Joachim Kühn avec Archie Shepp, Stéphane Kerecki avec John Taylor.

L’art du duo réside dans l’équilibre, le respect mutuel mais l’exercice doit rester inventif et ludique. Une formule délicate qui nécessite une saine émulation. C’est ce qu’on trouve dans les disques des duos constitués de Joachim Kühn et Archie Shepp pour l’un et de Stéphane Kerecki et John Taylor pour le second de cette chronique. Deux duos qui pratiquent le fair-play avec une grande élégance.

Et nous profiterons de cette occasion pour donner un coup de projecteur sur au autre disque de John Taylor, en quartet cette fois.

Rien que du tout frais, tout neuf, chez votre disquaire !

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  Archie SHEPP - Joachim KÜHN : "Wo ! Man"

Archie SHEPP - Joachim KÜHN : "Wo ! Man"
ArchieBall / Harmonia Mundi

Dans le texte du livret qui accompagne ce joli digipack, Franck Médioni retrace la genèse de ce disque en trois étapes entre l’été 1967 et la fin de l’année 2010. Une histoire qui ne serait pas aussi belle si elle n’était portée par la fascination du pianiste Joachim Kühn pour les grands mythes du jazz qui sont une part de son rêve américain.

À New-York, au cours de l’été 67, tout se bouscule. Le jeune Joachim, alors âgé de 23 ans, enregistre en quartet pour le prestigieux label Impulse., assiste aux obsèques de John Coltrane et écoute Archie Shepp, en live, au Village Vanguard. Tout cela marque irrémédiablement un musicien !

Il y a une vingtaine d’années, Archie Shepp et Joachim Kühn ont eu l’occasion de jouer ensemble en Finlande dans un projet impliquant le batteur Edward Vesala. En 2010, ils se retrouvent dans le cadre du festival annuel sur l’île de Porquerolles (Var) où le saxophoniste a ses habitudes. Un concert en quartet à la bonne franquette qui les a incités à aller plus loin.

on aime !

L’enregistrement du disque a lieu quelques mois plus tard, en duo. Il donne à entendre une musique d’une profondeur remarquable, sans fard ni clinquant mais qui brille par sa sincérité et son authenticité. On perçoit que le respect est mutuel. Kühn se garde d’en faire trop et résiste à la tentation de la virtuosité (qu’on lui connaît... avec tout son talent) pour mieux envelopper le discours émouvant d’Archie Shepp.

Avec le temps, la sonorité du saxophoniste s’est sensiblement érodée, émoussée et le saxophone est véritablement devenu le prolongement de sa voix. Shepp chante et son saxophone revient à une forme primitive d’une grande beauté. Après les duos célèbres et magnifiques avec Abdullah Ibrahim, Horace Parlan, Sigfried Kessler, Mal Waldron et d’autres, ce Wo ! Man constitue une autre étape, presque une seconde époque où l’on perçoit la sagesse que confère le temps qui passe... Une effet tout aussi sensible chez Joachim Kühn.

On se gardera d’un passage en revue des plages mais on remarquera l’intelligence de la construction du contenu de ce disque qui s’ouvre sur Transmitting, pour inviter au cheminement avec comme repères Ellington (Sophisticated Lady, à fleur de peau), Ornette Coleman (Lonely Woman, éloge de la solitude, à deux !), Harlem Nocturne pour revenir aux fondamentaux de la musique afro-américaine. L’un et l’autre sont venus avec des compositions de leur cru et en ont imaginé deux en commun avec toute la créativité que leur confère leur expérience du jazz.

Wo ! Man : un disque simple et beau qui marque la réussite d’une rencontre exceptionnelle.

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  Stéphane KERECKI / John TAYLOR : "Patience"

Stéphane KERECKI / John TAYLOR : "Patience"
Zig-Zag Territoires / Harmonia Mundi

Stéphane Kerecki est contrebassiste, compositeur, leader d’un trio estimé et très estimable (avec Matthieu Donarier et Thomas Grimonprez) . C’est aussi un musicien qui aime les rencontres qui peuvent ressembler à des défis personnels.

  • Avec son trio, il avait invité le saxophoniste Tony Malaby pour l’album Houria en 2009. Une réussite largement et justement saluée (Oui, CultureJazz avait aimé !)

Cette fois, il se retrouve en tête à tête avec le pianiste britannique John Taylor auquel il propose ses propres compositions en y ajoutant Jade Visions de Scott LaFaro (contrebassiste étroitement complice du pianiste BIll Evans). Pour faire bonne mesure et s’octroyer une récréation, les deux hommes improvisent un Intrelude (plage 6) et l’Epilogue.

On connaît l’élégance sans mollesse ni compromis de John Taylor à travers ses nombreux enregistrements en sideman, leader ou co-leader pour le label ECM en particulier (voir ci-dessous, son disque en quartet). Aujourd’hui, John Taylor poursuit son vol au-dessus du jazz, en gentleman porteur d’une certaine sagesse : simple, disponible et toujours très investi dans les projets auxquels il collabore (quand ce ne sont pas les siens).

Avec Stéphane Kerecki, l’entente est parfaite. La musique prend rapidement son envol et les compositions du contrebassiste proposent de beaux espaces assez ouverts pour permettre à chacun de s’exprimer avec chaleur et beaucoup de finesse et de sensibilité. Un duo vraiment fair-play mais pas au détriment du jeu qui reste vif et animé.

  • Le pianiste Guillaume de Chassy caractérise fort bien la musique de ce disque : "De cette contrebasse vivace et de ce piano coloriste, naît une musique qui brûle d’un feu paisible ; une musique pour traverser la nuit qui s’invente sur le fil du rasoir...".

Après cela, on imagine votre impatience de découvrir ce beau disque, Patience.

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Et pour compléter, encore un nouveau disque de John Taylor en quartet cette fois ! On ne s’en plaindra pas !

  John TAYLOR : "Requiem for a dreamer"

John TAYLOR : "Requiem for a dreamer"
CamJazz / Harmonia Mundi

Un quartet qui réunit deux générations de musiciens. Dans la catégorie des "vétérans" du jazz européen forts de leur(s) riche(s) expérience(s), John Taylor retrouve le contrebassiste norvégien Palle Danielsson . Le saxophoniste Julian Argüelles et le batteur Martin France ne sont pas des nouveaux venus mais ils appartiennent à cette génération du jazz britannique souvent frondeuse qui s’est illustrée dans des formations comme Loose Tubes dans les années 80 aux côtés du pianiste Django Bates.

Ce requiem n’est pas une musique d’enterrement, à l’européenne du moins ! Pour composer cette suite crée en Grande-Bretagne en 2007, John Taylor s’est inspiré de l’œuvre de l’écrivain américain Kurt Vonnegut, un spécialiste de la science-fiction qui a incité le pianiste à imaginer des structures rythmiques et harmoniques originales qui confèrent à cette série de 7 pièces un caractère particulier et cependant très abordable pour l’auditeur lambda !

Une formation solide au service d’une musique de grande qualité et bien vivante !

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  > Les références :

> Archie SHEPP - Joachim KÜHN : "Wo ! Man" - ArchieBall ARCHI1102 - distribution Harmonia Mundi

Archie Shepp : saxophones / Joachim Kühn : piano

01. Transmitting (Kühn) / 02. Nina (Shepp) / 03. Drivin’ Miss Daisy (Shepp) / 04. Sketch (Kühn / Shepp) + Monette (Shepp) / 05. Harlem Nocturne (E. Hagen / D. Rogers) / 06. Lonely Woman (O. Coleman) / 07. Segue (Kühn / Shepp) / 08. Sophisticated Lady (D. Ellington)

Enregistré à Meudon, France, les 15 et 16 novembre 2010.

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> Stéphane KERECKI / John TAYLOR : "Patience" - Zig-Zag Territoires ZZT 110402 - distribution Harmonia Mundi

Stéphane Kerecki : contrebasse, compositions sauf 6, 10 et 12 / John Taylor : piano

01. Prologue / 02. Manarola / 03. Patience / 04. Kung Fu / 05. Gary / 06. Interlude (improvisation) / 07. La source / 08. Valse pour John / 09. Bad Drummer / 10. Jade Visions (Scott LaFaro) / 11. Luminescence / 12. Épilogue (improvisation)

Enregistré au studio Sequeza, à Montreuil (France) fin septembre 2010.

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> John TAYLOR : "Requiem for a dreamer" - CamJazz CAMJ 7834-2 - distribution Harmonia Mundi

John Taylor : piano / Julian Arguelles : saxophones soprano et ténor / Palle Danielson : contrebasse / Martin France : batterie

01. Requiem For a Dreamer / 02. Somebody I Used To Be / 03. Ice 9 / 04. Unstuck In Time / 05. So It Goes / 06. Calypso 53 / 07. Requiem 2

Enregistré en 2008.

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  > Liens :

Archie Shepp / Joachim Kühn :

Stéphane Kerecki / John Taylor :

John Taylor :

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