Vendredi 19 avril 2024

Je n’étais pas retourné à l’AMR de Genève depuis quelques années. Allez savoir pourquoi et donnez-moi la réponse… Toujours est-il que le duo de Maria Grand et Marta Sánchez étant annoncées là-bas, c’était plus prêt de chez moi que Paris où elles jouaient le lendemain. Et comme le disque m’avait un peu renversé, j’étais donc dans l’attente d’une confirmation. Et confirmation il y eut, aussi claire qu’une eau de source. Un duo qui fonctionne est constitué de deux entités fortes qui s’entendent pour faire un bout de chemin musical ensemble ; elles sont capables de se lier l’une à l’autre sans jamais renier leurs individualités respectives et la somme ainsi réalisée brille des talents réunis. Avec ces deux musiciennes, cette évidence apparut dès les premières notes. Entre écriture et improvisation, elles développèrent avec une saine audace une vision de la musique sans frontière que la banalité déteste, une vision faite de liberté sans filtre, à fleur de peau (jusqu’à la déchirure) et ouverte sur les questions bien plus que sur les réponses. Que ce fut au chant ou au saxophone, Maria Grand démontra que la rigueur conceptuelle avant-gardiste peut se doubler de poésie sensible. De son côté, Marta Sánchez en fit autant avec un jeu d’une clarté et d’une limpidité tout à fait stupéfiantes. Ensemble et en un set, elles construisirent une citadelle sonore à l’architecture dépouillée, le cœur à la fenêtre afin de mieux déverser l’émotion sur un auditoire conquis, certes, mais un peu trop clairsemé à mon goût. Il en va hélas ainsi de celles et ceux qui osent s’aventurer dans l’intime par des chemins rugueux sans en nier les authentiques difficultés, quitte à surprendre l’oreille. Cela ne fait pas bon ménage avec notre époque qui aime à se vautrer dans la certitude, le truisme et le cliché, et qui dénie à l’inconnu sa valeur première d’ouverture sur tous les possibles. Ceci posé, qui oserait reprocher à de jeunes musiciennes brillantes et complices d’expérimenter les ressorts de l’humain avec exigence ? Pas moi. Et puis laissez-moi vous dire que les limites n’existent que pour satisfaire les pétochards et les couards amateurs inconditionnels de couplets, de refrains et surtout de rien d’autres. Ce fut donc un beau 19 avril en terre suisse, jour qui vit hélas disparaître en 2005, aussi subitement que précocement, le contrebassiste Niels Henning Ørsted Pedersen. C’était un homme gentil et un gentilhomme. Pour compenser, je vous signale que c’est également le jour de naissance du Facteur Cheval (1836-1924) qui, en matière de limite, n’en avait aucune. Heureux homme.


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