Les 7, 8 et 9 Janvier...

Münster est une ville de Westphalie pas très loin de Düsseldorf, à ne pas confondre avec Munster en Alsace et dont le festival de jazz se situe en mai.

La 23ème édition du festival de Münster (Internationales Jazzfestival in Münster) fut riche en évènements exceptionnels.

  • Quatre ou cinq orchestres se succèderont de 18H à minuit, voire plus, et il y aura des concerts de début d’après midi dans la petite salle.

Le vendredi 7, Bobby Previte and the Pan Atlantic Band ouvrit les hostilités de belle manière. Le batteur s’était entouré du tromboniste italien Gianluca Petrella, du sax alto Wolfgang Puschnig, vieille connaissance, de notre Benoît Delbecq au fender rhodes et de Jerome Harris à la basse électrique. On se souviendra de son passage durable chez Sonny Rollins.

  • Musique survitaminée, arrangements impeccables, bien soulignés par le leader.

Les deux groupes qui suivirent furent malheureusement bien indigents. Le Trio Dolce Vita brilla surtout par la multitude d’instruments inutiles utilisés : clarinette, clarinette basse, glockenspiel, joujoux, violoncelle, boite électronique, basse et un truc genre mélodica à tuyau ! J’ai cependant bien aimé le violoncelliste, qui utilisa le gros violon comme une guitare ( ! ), tira de beaux sons de ce merveilleux instrument en pizzicato et le fit sonner à l’archet comme un sitar. Avec la clarinette basse et le sax baryton, je ne connais pas de plus belles sonorités. De plus, le matériau thématique fut simpliste, pour ne pas dire ringard, genre Charlie Chaplin.

Internationales Jazzfestival in Münster 2011

Vint ensuite le duo norvégien Sidsel Endresen/Hakon Kornstad, soit une vocaliste et un sax ténor. Je n’ai rien contre l’expérimentation mais ce fut d’un ennui mortel, en tous cas pas ... Le Pays du Sourire. Mme émit des sons inarticulés et Mr passa plus de temps à régler son système de boite électronique qu’à jouer du sax. À oublier très vite d’autant que la chanteuse se montra assez désagréable avec d’autres artistes.

La soirée se clôtura heureusement avec le Omri Mor andaloujazz trio. Un concert brillant, plein d’émotion et de racines méditerranéennes. Le premier titre, Shahar - qui fut repris en rappel - est une merveille de créativité mélodique qui devrait faire un malheur sur les radios qui programment du jazz. Le dernier, Atlas, est assez spectaculaire également d’autant qu’il donna lieu ce soir là à un final de folie : un solo de batterie étourdissant de Noam David qui nous souleva de nos sièges.

  • Omri Mor joua comme si c’était son dernier concert et cita malicieusement My little suede shoes immortalisé par Charlie Parker ainsi que l’emblématique A love supreme de John Coltrane.
  • Le répertoire est composé de musiques ancestrales de l’Algérie, de l’Egypte et du Maroc et d’un standard de jazz You and the night and the music, qui se pare d’une introduction magnifique, un thème à elle toute seule. Le bassiste Gilad Abro est un monstre de l’instrument et il emmena le trio d’une façon magistrale tout au long du concert.
    Gros succès populaire pour ce magnifique trio.

Le samedi 8 se déroula de la même façon, deux groupes magnifiques encadrant des formations de moindre intérêt. Tout d’abord le Gianluca Petrella cosmic band, formation italienne de grand talent conduite par son tromboniste de leader, déjà entendu la veille avec Bobby Previte. La musique est foncièrement avant-gardiste, comme une espèce de Mingus contemporain, pas d’arrêt entre les morceaux, pas de solos secs, toujours des riffs pour les soutenir, des ruptures de tempo, des stridences ténor/baryton. Free donc mais avec ce qui a souvent manqué à ce style de musique : une rythmique en acier trempé. Il y eut une version folle de Salt peanuts, avec un crescendo donnant à cette interprétation une grande dramaturgie. Outre l’excellentissime batteur Federico Scettri et le très bon bassiste Francesco Ponticelli j’ai bien aimé la belle outrance du sax ténor Francesco Bigoni. Quant à Gianluca Petrella, j’ai admiré sa science de conducteur d’orchestre autant que son grand talent de tromboniste sidéral et sidérant.

  • Cosmic band peut-être mais pour sûr une Avventura avec les pieds bien sur terre.

Nous eûmes ensuite droit au groupe Electronic moods avec principalement Barbara Buchholz et le renfort (?) du clarinettiste basse de Dolce Vita. B.B. jouait d’un drôle de machin appelé « theremin », style planche à repasser électronique avec antenne. La musique (?) fut... électronique et ne dura heureusement que trente minutes. Qui a inventé le terme "fée électricité" ? À en juger par le nombre de personnes agglutinées dans les coulisses, Barbara doit être une gloire locale.

Puis ce fut au tour de Ounaskari/Mikkonen/Jorgensen. Enfin du jazz ! Bon, pas de quoi sauter au plafond car ce fut la plupart du temps très ennuyeux. Le batteur Markku Ounascari triloguait avec le pianiste Samuli Mikkonen et le trompettiste/chanteur Per Jorgensen. La sonorité du cuivre m’a fait penser à celles des films réalistes italiens, c’est à dire à l’opposé de l’élégance d’un Chet Baker.

  • Musique réfléchie, froide, tout à fait le style de certains disques ECM.

Un grand coup de fatigue m’a empêché de pouvoir juger le Zanussi five mais je fus heureusement frais et dispos pour écouter, sur les choses de minuit et quart, le plus grand concert de tout le festival, le Joachim Kühn Trio.

Joachim Kühn trio « Out of the desert ».

Joachim Kühn trio «  Out of the desert ».

  • Tout le monde sait, ou devrait savoir, que le pianiste allemand est l’un des plus grands de toute l’histoire du jazz. Et aussi l’un des plus grands compositeurs. Du reste, les plus grands musiciens ont toujours été les plus grands compositeurs. Si vous enlevez la mélodie, le swing, le grain de folie, vous obtenez ce que j’ai fustigé plus haut.
  • Le déjà classique trio formé par Kühn comprend Majid Bekkas, brillant musicien marocain qui joue du guembri, utilise à l’occasion oud et kalimba et assure tous les vocaux dans la grande tradition de son pays natal. Mais il ne s’agit pas d’orientalisme bon marché, si je peux dire. C’est à la fois le Maroc et le jazz, et non le Maroc qui s’enjazze ou le jazz qui s’emaghrebine. Le guembri assure le rôle de la contrebasse avec un son beaucoup plus chatoyant.
  • Le batteur, si on peut encore parler de batteur lorsqu’il s’agit de Ramon Lopez, est une espèce d’OBNI ( objet battant non identifié ). Au sens propre du terme, il inventa sous le solo d’alto des choses inouïes et ce qu’il joua ce soir-là ne fut pas humain, en particulier dans le dernier titre où il tutoya les étoiles. Sous le rouleau compresseur du trio, le morceau se termina dans un paroxysme proche de l’orgasme, de la transe apocalyptique. Et son visage rayonnait de bonheur, tant il prenait un pied monstrueux. À se demander qui à ce moment-là était le leader. Après quoi un encore pouvait paraître dérisoire. Ramon utilise toutes les ressources percussives des nombreux accessoires de sa batterie, pas juste la caisse claire, la grosse caisse et la pédale hi-hat. La variété infinie de ce qu’il invente ferait presque oublier le tempo, même si celui-ci est toujours bien présent. Il ne ponctue pas seulement le discours de Joachim, il le vit, il en est partie intégrante, il en est habité autant qu’il l’habite.
  • Quant à Joachim Kühn lui-même, son jeu possède tout ce dont on peut rêver : la créativité mélodique, harmonique et rythmique, une sensibilité lyrique qui frise le romantisme, la fulgurance qui côtoie la folie, une technique foudroyante qui n’est jamais utilisée pour elle-même. L’anti Oscar Peterson quoi !
  • Ses tournures de phrases empreintes du langage de JSB ( Jean-Sébastien pour les dames ), font tellement partie de son patrimoine intime, génétique, que l’on croirait que c’est lui qui les a inventées !
  • Comme dans tous ses concerts, il joua du sax alto sur un titre, et fort bien ma foi. Mais j’ai la nostalgie du shehnai, ce hautbois oriental qu’il utilisa en 1969 sur un disque extaordinaire avec Michel Portal, Our meanings and our feelings, malheureusement jamais réédité en CD. Le vinyl se négocie autour des 2000 euros, mais les gens d’EMI font apparemment semblant d’être les seuls à ne pas le savoir ! Et le shehnai collerait tellement bien à la musique arabo-kühnienne de ce trio.

Mais c’est évidemment au piano qu’il délivra ses plus belles compositions, dont ce titre dantesque juste avant le rappel, et qui s’intitule, paradoxale ironie, Play golf in the fresh air !

  • Vient d’autre part de sortir un coffret de 6 Cds titré « Soundtime ». Écoutez le morceau n° 4 Source bleue du Meski dans le CD n° 3 « Klangbilder » et demandez-vous si vous avez déjà entendu quelque chose d’aussi monstrueusement beau.
  • Toujours est-il que ce concert fut l’apothéose du festival de Münster 2011. Il souleva l’enthousiasme du public et fut retransmis en direct sur les antennes de la WDR. Prévu à minuit, le concert démarra à minuit et quart et dura jusqu’à deux heures moins le quart du matin !
Céline Bonacina (sax baryton), au festival de Münster - janvier 2011
Photo © Matthias Wigger

Le dimanche 9, les hostilités commencèrent à 16 heures, et l’on put écouter préalablement deux groupes dans la petite salle.

  • Je passerai sur Pelbo, encore des norvégiens, pour saluer une performance grand cru du trio de Céline Bonacina. Saxophoniste en pleine ascension, Céline joue et se joue du plus gros et du plus beau des tuyaux à rêves, le saxophone baryton. Le répertoire pêcha dans le très riche vivier du disque «  Way of life » paru il y a quelques temps sur le label allemand ACT, où barbote également Yaron Herman. Mais comme qui dit jazz dit improvisation et donc création permanente, les morceaux furent émaillés de trouvailles, comme cette boucle de Au clair de la lune sur laquelle le sax improvisa joyeusement ( Jungle ). Car Céline Bonacina utilise, avec parcimonie et à bon escient, le re-recording. Le meilleur exemple de cette technique apprivoisée se révéla surtout dans Course poursuite. Sur Between two dreams, sa belle improvisation l’amena tout près d’une citation de A love supreme et j’adore sa façon de terminer Rab par la pirouette de Salt peanuts.
  • Mais la perle du concert fut évidemment la tendre ballade Free Woman, point d’orgue de ses talents de compositrice.
  • Ses accompagnateurs sont à la hauteur, Nicolas Garnier à la basse électrique et Hary Ratsimbazafy à la batterie. Comme Miles Davis, Céline Bonacina entretient une relation privilégiée avec son batteur, elle joue souvent « dans » la batterie.
  • Si vous n’avez pas encore le disque «  Way of life », lâchez votre copine ou votre copain et courez l’emprunter dans le magasin le plus proche !
  • Retour oblige, je n’ai pu entendre le Bitches Brew – the Voodoo Orchestra que pendant la balance, mais cela m’a paru très intéressant.

J’ai parlé de la retransmission radio pour Joachim Kühn mais son live fut sur WDR le top d’un programme pré-enregistré qui, de minuit à 6 heures du matin dans la nuit du 8 au 9, diffusa tous les concerts du 7 et du 8.

  • La programmation du festival était assurée par Fritz Schmücker, qui sut choisir de grands artistes et céda probablement à la pression norvégienne puisque se déroulait parallèlement une « Radio Jazz Research » sous l’égide de... la Norvège.
  • Fritz Schmücker fut en outre un excellent Master of Ceremony et ses présentations firent le bonheur des spectateurs.

Merci à Risna, grande organisatrice en chef, et à Birgit, pour leur aide, leur compétence et leur gentillesse de tous les instants.

Vivement Münster 2012 !

__2__

> Lien :