Jazz dans la Manche, en deux manches !

Il est bien rare, dans la Manche, que les amateurs de jazz aient l’embarras du choix pour occuper leurs soirées ! C’était pourtant le cas samedi 21 mars mais la ruse des organisateurs complices permettait de ne frustrer personne : Jérémy Bruger et Pierre Christophe étaient également programmés le 20 à Coutances et les deux sets du trio de Jean Lapouge à Granville permettaient, en outre, de migrer d’un lieu à l’autre. Bien joué ! Surtout qu’il était préférable de ne rien manquer : belle musique au rendez-vous !


À Coutances, vendredi 20 mars.

  Jérémy Bruger Quartet puis Pierre Christophe trio.

Jérémy Bruger Quartet
Coutances, 20 mars 2009 - Photo © CultureJazz

Paradoxe : Coutances est une petite ville qui ne dispose pas de petite salle adaptée à l’atmosphère intimiste du jazz "à découvrir". L’équipe du Théâtre / Jazz sous les Pommiers testait les 20 et 21 mars, un lieu un peu excentré mais au potentiel intéressant. [1] Au programme, le jeune quartet régional de Jérémy Bruger en première partie, suivi du trio du pianiste Pierre Christophe.

20 mars, jour du printemps, et, sur scène, le jazz encore en bourgeons du quartet de Jérémy Bruger, pianiste "émergeant" de la scène bas-normande. Une prestation de bon niveau, jouée avec beaucoup de sérieux (et sans doute un peu trop d’application encore) a permis au leader de faire partager ses conceptions du jazz qui puisent largement dans l’héritage des maitres des années 50 et 60. Si le pianiste a laissé percevoir un potentiel encourageant, le saxophoniste Nicolas Leneveu a confirmé dans ce contexte la qualité de son jeu. Encore un peu de temps et de pratique en concerts et cette formation pourra éclore et mettre en valeur des couleurs prometteuses.

Pierre Christophe trio
Coutances, 20 mars 2009 - Photo © CultureJazz

Il a suffi de trois notes pour que le trio de Pierre Christophe prenne le public à bras le corps pour ne le lâcher qu’à la fin du concert. Voilà une formation qui dégage une puissance et une énergie qui n’est pas courante aujourd’hui. Tout cela en proposant un jazz acoustique subtil, sobre, inventif et ancré dans la tradition. Élève du pianiste Jaki Byard pendant 4 ans, Pierre Christophe a compris que le jazz n’est pas vivant s’il se fige dans un style et sa musique aujourd’hui est totalement ouverte sans être avant-gardiste : piano stride, be-bop, standards, swing composent des structures libres et contrastées. Quelques compositions de Byard jalonnent une thématique personnelle. Le concept ne serait que formel s’il n’était porté par une interprétation hors-pair. Le phrasé inventif du pianiste est "boosté" par la contrebasse de Raphaël Dever qui gronde, claque, ronfle, danse et se faufile dans les mélodies. À la batterie, Mourad Benhammou impressionne. A l’opposé des batteurs qui semblent souffrir derrière leurs toms, il modèle sa pulsation avec la noblesse et l’élégance d’un samouraï : le frappé juste, la ponctuation où il faut, le roulement sensible... Il joue !

On entend tellement de trios piano-basse-batterie aujourd’hui qu’on se demande si on n’a pas épuisé toutes les ressources de la formule. Avec le trio de Pierre Christophe, on sait qu’il n’en est rien ! Tant mieux !


À Granville, samedi 21 mars.

  Jean Lapouge trio.

Jean Lapouge trio
Granville, 20 mars 2009 - Photo © CultureJazz

Un soir à la Haute-Ville. Au pied de la falaise, sur la plage, la mer lentement allonge ses vagues sur les galets et fait frémir le sable. Dans la minuscule salle de La Presqu’île, délicatement, le trio de Jean Lapouge déroule ses compositions en longues ondulations paisibles. Cadre intimiste pour musique intime, à nulle autre pareille. N’allez pas chercher de références ici ou là, il n’y en a pas qui soient immédiatement perceptibles sauf, en filigrane, les pulsations de la vie, le chant des oiseaux et du souffle du vent. L’univers de Jean Lapouge est sensible et poétique, aussi atypique que sa formation dans laquelle le trombone de Christiane Bopp occupe une place de choix, inattendue sans doute mais vraiment captivante. Vibraphoniste et hautboïste, Christian Pabœuf est un complice de longue date de Jean Lapouge, fidèle à son ami comme il l’est, par ailleurs, à son frère Daniel, le saxophoniste connu de longue date sur les scènes alternatives. On perçoit beaucoup de connivence entre la guitariste leader et ses deux acolytes. Sans démonstrations inutiles, avec une finesse et une sensibilité constante, ils ont entrainé dans leur monde un public attentif et séduit par la découverte d’une musique délicate.


> Liens :

[1Espace de création et de répétition de la troupe de théâtre locale, la compagnie Dodéka.