Cette fête foraine n’était pas comme les autres, celles de maintenant, elle ressemblait à celles des campagnes du siècle dernier et même de celui d’avant, une foire agricole surtout avec quelques manèges puis moins d’agricole et plus de manèges et aujourd’hui rien que des manèges mais pas les mêmes, maintenant plus sophistiqués et aussi plus dangereux… celle-là conservait ses manèges à l’ancienne à part les auto-tamponneuses et la chenille, on y poussait encore à la main avec des gars bâtis comme des Tarzan ; il y avait bien sûr les balançoires pour les petits et les balancelles pour les grands où les filles en robe ne payaient pas pour que les badauds reluquent leurs dessous ce dont ils ne se privaient pas, c’est d’ailleurs là que j’ai connu mes premières émotions de braguette, de plus en plus haut y avait une grande brune on aurait dit qu’elle le faisait exprès…

mais ce que nous les jeunes d’alors on préférait ensuite c’était le chamboule-tout, on s’en donnait à cœur joie avec les balles enveloppées de chiffon pour taper et descendre les figurines représentant les gloires nationales ou locales, les politiciens, les maires, les vedettes à la mode et tout…qu’est-ce qu’on se marrait et pan sur machin et pan sur l’autre tiens pan dans la tronche… quand le fils a repris suite au décès du paternel, il a changé les gueules à démolir tous les ans, je me souviens des yé yé dans les années 60, on en foutait plein la tronche au Johnny, à la Sylvie, à Richard Anthony, Franck Alamo et Sheila la môme Chancel que sa figurine était toute déformée tant on tapait dessus on tapait … on y allait tous les soirs déchaînés qu’on était vas-y Jeannot vas-y Momo… et puis une année au début des années 80 je crois bien alors là on en revient pas encore dis donc, le fils allez savoir pourquoi ousqu’il avait pu pêcher cette idée il avait mis des musiciens des musiciens à nous des musiciens DE JAZZ tu te rends compte il y avait là les bobines d’Armstrong, Ellington, Coltrane, Monk, Miles Davis et Goodman bon Goodman on allait rien dire de trop, mais les autres on allait pas en rester là d’autant qu’on avait jamais vu autant de mecs se les bombarder, les cons ricanaient tiens dans sa gueule au négro et vlan vlan vlan… nous on faisait la gueule, on matait les gus avec leurs gueules de tarés on les repéraient ya le gars machin et celui qui sert de bedeau qu’y tapait comme un dingue sur Coltrane non on allait pas en rester là on ne pouvait pas en rester là… sans un mot on s’est retrouvé toute la bande sur le coup de deux heures du mat’ après que les gars de la sécurité soient partis on était cinq (Louis, le Duke, John, T.S. et moi Mimile) on a bousillé le stand mon vieux en dix minutes avec des marteaux et des manches de pioche on a tout mais alors tout cassé sauf les trombines des musiciens qu’on a emportés comme des reliques sauf Goodman qu’on sauva quand même in extremis un vrai champ de ruines hé ho hein toi le fils t’a compris on touche pas à nos idoles à nous pauv’ con.

© Jacques Chesnel (jazz divagations)