piano fut un peu noyé dans la masse sonore, je pris grand plaisir à vivre le moment face à une formation parfaitement huilée, puissante et légère à la fois, finement dévastatrice si nécessaire, proche de l’original sans le singer et capable pour tout dire d’exister par elle-même dans toute sa complexité. La faute ( ?!) à Christophe Del Sasso bien sûr dont le travail d’arrangement sur ce graal démontre une science musicale confondante lié à un amour inconditionnel du jazz coltranien. Il nous avait déjà fait le coup avec « A love supreme » et je ne m’en étais pas plaint. L’idée de l’hommage n’étant pas toujours considérée, certain voit là un manque de créativité, je trouvai quant à moi que celui-ci était foutrement bien fait et qu’il fut allègrement interprété par des musiciens complices. Le tout un 27 janvier, jour qui vit naître en 1756 Wolfgang Amadeus (encore un type dont on reprend les œuvres sans cesse) ou encore l’excentrique Beatrice Hastings (1879-1943), poétesse et amante de Katherine Mansfield avant de devenir, au gré d’une relation aussi explosive que libidineuse, une source d’inspiration majeure pour Modigliani qui fit son portrait à de multiples reprises et quelques nus pour faire bonne mesure. Le lien avec Coltrane, le Dal Sasso Big band ou le jazz ? La liberté créative, bordel ! Vous savez, ce truc bizarre que l’époque tente de formater afin qu’il soit acceptable en toute circonstance et qui produit dans les médias des tonnes insipides de merde qui donne envie de déménager dans un trou noir.


Célia Kameni : chant
Juliette Serrad : violoncelle
Giani Caserotto : guitare
Thibault Gomez : piano, synthé bass
Julien Loutelier : batterie


Christophe Dal Sasso : flûtes, direction, arrangements
David El-Malek : saxophone ténor
Pierrick Pedron : saxophone alto
Sophie Alour : saxophone ténor, flûte
Dominique Mandin : saxophone alto, soprano, flûtes
Thomas Savy : saxophone baryton, clarinettes
Julien Alour, Nicolas Folmer : trompette
Jerry Edwards, Denis Leloup : trombone
Eric Legnini : piano
Manuel Marches : contrebasse
Simon Goubert : batterie
Andy Bérald Cetelo : tambour K


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