Seconde édition d’une action régionale fédératrice.

FOCUS JAZZ #2 du 7 au 29 mars 2008 dans toute la Basse-Normandie.

A l’origine, une idée du contrebassiste Nicolas Talbot développée avec le Collectif Jazz de Basse-Normandie : trois semaines pour mettre en lumière les musiciens et les lieux de la région en fédérant les énergies autour d’un évènement commun.

Ainsi est né Focus Jazz. Après l’essai de 2007, l’édition 2008 semble dès son démarrage correspondre à une attente en jouant sur une diffusion déconcentrée, en rupture avec les festivals existants. Chacun peut trouver un ou plusieurs concerts dans son secteur géographique ! Logiquement, le Conseil Régional soutient cette initiative remarquable.

Nous rendons compte ici de quelques-uns de ces concerts... Les commentaires sont ouverts en bas de page pour recueillir vos avis sur les concerts auxquels vous avez assisté... Vous pouvez aussi nous adresser par courriel un court texte et une photo pour collaborer à ce compte-rendu !

> Les épisodes de ce feuilleton :

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> CAEN - vendredi 7 mars - Grand Auditorium du Conservatoire - 20h30

  Renza Bô

Renza Bô - Caen le 7 mars 2008
Photo © CultureJazz

Voilà une formation qui a le vent en poupe ! Les critiques élogieuses de leur dernier album sont largement confirmées par leur prestation caennaise. Partis, à l’origine, dans les traces de Dave Douglas et Kenny Wheeler, ils naviguent désormais seuls sur les compositions subtiles et souvent audacieuses du trompettiste Pierre Millet. Un répertoire créatif, propice au jeu ouvert mais jamais déroutant sur une base rythmique subtile avec des solistes de très haut niveau... Une bien belle ouverture !

> Pierre Millet : trompette, compositions / Yann Letort : saxophone ténor / François Chesnel : piano / Antoine Simoni : contrebasse / Franck Esnouf : batterie.

  Cuong Vu Tet

Cuong Vu - Caen, le 7 mars 2008
Photo © CultureJazz

Fidèle à son habitude, le conservatoire de Caen a programmé une formation "de pointe". Cuong Vu, connu pour sa collaboration au Pat Matheny Group, Chris Speed, saxophoniste d’ouverture et de premier ordre et Ted Poor, l’excellent batteur entendu dans la formation de Jérôme Sabbagh sont épaulés par un bassiste stupéfiant : Stomu Takeishi, véritable homme orchestre à cinq cordes et beaucoup de câbles et de boîtiers divers !

Ted Poor & Chris Speed - Caen, le 7 mars 2008
Photo © CultureJazz

Des thèmes presque pop (pas si loin de Metheny) sont développés dans des climats diffus qui enveloppent l’espace aux solistes : une matière sonore pétrie en direct par quatre artisans qui ont un sacré sens de l’écoute. Très original et passionnant même si quelques passages à forte densité peuvent perdre en lisibilité pour l’auditeur. Certains auront perçu Chris Speed un peu en retrait... D’autres ont apprécié son positionnement dans la musique. Le saxophoniste ne laisse pas indifférent !

Un concert de très haut niveau !

> Cuong Vu : trompette, électronique / Chris Speed : saxophone ténor et clarinette / Stomu Takeishi : basse électrique, électronique / Ted Poor : batterie





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> BAGNOLES DE L’ORNE - Samedi 8 mars - Auditorium du Centre d’Animation - 21h00

L’association ornaise Les Trottoirs Mouillés présentait deux trios bien différents dans leur contenu musical mais qui ont en commun une approche sensible de la musique. Un beau programme concocté par une équipe soudée par une quinzaine d’années d’expérience(s).

  "Alefa !" Céline Bonacina trio.

Céline Bonacina - Caen, le 8 mars 2008
Photo © CultureJazz

"Prends ton baryton" chantait Mimi Perrin avec ses Double-Six... C’est ce que fait Céline Bonacina en répondant, comme elle l’a appris à la Réunion "Alefa !" (Allez fonce !). Nuançons cependant : Céline Bonacina ne fonce pas sans discernement. Sa musique, pour enracinée qu’elle soit dans des rythmes aux couleurs exotiques (la batterie dansante de Hary Ratsimbazafy) est avant tout ouverte aux échanges et sait ménager de beaux espaces de liberté pour chacun des membres du trio (Rémy Chaudagne impressionne par sa musicalité à la basse "six-cordes"). Si Céline excelle et impressionne au baryton (qu’elle prend volontiers ! ), elle réserve aussi certains thèmes à l’alto et au soprano pour varier les couleurs. Un trio au potentiel évident qui mérite de nombreux concerts après un excellent disque ("Vue d’en haut") et un prix amplement mérité au Concours de la Défense en 2007. Cette musicienne, très volontaire et passionnée, enseigne également à Alençon dans l’Orne, ce qui en faisait, ce soir-là, la "régionale de l’étape" !

> Céline Bonacina : saxophones alto, soprano et baryton / Rémy Chaudagne : basse / Hary Ratsimbazafy : batterie

  Andy Sheppard / Rita Marcotulli / Kuljit Bahmra

Andy Sheppard & Kuljit Bahmra
Bagnoles de l’Orne - 8 mars 2008 - Photo © CultureJazz

Résident pour trois ans du festival Jazz Sous Les Pommiers (Coutances), Andy Sheppard est amené à diffuser son travail en Basse-Normandie. C’est dans ce cadre qu’il invitait sa partenaire habituelle en duo, Rita Marcotulli au piano, et un percussionniste avec lequel il a noué une complicité fructueuse : Kuljit Bahmra.

Ce trio est bien autre chose que le duo "augmenté". Si le répertoire est en grande partie celui du duo, la musique se développe de façon plus linéaire (l’influence de la musique indienne n’y est pas pour rien). Les ruptures, les échanges ludiques du duo font place ici à des interactions plus fusionnelles qui ne sont pas pour déplaire à la pianiste, fan de Pink Floyd ! Un autre univers donc, charmeur, un peu "planant" parfois (le tanpura, désormais électronique !) mettant à profit la géométrie variable du trio, y compris dans l’espace comme lorsque le saxophoniste descend dans la salle pour une séquence de conversation avec des chants d’oiseaux...

Un concert empreint de sérénité et de poésie... et un très beau succès public qui se termine par une standing ovation !

> Andy Sheppard : saxophones ténor et soprano / Rita Marcotulli : piano / Kuljit Bahmra : tablas, tanpura, percussions.

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> AVRANCHES - samedi 15 mars - Théâtre.

  Trio Das Kaffe

> Lire la chronique de Christian Ducasse.

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> CAEN - dimanche 16 mars - Espace Puzzle, 17 heures.

Musiques et paroles

Entre la poésie intérieure de Nicolas Guillemet, plongé dans un dialogue inspiré avec des sons et des textes et l’extériorisation des revendications renvoyées par le Workshop de Lyon avec "Slogan", le concert présenté par le Collectif Jazz de Basse-Normandie a offert aux auditeurs un moment de création musicale et scénique d’une grande intensité.

  Nicolas Guillement : "La solitude du rêveur de chandelle"

Nicolas Guillemet - "La solitude du rêveur de chandelles"
Caen le 16 mars 2008 - Photo © Culturejazz

Nicolas Guillemet est un poète. Le rêveur de chandelles était entouré de bougies, assis tel un yogi en méditation, entouré de quelques instruments. Au milieu d’un espace sonore fait de textes (de Léo Ferré à Krishnamurti) et de sons mis en espace par l’électroacousticien Marco Marini, il prend l’auditeur par la pensée pour l’emmener dans un univers intérieur empreint de spiritualité et de philosophies orientales. Au saxophone soprano, à l’alto mais aussi au ukulélé et au bol tibétain il propose une musique ouverte très accessible et d’un lyrisme poétique profond. Un beau moment de méditation par un musicien qui étonne de plus en plus.

> Nicolas Guillemet : saxophones alto, soprano, clarinette, bol tibétain, ukulélé, voix / Marco Marini : création électroacoustique.

  Le Workshop de Lyon : "Slogan"

Le Workshop de Lyon - "Slogan"
Caen le 16 mars 2008 - Photo © Culturejazz

Historique ! Le Workshop est aujourd’hui un mythe du jazz français, au Panthéon des formations qui ont fait avancer le jazz...

C’est que cette formation, née avant mai 68, reste vigoureuse et combattive comme le prouve ce répertoire qui puise toute sa saveur dans l’art du slogan. Pas ces phrases sournoises des publicitaires qui nous assaillent au quotidien mais ces mots bien choisis, assemblés avec audace pour remuer les cerveaux disponibles et inviter à la lutte !

JP Autin, C. Rollet, J. Aussanaire et J. Bolcato : Le Workshop de Lyon 2008 !
Caen le 16 mars 2008 - Photo © Culturejazz

"Slogan" propose une suite de thèmes toniques, lyriques, drôles et inventifs avec une mise en scène épatante servie par un quartet en pleine forme et toujours très brillant. Depuis plus de 20 ans, Jean-Paul Autin a succédé à Louis Sclavis et c’est désormais Jean Aussanaire qui occupe la place du regretté Maurice Merle mais l’envie de jouer, l’esprit "ARFI" ont cimenté l’actuel Workshop : une des plus belles formations du jazz français et assurément incomparable.

> Jean-Paul Autin : saxophones sopranino et alto, clarinette basse / Jean Aussanaire : saxophones soprano et alto / Jean Bolcato : contrebasse, voix, porte-voix / Christian Rollet : batterie, percussions, voix.

Le Workshop de Lyon, à Caen le 16 mars 2008.
"L’Internationale" (rappel)

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> GRANVILLE - samedi 22 mars - Théâtre de la Presqu’île, 21 heures.

  Knoonk

N. Guillemet, Y. Letort, R. Garçon : Knoonk.
à Granville le 22 mars 2008 - Photo © Christian Ducasse

Knoonk, jeu de symétrie sur le nom de Monk tronqué de son "M" pour un hommage au pianiste, sans piano, par des bas-normands un rien iconoclastes mais créatifs.

Indiscutablement, cette formation a du cœur et du souffle, un bon brin d’humour aussi pour s’amuser (vraiment) à déhancher les compositions savamment bancales du grand Thelonious. Des compositions magiques à l’épreuve du temps propices aux envolées les plus libres de la part de ce quartet devenu quintet pour l’occasion. A chaque prestation, Yann Letort et Nicolas Guillemet témoignent un peu plus de leur talent en dévoilant une approche du jazz personnelle et audacieuse. Rémi Garçon, au ténor se positionne avec justesse dans les joutes des deux compères en renvoyant une image décalée de Charlie Rouse, un des ténors de Monk.

La rythmique est équilibrée avec le jeu ferme, souvent étincelant d’Ariel Mamane et la contrebasse appliquée et discrète de Carine Bourdonnet.

Encore une fois, une programmation hors-normes dans ce théâtre de poche pour rassembler un public composé de fidèles et de curieux vite convaincus. Entre un premier set qu’on nous a dit plus "cool" et un second set débridé, Knoonk aura pu exprimer son potentiel... de taille !

> Yann Letort : saxophone alto, clarinette basse / Nicolas Guillemet : saxophones alto et baryton / Carine Bourdonnet : contrebasse / Ariel Mamane : batterie / invité : Rémi Garçon : saxophone ténor / Thelonious Monk : compositions

Knoonk - en concert - Granville, 22 mars 2008
"Epistrophy" (Thelonious Monk)

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> SAINT-LÔ (50) - jeudi 27 mars 2008 - cabaret Art Plume - 20 h 30

  Emmanuel Piquery Ovoïd sextet

Il est né le nouveau sextet ! Il est apparu sous les feux des projecteurs ce jeudi 27 mars. Son papa, Manu Piquery se porte bien... Enfin mieux, car il se remet d’une fracture qui le fait claudiquer quelque peu mais ne l’empêche pas de s’exprimer sur le Fender rhodes avec beaucoup de personnalité ("Un instrument à part entière !" dit-il, et il le prouve !). Autour de lui, des musiciens (ré)actifs de la scène bas-normande qu’on sent vraiment dans ce nouveau projet prometteur.

Emmanuel Piquery Ovoïd sextet, le 27 mars 2008.
à Saint-Lô - Art Plume - Photo © Culturejazz

Ovoïde sextet n’est pas une machine qui tourne rond et heureusement. Les compositions d’Emmanuel Piquery ont un penchant pour les rythmes complexes, les associations de timbres audacieuses (flûte / Rhodes tempérés par le tuba par exemple...), les errances mélodiques souvent poétiques (les apports de sonorités diverses, percussions, jeux de becs et de voix...) avec des titres attachants (Plexus lunaire dans une atmosphère brumeuse). On pense souvent aux courants issus du collectif M-Base (Steve Coleman aux USA, Magic Malik en France...) mais aussi à l’Ensemble de Pierre Favre (disque en 2007 chez ECM) ou au travail d’arrangeurs comme Christophe Dal Sasso. Parmi les solistes, on remarque inévitablement la présence de Jean-Baptiste Pérez aussi à l’aise à la flûte qu’à la clarinette, brillant à l’alto. Thomas Remondière, bien qu’un peu malade, a joué son rôle avec beaucoup de force. La rythmique n’est pas en reste mais n’a pas le rôle le plus facile dans une musique piégeuse et assez ambitieuse.

C. Trével, T. Remondière, J-B Pérez : Ovoïd Sextet
Saint-Lô - 27 mars 2008 - Photo © Culturejazz

Un premier concert n’est jamais parfait mais tout s’est calé après un peu de temps et les trois derniers thèmes, en particulier le rappel, plus concis, plus enlevé, laissent augurer des lendemains passionnants pour cette nouvelle formation qui a les moyens de nous faire vibrer... Bien du bonheur en perspective, sans aucun doute !

On terminera par une question ouverte : mais où était donc le public ce jeudi soir ? Une poignée d’entrées payantes c’est bien peu pour encourager l’association Art Plume qui prend des risques pour programmer du jazz vif et créatif à Saint-Lô.

Manu Piquery : fender rhodes, percussions, compositions / Pascal Vigier : batterie / Jean-Baptiste Perez : saxophone alto, clarinette, flûte / Thomas Remondière : trombone / Thibault Renou : contrebasse / Cédric Trevel : tuba

> Lien :

Emmanuel Piquery Ovoïd sextet, le 27 mars 2008.
Rappel (témoignage vidéo de qualité très moyenne !)

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> VALOGNES (50) - vendredi 28 mars 2008 - auditorium de l’Hôtel-Dieu - 20h45

  Kurt Weill Project

Kurt Weill Project à Valognes (50)
le 28 mars 2008 - photo @ culturejazz

Kurt Weill, compositeur qualifié par les nazi de "dégénéré", a fourni de nombreux standards aux jazzmen depuis l’après-guerre, qu’il s’agisse d’extraits de ses célèbres opéras ou de sa musique destinée aux comédies musicales de Broadway.

Ce projet Kurt Weill initié par François Chesnel et Ariel Mamane, incontournables chevilles ouvrières de la scène bas-normande (voir ci-dessus Renza Bô pour le premier et Knoonk pour le second) a permis d’intégrer deux talents désormais reconnus de la scène nationale : Joann Loustalot à la trompette et au bugle et le très sollicité Eric Surmenian à la contrebasse.

Yoann Loustalot & Eric Surmenian (Kurt Weill Project)
à Valognes (50) le 28 mars 2008 - photo © CultureJazz

La cohésion du quartet, la qualité de l’interprétation, la prise de distance par rapport aux versions de référence et le haut niveau d’improvisation sont autant d’éléments qui contribuent à la réussite du Kurt Weill Project.

Dans une atmosphère proche d’un concert de musique de chambre tant l’écoute était attentive, Yoann Loustalot a montré toute la qualité de son jeu porté sur les sonorités médium et graves, à la trompette et au bugle . Eric Surménian est indiscutablement un des contrebassistes les plus doués de sa génération, impressionnant à l’archet. Dans ce contexte, François Chesnel excelle avec un toucher d’une finesse exemplaire et un phrasé subtil propulsé par Ariel Mamane qui joue avec un bonheur juvénile !

Un quartet qui devrait trouver sa place sur bien des scènes de jazz tant il a captivé le public présent ce soir-là dans cette belle petite salle (comble !). Avis aux programmateurs curieux !

> Pour conclure, un extrait du disque 6 titres autoproduit enregistré en mars 2007. Pour se procurer le disque : courriel !

Kurt Weill Project
"Wie Lange Noch" (Kurt Weill) - extrait du disque enregistré en mars 2007.