D’une manière générale, ne faisant que rarement des interviews et le plus souvent au dernier moment, les questions que je pose proviennent d’un joyeux foutoir (mon cerveau) qui porte la marque du jazz : l’improvisation. Ce fut le cas pour cet entretien avec Melissa Weikart à l’issue de son concert, le 07 avril dernier à Roanne dans le cadre du festival Jazz en Avril.

Culture Jazz : Vous êtes programmée sur les scènes jazz. Vous considérez-vous spécifiquement comme une musicienne de jazz ou juste comme une musicienne ?

Melissa Weikart : C’est une bonne question ! Je suis véritablement inspirée et influencée par le jazz, mais les chansons que je compose sont une sorte de mélange des genres, un croisement. J’ai un parcours de piano classique et j’ai été très marquée par les impressionnistes français, mais Duke Ellington est également une référence qui les rejoint, notamment dans ses harmonies. Je considère cependant que je fais des chansons pop.

CJ : Sur scène, quelle place laissez-vous à l’improvisation ?

MW  : C’est majoritairement dans les transitions, au piano. Il m’arrive cependant d’improviser à la marge, de manière infime, dans mon chant. Mais mes compositions ne sont pas principalement axées là-dessus.

CJ : Quelles sont les chanteuses qui vous inspirent ? Jeanne Lee ?

MW  : Oui absolument. C’est une grande inspiration pour moi, notamment ses magnifiques duos. Mais c’est logique puisque l’un de mes professeurs était Ran Blake ! Je suis aussi influencée par Nina Simone. J’adore Björk et bien sûr Billie Holiday que j’ai beaucoup écoutée, sans oublier des chanteuses indés plus contemporaines, comme Mitski, Weyes Blood, et Caroline Polachek.

CJ : Billie holiday, c’est une évidence...

MW  : Oui, mais ça dépend, il y a des personnes qui ont plus d’affinité pour Sarah Vaughan ou Ella Fitzgerald par exemple. Ceci dit, elles sont toutes fantastiques.

CJ : Et si je dis Chet Baker ?

MW : Oui ! J’ai beaucoup écouté dans le passé son album Chet Baker sings. Là, ça revient et j’ai une grande envie de chanter dans un registre plus grave. Parmi les ancien(ne)s je suis très inspirée par Mary Lou Williams. En dehors du jazz, il y a les impressionnistes français, Debussy, Satie…

CJ : j’allais vous demander : Debussy ou Satie ?!

MW  : Debussy, oui, car je l’ai beaucoup joué quand j’étais élève mais j’adore aussi Satie. Certains lieder de Schumann m’ont également marquée.

CJ : Vous avez un projet de DJ à côté. Comment se fait-il que vous ne soyez programmée que sur des scènes jazz ?

MW  : Les scènes de DJ, c’est vraiment un à-côté, parce que J’apprécie d’entremêler les chansons que j’aime bien, mais mon projet principal, c’est ce que j’ai fait ce soir et j’écris ce type de chansons depuis environ six ans. J’ai également un autre projet : un duo de musique électronique qui s’appelle Biêm, avant c’était Beatrice Melissa. De fait, quand je suis arrivée à Strasbourg, j’ai vécu mes 26 premières années aux États-Unis, il y avait un appel à candidature pour un festival de jazz qui se montait, fait par la Sturm Productions, qui cherchait des voix féminines inspirées par le jazz. J’ai été programmée et cela m’a ouvert les portes de ce réseau. Je suis depuis passée à Nancy Jazz Pulsations, à La Défense, de belles scènes dans de beaux cadres, mais il est clair que je ne suis pas strictement une musicienne de jazz.

CJ : Ce n’est pas important en soi. Wayne Shorter disait que le jazz est plus un état d’esprit qu’un genre musical...

MW  : oui, absolument, et je revendique cela.

CJ : Arrivez-vous à tourner en dehors de France ?

MW  : Oui, un petit peu. Hier, j’étais à Brescia, à la Grande Notte Del Jazz. C’était ma première fois en Italie. J’ai fait un concert à Zurich… Cet été, je suis programmée au Biarritz Piano Festival. C’est en France mais je suis très heureuse d’y aller. Cela me correspond bien.

CJ : Avez-vous envie à l’avenir de jouer avec des formations plus larges ?

MW  : A ce jour, j’ai fait deux concerts en trio. Dans mon prochain album qui devrait sortir début 2025, il y a des arrangements, des productions, qui vont dans ce sens, avec des synthés, de la basse, de la batterie. Mais cela restera néanmoins minimaliste car je souhaite préserver ce noyau piano/voix. Ces temps-ci, je suis en pleine exploration. Cela prend du temps mais j’ai envie de prendre mon temps.

CJ : Je vous verrais bien avec un(e) saxophoniste…

MW  : Cela pourrait être intéressant. D’ailleurs, on me l’a déjà dit. Mais il y a tellement de directions possibles ! J’aime aussi les cordes. Quand j’étais enfant, j’ai fait du violon et cela m’intéresse encore aujourd’hui d’écrire des arrangements pour les cordes : et j’aime aussi les cuivres, les big bands, mais pour l’instant je vais plus vers une pop un peu expérimentale.

CJ : Est-ce difficile d’être originale ?

MW  : Oui, dans tous les domaines. Mais est-ce toujours le but ? Je ne sais pas.

CJ : Votre disque, Here, There, l’avez-vous conçu de manière conceptuelle ?

MW  : Non. C’est un ensemble de chansons écrites, plus ou moins récentes, que j’ai assemblées en me souciant seulement de l’ordre. Mon prochain album sera plus conceptuel. J’ai envie de développer une histoire, de faire une narration plus élaborée.

CJ : qu’est-ce qui a motivé votre venue en France ?

MW  : Au moment du premier confinement, j’étais à San Francisco où je composais pour une compagnie de danse contemporaine et tout a été annulé. Je suis retourné à Boston et, comme je n’avais pas d’attache, j’ai décidé de venir en Europe car c’est une idée qui était en moi depuis longtemps. Aussi, aujourd’hui, j’ai le statut d’intermittent, il n’existe pas au USA, et même si cela reste précaire, cela donne une stabilité certaine au métier. Je donne aussi des cours chaque semaine et j’aime ça car la notion de partage est importante pour moi. Cela me permet aussi de rester connectée à la réalité, d’avoir une forme de rigueur, et de ne pas m’enfermer dans ma bulle de créativité.

Propos recueillis par Yves Dorison


https://www.melissaweikart.com/fr