Ces disques ont atterri chez moi, certains depuis de longs mois, et n’en sont pas repartis. Mais mes occupations (largement musicales) ne m’ont pas permis jusqu’à maintenant de les faire s’envoler vers les lecteurs grâce à quelques informations. Pour la plupart de grande qualité, ils font enfin l’objet d’une visite qui, nous l’espérons malgré sa brièveté, sera bien reçue
Notre tour du monde musical partira de la Suisse, le plus petit pays par la superficie mais l’un des plus importants par la place qu’il occupe, tant sur la scène locale qu’internationale, pour se poursuivre en Europe, puis en Amérique et en Océanie avant de se terminer par le plus grand des continents, l’Asie. De là, nous poserons nos valises en France.


  Clemens Kuratle

CLEMENS KURATLE YDIVIDE . The Default, Intakt records, Suisse, 2025
CLEMENS KURATLE YDIVIDE . The Default

Embarquons avec Intakt et le second disque du jeune batteur Clemens Kuratle (né en 1991) et de son quintette international Ydivide (un saxophoniste et un pianiste anglais, un guitariste irlandais, un bassiste et un batteur suisses). Sept compositions personnelles fort bien écrites font l’objet de ce disque soigné ; un jazz également international et bien dans l’air du temps. Une musique tonale, construite et ouverte servie par d’excellents musiciens.


  Pilgrim

CHRISTOPH IRNIGER PILGRIM . Human Intelligence (live), label Intakt records, Suisse, 2025
CHRISTOPH IRNIGER PILGRIM . Human Intelligence (live)

Formation absolument identique pour un ensemble qui a déjà de la bouteille et que nous connaissons bien. C’est le cinquième disque chez Intakt du groupe Pilgrim, fondé en 2010 par le saxophoniste Christoph Irniger (sans compter ses trois disques en trio), et cela se sent immédiatement : expérience (30 concerts par an dont celui qui fait l’objet de ce disque), force, écoute réciproque tout en restant dans un contexte “global” (préparé, cohérent) en ce sens que les cinq musiciens dialoguent à l’intérieur du groupe et des neuf compositions personnelles ; unité et liberté comme l’écrit Kevin Le Gendre dans le livret. Au milieu de ces musiciens de premier ordre, le guitariste Dave Gisler se montre particulièrement en son avantage. Un disque d’un niveau incontestablement supérieur.


  Irène Schweizer

IRÈNE SCHWEIZER - RÜDIGER CARL - JOHNNY DYANI - HAN BENNINK . Irène's Hot Four, label Intakt Records, Suisse, 2025
IRÈNE SCHWEIZER - RÜDIGER CARL - JOHNNY DYANI - HAN BENNINK . Irène’s Hot Four

Époustouflant ! Prodigieux ! À couper le souffle, à se renverser de sa chaise ! Il y avait des années que je n’avais pas écouté un disque pareil, Un véritable moment de grâce comme j’en ai rarement été témoin, pour mon plus grand bonheur.
Bien que se connaissant tous, c’est la première fois que les musiciens se réunissaient tout les quatre. Personne ne prend le dessus, les voix s’entrecroisent naturellement dans une totale spontanéité. Irène Schweizer se dépasse en tant que catalyseur, sur son piano de feu, le contrebassiste Johnny Dyani rayonne, le batteur Han Bennink, ahurissant, est impliqué comme rarement, et une mention spéciale à Rüdiger Carl, dont on n’a jamais fait grand cas en France où il s’est pourtant produit à plusieurs reprises et qui, depuis 1973, était le partenaire régulier d’Irène.
Le public est transporté, cela se sent aux applaudissements généreux et enthousiastes ; il sait qu’il est témoin d’un grand moment. La sensation du festival, comme l’écrit Bert Noglik qui vous raconte cette performance bien mieux que je ne saurais le faire.
Merci à Intakt d’avoir exhumé ce concert exceptionnel capté en 1981. ; il aurait manqué quelque chose à notre connaissance de cette tranche de Nouvelle Musique Européenne, qui s’avère être aussi du grand jazz, parfois même classique, servi par un swing renversant.
Il faudrait faire écouter ce disque à tous les jeunes “jazzmen”, dans tous les conservatoires et les classes de jazz, pour essayer de leur faire comprendre l’urgence absolue de cette musique libre et inspirée.


  Arkady Shilkloper & John Wolf Brennan

Label Leo Records, UK, 225
Arkady Shilkloper & John Wolf Brennan . Night in Gale

Mélodiste né, John Wolf Brennan bâtit depuis longtemps une œuvre singulière et inclassable documentée par une discographie impressionnante avec un complice de longue date aussi singulier que lui, le virtuose du cor Arkady Shilkloper. Irlandais d’origine d’un côté, russe de l’autre, ils se sont trouvés dans les alpages suisses en 1994 au sein du groupe Pago Libre (créé par Brennan en 1989 dont nous avons souvent rendu compte du plaisir que nous procuraient ces musiques étonnantes), lesquels alpages leur offrent des sources qui semblent inépuisables. La présence de deux chanteurs yodeleurs accentue évidemment cet aspect “grands espaces” entre forêts et montagnes qui leur fournissent des pistes d’envol vers tous les horizons. Moi qui aborde souvent la world music avec prudence, j’y entre ici par la grande porte, tant chacune des quinze pièces m’offre une découverte réjouissante. Entre calme et tempête…
Et comme disait Vigny :“J’aime le son du cor, le soir, au fond des bois”.


  Pago Libre

Label Leo Records, UK, 225
Pago Libre . Wild Card

Ce premier album sous leurs deux noms comprenant des enregistrements datant de plusieurs époques, s’accompagne d’un quinzième Pago Libre, enregistré, lui, dans la foulée. Sous-titré “Songs from a farm”, il a été élaboré effectivement dans une ferme près de Winterthur. Chacun des quatre musiciens-cultivateurs a mis la main à la pâte pour effectuer une récolte de dix-huit morceaux d’une grande fraîcheur, mêlant comme toujours avec des accents divers (Irlande, Russie, Alpes suisses et autrichiennes) jazz, folk, pop, classique… Grâce à la cohérence du quartette, dont font partie le violoniste allemand Florian Mayer et le contrebassiste suisse Rätus Flisch depuis plusieurs années, les pièces s’enchaînent, sous la forme jazz de chambre, avec la plus grande harmonie. Décidément à part dans le monde musical d’aujourd’hui, cette musique apporte le bonheur et la joie.

Comme toujours, les très jolis livrets qui accompagnent ces deux albums vous apportent tous les renseignements possibles concernant le disque que vous êtes en train d’écouter et de réécouter Voilà ce qu’offre la publication en disque compact lorsque cet objet est réalisé avec grand soin. (voir Culturejazz : Leo et Intakt : une année de productions #2 – 15/05/2021).


  Silke Eberhard

SILKE EBERHARD TRIO . Being-A-Ning, label Intakt Records, Suisse, 2025
SILKE EBERHARD TRIO . Being-A-Ning

Nous passons la frontière allemande et retrouvons la saxophoniste alto Silke Eberhard,
À première écoute, comme nous l’avons déjà constaté, elle semble s’inscrire délibérément, avec son trio dont c’est le troisième opus chez Intakt, dans la lignée de celui d’Ornette Coleman (sur la musique duquel elle a travaillé). Mais on avait cité Thelonious Monk, Steve Lacy, Anthony Braxton, Oliver Lake… et surtout Eric Dolphy.
De fait, sa technique et sa maîtrise exceptionnelles lui donnent une liberté absolue dans son jeu. D’un bout à l’autre, la créativité, inventivité, la façon dont elle se joue des difficultés qu’elle crée elle-même, cette recherche d’absolu dans la grande lignée, en font l’une des grandes figures actuelle du jazz, le jazz qu’ elle n’a de cesse de questionner, d’explorer à fond, de retourner dans tous les sens. Aucune faiblesse, aucune facilité, aucun relâchement tout au long de ces dix pièces – neuf compos personnelles sur dix.
Ses accompagnateurs Jan Roder et Kay Lübke sont tout simplement impeccables dans leur rôle. Ça aussi c’est une certaine idée du jazz. Un disque qui vole très haut.


  Potsa Lotsa XL

Label Trouble in The East, Allemagne, 2025
Potsa Lotsa XL . Amoeba’s Dance

Soliste prodigieuse, Silke Eberhard se révèle également comme une compositrice et chef d’orchestre étonnante. Son tentette Potsa Lotsa XL nous avait fait forte impression par son disque publié par Leo Records. Celui-ci, aussi original que le précédent, conjugue, sur dix-huit courtes pièces – de sa plume plus deux collectives – l’équilibre “traditionnel” et les trouvailles sonores stupéfiantes. Comme si son jeu acrobatique d’interprète soliste se transposait chez chacun des dix membres de l’orchestre. Ce qui étonne l’auditeur, c’est l’impression qu’il a d’être en pays de connaissance tout en étant surpris à chaque instant. La large palette de couleurs vives et contrastées, qui permet à chacune des compositions de dévoiler son propre monde, et les alliages instrumentaux insolites ne nuisent en aucun cas à la cohérence du disque dans son entier. De la haute voltige ! (voir Culturejazz : Leo et Intakt : une année de productions #1 & 2 – 15/05 & 22/08/2021).
On en pense ce qu’on veut, mais le Downbeat Critics Poll l’a classée n°1 dans la catégorie Rising Star Large Ensemble, ce qui n’est pas à la portée de tout le monde.


  Matthias Müller & Andreas Willers

Label Trouble in The East, Allemagne, 2025
Matthias Müller - Andreas Willers . Song Inconditional

Changeons totalement de genre en compagnie de deux spécialistes de l’improvisation libre, Matthias Müller et Andreas Willers, peu connus en France mais de grande expérience. Willers, né en 1957, a réalisé son premier disque en solo sur le légendaire label FMP en 1981 et a poursuivi une riche carrière – il nous est arrivé de le croiser à plusieurs reprises lors de nos revues au sein de groupes divers avec Gebard Ullmann ou Urs Leimgruber. Müller, né en 1971, a également collaboré avec nombre de musiciens allemands, européens et autres comme Sakoto Fuji, George Lewis, Eve Risser ou John Butcher. Bien qu’apparaissant l’un comme l’autre dans d’innombrables disques, ils ne s’étaient jamais rencontrés en studio. Ils présentent ici cinq pièces très finement et subtilement jouées, avec un grand sens de l’équilibre. Ce qui permet de constater que le trombone et la guitare sont deux instruments qui s’accordent particulièrement bien. Ce disque en duo très réussi s’est dernièrement retrouvé au sein d’un certain Berlin Art Quartet. À découvrir…


  Kovász

KOVÁSZ . Fermentum, BMC Records, Hongrie, 2025
KOVÁSZ . Fermentum

Déplaçons-nous vers l’est pour entrer en Hongrie à la rencontre de la seconde génération des free musiciens représentée ici par le quartette Kovász qui trouve ses sources dans sa propre culture et la richesse des musiques folkloriques qui ont tant inspirées Bartok, Kodaly ou Kurtag. Dès l’ouverture, nous sommes saisis par le son puissant, strident et tendu du saxophoniste Gergö Kováts, également compositeur des neuf pièces du disque. L’excellent quartette, cohérent, rythmé et réactif, capable d’installer un groove solide, peut tout autant s’ébouriffer dans une danse échevelée et virevoltante. .
En aucun cas, nous pouvons considérer qu’il s’agit de folklore jazzifié, bien au contraire, nous sommes dans un processus de création qui s’appuie sur des racines solides. Il n’y a rien de superficiel dans ces musiques. Le livret, fort intéressant, nous donne des clefs et des informations fort utiles.
Une belle occasion de rappeler que le jazz contemporain, lui aussi, a tout à gagner à puiser dans ses racines. On aimerait beaucoup entendre un tel groupe sur les scènes françaises.


  Scandinavian Art Ensemble

Label April Records, Danemark 2025
Scandinavian Art Ensemble with Tomasz Stanko . The Copenhagen Session Vol.1

Cap au nord, en direction de Copenhague, non sans un passage en Pologne où quatre musiciens, un pianiste, un batteur, et deux trompettes, dont le grand et légendaire Tomasz Stanko en invité, vont retrouver un saxophoniste, un vibraphoniste et un bassiste danois, un trompettiste islandais et, sur deux titres, une chanteuse finlandaise, l’ensemble constituant le Scandinavian Art Ensemble. Nous sommes en 2016 et Stanko n’a plus que deux ans et quelques mois à vivre, mais il fait preuve d’une maîtrise, d’une autorité et d’une science des contrastes étonnantes. Cette session, retrouvée neuf ans plus tard, constitue donc un témoignage précieux du jeu puissamment modulé du trompettiste, et probablement son dernier enregistrement. Connu dès les années 60 avec le pianiste Krzysztof Komeda, Stanko évolua vers l’avant-garde du jazz polonais puis obtint une réputation internationale, enregistrant notamment pour ECM. Auteur d’une des cinq pièces originales qui composent cet album, et superbement accompagné par un brillant septette qui fait mieux que lui servir d’écrin vu la qualité des solistes, il est aussi l’improvisateur le plus sollicité. Un magnifique disque de jazz qui devrait nous faire patienter en attendant le volume 2.


  Elsa Nilsson & Martin Fabricius

Label MFC (autoproduction ?), Danemark, 2025
Elsa Nilsson & Martin Fabricius . Glaciers

On retrouve Martin Fabricius, ancien élève de Gary Burton, et l’un des solistes marquants du disque précédent, sur son propre label en compagnie de la flûtiste suédoise Elsa Nilsson (basée à (Brooklyn où elle joue et enseigne) pour une série d’échanges et de dialogues improvisés mais hautement mélodiques. En fait il s’agit plutôt d’une promenade sur des chemins qu’ils parcourent ensemble et traduisent en trouvailles sonores étonnantes. Pour cette aventure, ils sont équipés de toute une panoplie de flûtes, des plus aiguës aux plus graves, et d’un appareillage électronique qui, ajouté aux moments fluides et cristallins dus à l’acoustique naturelle du vibraphone, permettent des effets de résonance, lesquels sont “mis en espace” grâce aux effets de souffle – les vents du nord – des flûtes.,
Ne nous arrêtons pas à la froideur apparente, entrons dans un univers spatial assez fascinant pour partager leurs découvertes.tout au long des treize morceaux choisis.


  The New York Second

The New York Second . Room for Other People
The New York Second . Room for Other People

Quittons le Danemark pour les Pays-Bas où nous attend, après Potas Lotsa XL et le Scandinavian Art Ensemble, une troisième “moyenne” formation dont la palette instrumentale riche et presque identique donne des résultats totalement différents.
Celle-ci est réunie par le pianiste hollandais Harald Walkate qui, après un disque en trio qui nous avait accroché (voir Culturejazz : Revue d’Outre-Rhin et d’Outre-Manche – 21/06/2023), se signale.avec un nouvel album beaucoup plus ambitieux qu’il produit lui-même. Album dans tous les sens du terme puisqu’il s’accompagne d’un album-photo de 28 pages dédié à la grande photographe Vivian Maier ; dix photos commentées que le pianiste-compositeur-arrangeur traduit en autant de séquences musicales. Il en résulte un travail très soigné, servi par une belle écriture harmonique aboutissant à une riche sonorité d’ensemble ; une réalisation, sans doute plus sage que les deux exemples précédents et qui relègue un peu les solistes au second plan. Mais le but de Walkate était de nous offrir un bel objet à feuilleter, écouter et conserver. Et il a pleinement réussi.


  Ivo Neame

label Ubuntu Music, UK, 2025
Ivo Neame . Zettalogue

Le Royaume-Uni sera notre dernière escale européenne avant l’envol vers le Nouveau Monde. Car il nous reste 40 minutes, pas plus, pour suivre un set (en studio) mené tambour battant par un pianiste-compositeur plein d’énergie que je ne connaissais pas, Ivo Neame (né en 1981), dont c’est le dixième disque en leader. Également très sollicité, réputé en Allemagne et en Hollande, honoré à de multiples reprises, il emmène un quartette de choc avec un jeu de piano ébouriffant qui emporte immédiatement l’auditeur et ne le lâche plus. Le communiqué de presse ne nous raconte pas d’histoires lorsqu’on y lit : “La musique d’Ivo se caractérise par un mélange étonnant de virtuosité, de sophistication et de plaisir du jeu, et ses performances sont connues pour leur énergie dynamique et leur profondeur émotionnelle”. Sans aucunes complaisance ni facilités (voir l’écriture des thèmes), nous avons là un disque enthousiasment. Quel plaisir de faire encore de si belles découvertes !


  James Brandon Lewis

JAMES BRANDON LEWIS QUARTET . Abstraction Is Deliverance, label Intakt records, Suisse, 2025
JAMES BRANDON LEWIS QUARTET . Abstraction Is Deliverance

Ce n’est pas la première fois que j’énonce le nom de John Coltrane à propos de James Brandon Lewis, non pas sur le terrain des centaines ou milliers de saxophonistes qui “jouent comme Coltrane” (ou essaient), mais au niveau global de son quartette régulier qui fonctionne aujourd’hui exactement comme celui, naguère, du défunt géant du jazz. Nous sommes totalement dans le même esprit, sur la même longueur. On peut considérer que cette musique a 60 ans ou qu’elle date de la semaine dernière, cela n’a aucune importance. John Coltrane appartenait encore à une époque où les grands chefs de file afro-américains indiquaient les directions majeures dans une histoire jazz encore en train de se faire. À présent il y a autant de chefs que de files, de chapelles, de niches comme on dit, et chacun s’y retrouve comme il peut selon ses goûts et connaissances. Inutile donc de tenter des comparaisons formelles à l’écoute d’une musique peut-être moins tendue, moins dans la transe. De même que les neuf très belles compositions personnelles du leader sont plus écrites, plus cadrées, avec des structures plus resserrées. Je n’en démords pas ; n’ayant découvert le quartette de John Coltrane qu’au moment de sa mort, celui de James B. Lewis, est “mon Coltrane” comme Aruán Ortiz est mon McCoy Tyner, Brad Jones mon Jimmy Garrison et Chad Taylor mon Elvin Jones, et cela fait mon bonheur aujourd’hui.


  Ivo Perelman & Matthew Shipp String Trio

IVO PERELMAN & MATTHEW SHIPP STRING TRIO . Armageddon Flower, label TAO Forms, USA, 2025
IVO PERELMAN & MATTHEW SHIPP STRING TRIO . Armageddon Flower

Avec Ivo Perelman et Matthew Shipp qui se connaissent depuis des décennies – ils ont enregistré au moins 46 disques ensemble (en duo ou avec un ou deux partenaires) – nous revenons vers Coltrane mais le dépassons largement. Si le terme avant-garde peut avoir encore un sens aujourd’hui dans le jazz, ce sont eux qu’il faut suivre (sans oublier qu’ils sont totalement ancrés dans la grande tradition). Pour cet enregistrement, ils retrouvent une nouvelle fois William Parker et Mat Maneri, “deux membres de la famille” qui ont beaucoup joué et enregistré avec le duo ; Parker joue avec Shipp depuis 1990, avec Perelman depuis 2003, Maneri a beaucoup enregistré avec Ivo depuis 2013… et le Matthew Shipp String Trio a été créé en 1996. Les revoilà donc tous les quatre en formation “jazz de chambre” aux prises avec quatre œuvres collectives. Il reste à entrer dans leur “monde” : la longue plainte et les circonvolutions du saxophoniste, l’intériorité, la présence du pianiste, la navigation entre grave et aigu et les infiltrations de l’altiste, le travail en profondeur du bassiste qui creuse dans les strates... pas de voix dominante, tantôt un duo, tantôt un trio, des passages somptueux, d’autres un peu répétitifs, joués avec l’intégrité individuelle et collective, l’honnêteté et la conscience de leur pratique artistique.


  Vazesh

Label Earshift Music, Australie, 2025
Vazesh . Tapestry

Traversons le Pacifique et atterrissons en Australie d’où nous parvient ce trio singulier et ouvert sur les grandes étendues (pays oblige), composé d’un musicien iranien réputé résidant en Australie, Hamed Sadeghi, qui joue d’une sorte de luth persan, épaulé par deux jazzmen autochtones chevronnés, Jeremy Rose (qui a fondé le label Earshift il y a 15 ans) et Lloyd Swanton. Les quatorze pièces, enchaînées comme une suite, délivrent une belle harmonie et composent un disque qui éclot, respire, s’épanouit et se projette dans l’espace bien au-delà de se qu’on nomme, par manque de repères, la world music. À l’évidence, ces trois-là se sont trouvés. La musique permettant de réduire instantanément les distances, ce disque offre une excellente occasion d’écoute et de découverte.


  Quyên Thiên Dâc

QUYỀN THIỆN ĐẮC . Áo-Giấy Spirit Money, label Hâtive !, France, 2025
QUYỀN THIỆN ĐẮC . Áo-Giấy Spirit Money

Avant d’embarquer pour la France, il fallait s’arrêter au Vietnam, donc poser le pied sur le grand continent asiatique, avec le saxophoniste soprano Quyên Thiên Dâc au jeu fin et lyrique, qui possède un sens rare de la mélodie, du chant et est doté d’une grande maîtrise du jeu dans les aigus. Nous l’avions déjà rencontré dans le précédent disque de Jean-Sébastien Simonoviez (voir Culturejazz – Revue de printemps #2, 05/06/2025), qui partage avec lui les compositions originales, fort bien écrites sur de belles harmonies et d’audacieux changements de rythmes. Sur trois titres, Nguyên Lê, bien connu dans nos contrées, ajoute couleurs et sonorités à un ensemble ou chacun est au diapason.
Plus j’écoute ce disque, plus je suis conquis par ses thèmes, son atmosphère légère et sa respiration. Un vrai bonheur.
La vente des disques “physiques”, comme on appelle à présent les CD, n’étant plus la condition de leurs réalisations, Simononviez a fait à nouveau le choix du “bel objet” sous la forme d’un microsillon 33 tours présenté dans une pochette rose et verte !


  > Les références :

> Clemens Kuratle Ydivide : “The Default“ – Intakt CD 433
Dee Byrne (saxo alto), Chris Guilfoyle (guitare), Elliot Galvin (piano), Lukas Traxel (contrebasse), Clemens Kuratle (batterie)..
Loft, Cologne, 20-21 janvier 2024.

> Christoph Irniger Pilgrim : “Human Intelligence Live” – Intakt CD 434
Christoph Irniger (saxo ténor), Stefan Aeby (piano), Dave Gisler (guitare), Raffaele Bossard (contrebasse), Michael Stulz (batterie).
Red Horn, District, Bad Meinberg (D), 29 novembre 2023.

> Irène Schweizer : “Irène’s Hot Four” – Intakt CD 438
Rüdiger Carl (saxo ténor, clarinette, accordéon), Irène Schweizer (piano), Johnny Dyani (contrebasse), Han Bennink (batterie, percussions, mégaphone)..
Jazzfestival, Zürich, 8, novembre 1981.

> Arkady Shilkloper & John Wolf Brennan : “Night in Gale” – Leo Records CD LR 944 Arkady Shilkloper (cor, cor des Alpes, Alperidoo, bugle), John Wolf Brennan (piano, arcopiano, tamburopiano, pizzicatopiano, melodica, kalimba), Christian Zehnder (voix, chant diphonique, yodel, guimbarde, Mini-Mood), Marcello Wick (voix, chant diphonique et guttural, yodel naturel).
Hardstudios, Winterthur (CH), 19 août 2024 + mai 2013 et novembre 2017.

> Pago Libre : “Wild Card” – Leo Records CD LR 945
Arkady Shilkloper (cor, cor des Alpes, Alperidoo, kuhlohorn), John Wolf Brennan (piano, alphornpiano, melodica, mellotron), Florian Mayer (violon), Rätus Flish (contrebasse) + Tony Majdalani (darbuka sur un titre).
Hardstudios, Winterthur (CH), 20-22 août 2024.

> Silke Eberhard Trio : “Being-a-Ning” – Intakt CD 435
Silke Eberhard (saxo alto), Jan Roder (contrebasse), Kay Lübke (batterie)..
Studio Zentrifuge, Berlin, 25-26 mars 2024.

> Silke Eberhard Potsa Lotsa XL : “Amoeba’s Dance” – Trouble in the East TITE-REC 044
Silke Eberhard (saxo alto, flûte à bec), Nikolaus Neuser (trompette, percussions), Gerhard Gschlössl (trombone), Jurgen Kupke (clarinette, percussions), Patrick Braun (saxo ténor), Taiko Saito (vibraphone, percussions), Antonis Anissegos (piano), Johannes Fink (violoncelle), Igor Spallati (contrebasse), Kay Lübke (batterie)..
Traumton Studio, Berlin, 7-8 septembre 2024.

> Matthias Müller / Andreas Willers : “Song Inconditional” – Trouble in the East TITE-REC 039
Matthias Müller (trombone), Andreas Willers (guitare électrique).
Willers Loft, Klienmachnow (D), 20 septembre 2023. 7-8 octobre 2024.

> Kovász : “Fermentum” – BMC CD 359
Gergö Kováts (saxo ténor, clarinette basse, fuvolya, electronics), Máté Pozsár (piano, synthé), Ábel Dénes (contrebasse, gardon), Attila Gyártás (batterie, gardon préparé, electronics).
BMC Studio, Budapest,, 25-27 août 2024.

> Scandinavian Art Ensemble with Tomasz Stanlo : “The Copenhagen Session Vol.1” – April APR141CD
Tomasz Dabrowski, Snorri Sigurõarson (trompette), Thomas Hass (saxo ténor), Martin Fabricius (vibraphone), Artur Tuznik (piano), Richard Andersson (contrebasse), Radek Worko (batterie), Johanna Elina Sulkunen (vocal) + Tomasz Stanko (trompette).
The Village Recordings, Copenhague, 19 février 2016.

> Elsa Nilsson & Martin Fabricius : “Glaciers” – MFCD0125
Elsa Nilsson (flûtes), Martin Fabricius (vibraphone).
Viften, Hall 2, Rødovre (DK), 15-16 août 2022.

> The New York Second - Harald Walkate : “Room for Other People” – NY2 CD
Harald Walkate (piano), Teus Nobel (trompette, bugle), Vincent Veneman (trombone), Mark Alban Lotz (flûtes), Tom Beek (saxo ténor), Rob Waring (vibraphone), Lorenzo Buffa (contrebasse), Max Sergeant (batterie).
Fattoria Musica, Osnabrück (D), 4-6 mars 2024.

> Ivo Neame : “ Zettalogue” – Ubuntu Music UBU0183
Ivo Neame (piano), George Crowley (saxo ténor), Tom Farmer (contrebasse), James Maddren (batterie).
Livingston Studios, Londres, 23-24 août 2022.

> James Brandon Lewis Quartet : “Abstraction is Delivrance” – Intakt CD 437
James Brandon Lewis (saxo ténor), Aruán Ortiz (piano), Brad Jones (contrebasse), Chad Taylor (batterie).
Hardstudios, Winterthur (CH), 19 août 2024 (CH), 25 avril 2024.

> Ivo Perelman & Matthew Shipp String Trio : “Armageddon Flower” – Tao Forms TAO 18
Ivo Perelman (saxo ténor), Matthew Shipp (piano), Mat Maneri (violon alto), William Parker (contrebasse).
Park West Studios, Brooklyn, 10 septembre 2024.

> Vazesh : “Tapestry” – Earshift Music EAR092
Jeremy Rose (saxos ténor et soprano, clarinette basse), Hamed Sadeghi (târ), Lloyd Swanton (contrebasse).
Annandale Creative Arts Centre, Sydney (AUS), 3 février 2020.

> Quyên Thiên Dâc : “Áo-giây Spirit Money” – Hâtive QTD07
Quyên Thiên Dâc (saxo soprano), Nguyên Lê (guitare), Jean-Sébastien Simonoviez (piano), Thomas Bramerie (contrebasse), Joël Allouche (batterie, percussions), Clara Simonoviez (vocal, chœurs) ; Altra Volta (quatuor à cordes) : Jacek Dzwonowski, Jacek Heczko (violons), Aleksandra Marko-Lech (alto), Michal Lech (violoncelle).
Studios La Buissonne, Pernes-les-Fontaines, 18-19 août 2024.


  > Liens, dans l’ordre du “voyage” :

www.intaktrec.ch Distrart (Clic Musique !) (1,2,3,6,14)
www.leorecords.com www.brennan.ch (4,5)
https://silkeeberhard.com/ lee@gogobetween.com (7,16)
mail@andreaswillers.de (8)
www.bmcrecords.hu Socadisc (www.ledisquaire.com) (9)
www.jazzfuel.com (10,13)
info@martinfabricius.eu (11)
www.haraldwalkate.com (12)
ann@bkmusicpr.com Distribution Bertus (15)
www.simonoviez.com (17)