...pianiste, claviériste, compositeur et arrangeur (Dijon-Côte d’Or).

En cette fin 2009, nous portons un coup de projecteur sur la région Bourgogne en donnant la parole à quelques acteurs (actifs !) dans ces contrées. Une façon indirecte de saluer le travail remarquable effectué par le Centre Régional du Jazz en Bourgogne.

Nous publions ici un entretien réalisé il y a quelques mois mais dont le contenu est toujours d’actualité... (NDLR)


Connu pour sa collaboration au trio Call The Mexicains !, dans lequel il côtoie aux claviers le batteur Philippe Gleize et le bassiste Jean-Philippe Morel, Mickaël Sévrain multiplie les expériences musicales sans aucun souci de frontières stylistiques. Il est à l’origine de nombreux projets toujours plus novateurs. Ses talents de compositeurs, exercés au sein de plusieurs formations dont le nonette Tumulte ne sont plus à démontrer...

> Armel Bloch : Comment êtes-vous devenu musicien ?

Mickaël Sévrain

> Mickaël Sévrain : L’envie de faire de la musique m’est venue à l’âge de 5 ans, lorsque je voyais les membres de ma famille jouer dans les bals ou reprendre des morceaux de rock. Je suis devenu musicien avec la scène, au bout de 2 ou 3 ans de pratique. J’étais devant un vrai public, autre que ma famille, ce qui m’a donné envie de continuer. J’ai eu des périodes d’apprentissages avec des professeurs et d’autres où j’ai continué à me former seul. J’ai décidé d’en faire mon métier à l’âge de 15 ans.

> Pouvez-vous décrire votre parcours avec vos rencontres marquantes ?

> J’ai commencé l’apprentissage sur un orgue électronique double clavier où je travaillais principalement des standards de la variété française et internationale. Deux ans plus tard, j’ai participé à l’atelier jazz de mon collège dirigé par Jean-Marie Pot pendant deux ans et demi. J’y ai découvert l’harmonie et les standards du jazz. J’ai ensuite pris des cours avec l’accordéoniste Jacky Lignon, puis monté mon premier groupe Jazz Riff avec Gregory Teyssier, un ami devenu guitariste professionnel. Le répertoire jazz funk et jazz fusion comprenait des reprises et compositions personnelles. J’ai vraiment pris goût à écrire et arranger la musique avec ce groupe. Nous avons joué ensembles pendant trois ans puis nous avons intégré la classe de jazz de l’ENM d’Auxerre en 1998, toujours dirigée par François Arnold. J’ai approfondi mes connaissances harmoniques et j’ai surtout travaillé la composition, l’orchestration et l’arrangement pendant un an, pour posséder des bases. J’ai participé à deux interventions de Jean-Christophe Cholet, en résidence à Auxerre à cette période. Elles m’ont servi de supports de travail dans ma progression personnelle. J’ai obtenu mon DEM  [1] mention très bien en septembre 2000. Ma rencontre avec les musiciens dijonnais du Collectif Q date de cette période. Ils organisaient des concerts hebdomadaires où ils rejouaient des thèmes jazz des années 40-60. La scène était ouverte aux musiciens qui voulaient « jammer ». J’ai beaucoup appris grâce à l’émulation créée par le phénomène de collectif. En 2002, le saxophoniste Aymeric Descharrières, un des fondateurs de cette structure, a fait appel à moi au fender rhodes pour son Yessas Na Quartet. C’est mon premier contact réel avec cet instrument, je me suis senti immédiatement à l’aise.

Durant ces années, j’ai multiplié les expériences : un sextet Hard-Bop dirigé par le trompettiste Patrice Bailly  [2], un hommage au Liberation Music Orchestra de Charlie Haden et Carla Bley dirigé par le saxophoniste Cédric Ricard  [3]
], quelques rencontres avec les musiciens du Collectif MU de Mâcon. J’ai participé à des formations de Rythm’ & Blues et de Salsa. J’ai commencé à sentir le besoin de devenir leader de projet en 2004 : j’ai alors créé le trio free-rock Call The Mexicains ! avec Jean-Philippe Morel (basse électrique) et Philippe Gleizes (batterie). 2006 est l’année de création de l’ensemble Tumulte, co-dirigé avec Cédric Ricard pour la création One More Time. Depuis, je suis leader de la plupart des formations dans lesquelles je joue.

> Quelles sont vos influences musicales ?

> Mes influences sont assez compliquées à définir, je n’ai jamais vraiment été un inconditionnel de tel ou tel musicien. Certains artistes m’ont donné du plaisir à écouter et à réfléchir : John Coltrane, Miles Davis, Herbie Hancock, Thelonious Monk, MacCoy Tyner, Eric Dolphy, Cecil Taylor, Gil Evans, Duke Ellington, Charles Mingus, Archie Shepp, Steve Coleman, Joe Zawinul... Je pourrais en ajouter beaucoup d’autres. Concernant mes références plus contemporaines (tous styles confondus), il y a John Zorn, Fred Frith, Marc Ribot, Joëlle Léandre, The Ex, Sonic Youth, Radiohead, Meshuggah, Blue Bob, Glenn Gould, Alain Bashung, György Ligeti, Olivier Messiaen, Jimi Hendrix, Nine Inch Nails, Aphex Twin... Je peux également citer le peintre Pierre Soulages, les réalisateurs David Lynch, Stanley Kubrik et Takashi Kitano. J’essaie de découvrir régulièrement de nouveaux artistes, qui font l’actualité ou qui ont existé il y a trente ans. Le dernier en date est un disque du groupe Big Black de 1987. Tous ces artistes et groupes ont une influence sur ma musique, ponctuellement ou non. Le système sociétal dans lequel nous vivons me fait aussi réagir et devenir de plus en plus radical dans ce que je fais.

> De quelles manières essayez-vous de transmettre ces influences dans vos projets ? Comment pouvez-vous définir votre univers musical ?

> Je ne suis pas sûr de transmettre mes influences de manière consciente. C’est souvent après coup que je me rends compte que tel disque ou artiste m’a peut-être influencé pour une composition. Si je le fais volontairement, cela ressemble plus à un hommage. Ça a été le cas il y a peu de temps pour l’introduction d’un thème inspirée de Frank Zappa, où je me suis intéressé à sa façon d’écrire pour le vibraphone et les instruments à vents. J’ai toujours une petite appréhension lorsqu’on me demande de définir mon univers musical ou de parler de mes influences. Cela abouti souvent à un étiquetage, qui selon moi est une spécialité française. Mon univers navigue entre le rock, le rock progressif, le jazz, la pop, les musiques improvisées, les musiques électroniques, la musique classique, contemporaine...

En tant qu’auditeur ou artiste, je ne suis pas spécialisé dans un style particulier. Il y a juste des artistes qui m’intéressent. Le jazz a pratiquement été pour moi la seule musique jouée pendant une dizaine d’année mais je ne me considère pas comme un spécialiste de celle-ci. Beaucoup de pianistes pratiquent ce langage mieux que moi. Je m’efforce tout simplement de créer et participer à des projets qui m’intéressent artistiquement. Je le fais de façon engagée en fonction de ma personnalité, de mon identité sociale et politique ; que ce soit quand je joue du clavier dans un groupe de rock ou lorsque j’écris pour un quatuor à cordes.

> Quels sont vos projets actuels ainsi que vos collaborations ?

Mickaël Sévrain

> Le premier disque du trio Call The Mexicans ! (« Amputate My Arm Or Kill Me ») sortira début 2009 ( sous le nouveau label MadRecordz). Je termine l’écriture du nouveau programme du Big Bang Chalon Bourgogne. Je travaille sur la prochaine création de l’ensemble Tumulte, que je co-dirige avec Cédric Ricard. Nous invitons à cette occasion Romain Sygroves  [4] pour une création prévue en 2010 autour du traitement sonore en direct de l’orchestre. Un nouveau projet en duo (Matar El Silencio) avec Philippe Gleizes est aussi à l’ordre du jour. Je vais participer au nouveau quartet d’Aymeric Descharrières avec Philippe Gleizes, Adrian Mears  [5] pour une création prévue en novembre 2009. Je poursuis mes participations au fender rhodes et clavier dans le projet live de Professor Psygrooves, dans le groupe de rock Point Zer0 dirigé par Aymeric Descharrières (chant, auteur-compositeur) avec Olivier Dumont (basse électrique) et Denis Desbrières (batterie). J’apprécie travailler dans des groupes plus orientés musiques électroniques avec Akhab (électro/ethno/jazz) qui vient de sortir le disque Cathar 6 et dans le duo Japanese Kiss avec Aymeric Descharrières.

- Vous considérez-vous comme un musicien régional ou national ?

  • Il m’arrive bien sûr de jouer en dehors de ma région mais c’est en Bourgogne que je joue le plus souvent. Je ne me pose pas ce genre de question. Dans cette région, nous avons la chance d’avoir des structures à l’écoute des créateurs comme le Centre Régional du Jazz en Bourgogne, le Tribu Jazz Festival (organisé par l’association Zutique Production), le Jazz Club d’Auxerre (association Service Compris), Média Music, l’association Cumulus ou D’Jazz Nevers qui m’ont permis à plusieurs reprises de mener mes projets à bien.

- Quelles sont pour vous les difficultés rencontrées pour pouvoir être reconnu et jouer au-delà de la Bourgogne ? Quelles solutions pourriez-vous proposer pour que l’accès à la scène nationale soit plus aisé pour un musicien régional ?

  • Lorsqu’on est jeune musicien, on a moins de visibilité en province qu’à Paris. C’est donc peut-être un peu plus long pour se faire connaître. Cela dépend aussi du style musical et de notre manière de présenter les projets. Quand on trouve quelqu’un qui vend les projets à notre place, c’est certainement plus simple. Pour être remarqué, il faut être le plus actif et créatif possible, en gardant une certaine cohérence dans ce que l’on fait, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’on va jouer partout. Il y a énormément d’artistes aujourd’hui donc ce n’est pas simple d’être programmé. Il y a des petits endroits qui ne peuvent organiser qu’une dizaine de concerts par an. Lorsqu’ils programment les groupes qui font l’actualité de l’année, il reste peu de place pour la création. Je n’ai pas de solution à part celle de continuer d’avancer et de créer sans relâche, avec le moins de concessions possible.

Le phénomène de collectif peut aider à se structurer et faire parler à plus long terme des individualités. Je n’ai jamais eu envie de surfer sur tel ou tel vague musicale comme il est tendance de le faire aujourd’hui. En ce moment, la mode est au rock et à la pop instrumentale teintée de jazz. Ce que j’entends me fait très souvent penser aux choses que l’on écoutait pendant la mode de l’électro-jazz. Il y a des « jazzmen » qui jouent de la pop ou du rock, mais souvent avec moins de créativité que les musiciens pop eux-mêmes. Il y a la forme sans le fond. Peut-être que cette nouvelle tendance nous amènera vers autre chose.

Il est vrai que certains musiciens sont connus sur le plan national assez rapidement, alors que d’autres devront attendre d’avoir 35 ou 40 ans. Tout cela n’est pas vraiment important. L’essentiel est que les artistes puissent s’exprimer sans discrimination et sans être censurés par les programmeurs qui pourraient penser que leur musique est trop ceci ou pas assez cela, et qu’elle ne plaira pas... Il faut laisser le public juger et lui permettre de le faire autrement qu’avec un système de notation à étoiles ou je ne sais quelle autre supercherie.

> Selon vous, est-il encore possible que les musiciens de votre génération puissent ne vivre que du jazz ou faut-il obligatoirement s’investir dans d’autres projets musicaux et culturels ? Le fait qu’il existe aujourd’hui de nombreux musiciens de la nouvelle génération est-il gênant pour le développement de votre activité ?

> Je n’ai jamais vécu uniquement du jazz même si c’est assez naturel pour moi. Je pense effectivement que de nos jours, il doit-être très dur de ne vivre essentiellement que de cette musique. Il est très enrichissant de participer à des projets hors de son « créneau », voir pluridisciplinaires. Beaucoup enseignent. Le métier d’artiste en général est de plus en plus précaire, surtout si on décide de prendre une direction un peu alternative et qu’on a l’odieuse idée de faire réfléchir les gens. Je pense que l’art est dépendant de la politique. Sa seule utilité est de faire réfléchir le public sous différentes formes. Je n’ai jamais perçu les autres musiciens comme des concurrents. Le fait que nous soyons nombreux rend le développement des projets forcément plus compliqué, mais c’est une bonne chose pour la diversité culturelle et musicale. Je ne suis pas carriériste. La seule chose qui m’importe est de continuer à créer sans calcul ni censure.


> Discographie :

  • Avec Jean-Philippe Morel et Philippe Gleize dans le trio Call The Mexicans ! : Amutate My Arm Or Kill Me (MadRecordz). Paru en 2009.
  • Avec Akhab : Cathar 6 (autoproduit), sorti en 2008.

> Liens :

[1Diplôme d’Etude Musicale

[2avec notamment le saxophoniste Julien Labergerie du collectif Q et Aymeric Descharrières

[3avec Andy Baron (batterie), Gil Lachenal (contrebasse), Fabrice Vieira (guitare), Geoffroy De Masure (trombone), Arnaud Boukhitine (tuba)

[4a.k.a Professor Psygrooves, album Foreign Pulses & Borderline Dubs à paraître chez Jarring Effects

[5tromboniste du Big Band de Carla Bley et du Vienna Art Orchestra...