samedi 10 février

Il m’arrive de penser que je suis bizarre, voire câblé de travers. Étant depuis toujours plus proche d’Ornette Coleman que de Bix Beiderbecke, j’osai l’autre soir faire un tour au Crescent afin d’écouter les Oracles du phono. Or ce sextet ne jouant que le jazz des années vingt, trente et quarante (grand maximum), que faisais-je donc là ? Il doit y avoir en moi un soupçon de curiosité qui, le temps passant, perdure encore ; à moins que ce soit juste une once de masochisme (j’en doute sérieusement). Toujours fut-il que ce groupe, Les oracles du phono, changea l’atmosphère du club. Avec un saxophone basse en lieu et place des cordes frottées de la grand-mère, un banjo (assez rare de nos jours), une trompette, un trombone, un saxophone partageant son pupitre avec une clarinette et un batteur, ils firent revivre l’époque quasi centenaire où le jazz était une musique de danse et, aussi étonnant que cela pût paraître, quelques couples de danseurs en profitèrent pour se faire plaisir. Un titre du Bix précité, un autre du Duke, un petit coup de Fletcher Henderson, liste non-exhaustive, cela fut suffisant pour enchanter dès le début du premier set un auditoire qui était très majoritairement convaincu d’avance. J’avoue volontiers que les membres du sextet étaient musicalement de sacré lascars et qu’ils maîtrisèrent à la perfection ce genre de jazz ; chaque solo fut carré de chez carré, les enchaînements glissèrent comme une lettre à la poste et les chorus tournèrent avec une précision suisse. Une chose est certaine, eux aussi furent heureux d’être là et bien accueillis. Comme en sus le leader donna quelques explications historiques entre les morceaux, sans se prendre au sérieux, l’ambiance fut au beau fixe, tout le contraire de la journée pluvieuse de merde que nous connûmes en ce 10 février qui vit naître Chick Webb (1905-1939), autre pionner de cette époque ancienne ; à titre indicatif, c’est dans l’orchestre de ce dernier que débuta Ella Fitzgerald en 1935. C’est également le jour où mourut Buddy Tate (1913-2001) ténor qui débuta chez Andy Kirk (1898-1992) (il y avait dans son orchestre Mary Lou Williams, Don Byas, Howard McGhee, Fats Navarro) avant de passer chez Ellington en 1939 et dont l’instrument de prédilection était le saxophone basse… et la boucle est bouclée. En toute franchise, un set me suffit. En ces temps de repli identitaire où les campagnes croulent sous les associations de danse country (trumpienne ?) et les églises évangéliques (dangereuses), je préférai le retour automobile vers mon futur habité en écoutant « Tomorrow is the question !  », un truc avant-gardiste de 1959 que Bix n’avait pas imaginé et que Panassié adorait en cachette, entre les draps en fumant de l’opium bien sûr. (?)


Nicolas Fourgeux : saxophone alto, clarinette
Michel Bonnet : trompette
Benoît de Flamesnil : trombone
Félix Hunot : banjo
Nicolas Montier : saxophone basse
Germain Cornet : batterie