"Les musiciens de Brême"... version Jazz

La foire au jazz

A Brême, Jazzahead est le seul endroit d’Europe où l’ensemble de la profession se rencontre. Stands sur deux niveaux et show-cases à tous les étages dans un centre de congrès moderne. Des lieux de concerts multiples, les principaux étant géographiquement proches afin de limiter les déplacements, et une offre pléthorique autant que frustrante de sets de trente minutes dont certains en simultané sur deux lieux. L’accueil est parfait, les choses sont claires. Tout est parfaitement organisé avec un sérieux et un professionnalisme épatants.

Au premier abord, la sensation de voir des producteurs et des artistes, des tourneurs et des institutionnels, aller et venir d’un rendez-vous à l’autre à seule fin de vendre untel ou untel, tel endroit plutôt qu’un autre, est assez étrange pour ne pas dire surréaliste. Le jazz est là donc et le public est presque uniquement professionnel. Au-delà de l’Europe, le monde du jazz s’invite à Brême durant quatre jours. Canadiens, russes, estoniens, finlandais, américains, espagnols (invités d’honneur cette année), allemands, etc. sont là pour promouvoir le jazz de leur pays. Incontestablement, c’est une affaire qui tourne. Nous n’allons pas nous en plaindre car pour nous, ce fut l’occasion d’écouter bien des artistes jamais programmés en France et de rencontrer autant de nouveaux interlocuteurs avec lesquels l’échange sur la vie du jazz dans leurs pays fut très instructif.
Et l’on s’aperçoit très vite d’une chose simple : les acteurs du jazz rament où qu’ils soient localisés. A croire que cette musique est maudite. Mais si l’on y réfléchit un tant soit peu, c’est la culture en général qui passe sous les fourches caudines de la crise et du désintérêt des gouvernements. Les théâtreux, les cinéastes indépendants, les artistes de profession, tous le disent et en souffrent dès lors qu’ils sont hors du circuit officiel de la culture de masse dont on sait qu’elle relève plus du loisir que de la création.
Il faut donc faire avec.
Avec rien ou presque, bien sûr.
D’où l’importance d’une initiative comme Jazzahead qui permet la rencontre et l’échange. Un réseau international devrait de la sorte se tisser année après année et permettre aux jazzmen, espérons-le, de jouer et de jouer encore.

Cependant, côté musique, Jazzahead empile un peu, passez-moi l’expression. 30 minutes par set et par groupe. Pas plus, pas moins. Des conditions qui ne permettent pas aux musiciens de se concentrer réellement, avec en sus de fréquentes allées et venues dans les lieux de concerts qui perturbent les musiciens autant que le public.
Qu’on le veuille ou non, à Jazzahead, il faut faire des choix.
On ne s’en n’est pas privé, mais à regret.

[ Diaporama Jazzahead ! 2012 : cliquez sur le première image puis lancez le diaporama.]

Céline Rudolph
© Yves Dorison
Florian Weber - Brême, avril 2012
© Yves Dorison
Muhittin Temel (Lebi Dreya) - Brême, avril 2012
© Yves Dorison

> Vendredi 20 avril 2012

Celine Rudolph

Céline Rudolph, chant / Rüdiger Ceruso Krause, guitare, chant / Pepe Berne, basse / Heinrich Koberling, batterie

Un beau grain de voix et une ambiance oscillant entre swing, chanson et rythmes ensoleillés . Au final, un mélange des genres qui nuit à la cohérence de l’ensemble mais qui demeure de très bonne facture.

Minsarah electric

Florian Weber, piano, Fender Rhodes / Jef Denson, contrebasse / Ziv Ravitz, batterie

La dernière fois que nous avons vu Minsarah, c’était derrière Lee Konitz et c’était fort différent de ce que nous avons écouté aujourd’hui. Sur un répertoire de reprises uniquement,de Beyoncé à Lady Gaga, le trio de Weber ne fait pas toujours dans la demi-mesure mais s’en sort plutôt bien. Certes on retrouve le sillon initialement creusé par EST d’abord, The Bad Plus ensuite, mais il faut avouer que le pari est réussi et que l’on perçoit en premier lieu l’originalité d’un trio régulier qui maîtrise ses fondamentaux et qui se plaît à à jouer au Lego avec les pop-songs du moment en créant des structures très jazz sur des mélodies originales qui n’avaient pas imaginé le sort que des musiciens de talent pouvaient leur faire subir.

Lebi Derya

Stefan Baumann, sax, clarinette basse / Johannes Stange, trompette / Muhittin Temel, kanun / Joss Turnbull, percussions, électronique

Un nom qui interroge et qui signifie « au bord de l’océan ». Une musique étonnante entre musique de chambre et orientalisme. Un joueur de Kanun, ce qui est plutôt rare dans le jazz, un saxophone, une trompette et un percussionniste qui propose une musique très construite, contrastée, faite d’allées et venues entre deux mondes, tour à tour rêveuse ou puissante. On se laisse prendre sans effort tant l’originalité du concept est flagrante. Une belle réussite.

Daniel Erdmann
© Yves Dorison
Cécile Verny - Brême, avril 2012.
© Yves Dorison

Carsten Daerr / Daniel Erdmann

Carsten Daerr, piano, percussions / Daniel Erdmann, saxophone

Un piano très préparé avec des percussions, un saxophone ténor nu comme un ver(s). Sur des compositions originales très mélodiques et fortement ancrées dans le rythme, Carsten Daerr et Daniel Erdmann ont donné une leçon d’improvisation comme on aime en entendre. Beaucoup de liberté et d’inventivité, beaucoup de complicité que l’on sent immédiatement et qui ne se dément pas tout au long du concert. C’est là que l’on perçoit les limites du show-case de trente minutes. Une heure de plus ne nous aurait pas dérangé, loin s’en faut.
À suivre s’ils passent dans votre région, bien évidemment.

Cécile Verny quartet

Cécile Verny, chant / Lars Binder, drums / Andreas Erchinger, piano / Bernd Heitzler, contrebasse

On pourrait croire de prime abord que ce quartet avec chanteuse est issu de la pure tradition swing. On s’aperçoit rapidement qu’il n’en va pas ainsi. Le swing est la assurément, mais les thématiques développées sont variées. Compositions originales, mise en musique de poèmes de William Blake nous surprennent agréablement. Le quartet est rodé et Cécile Verny, portée par une voix féline et puissante, impose une présence remarquable de justesse. Elle sait en outre tenir la scène et ce, pour le plus grand plaisir d’un public qui aurait volontiers profiter de ce talentueux quartet plus d’une demi-heure.

James Davis (Chicago Goes West) - Brême, avril 2012
© Yves Dorison
Malcolm Braff - Brême, avril 2012
© Yves Dorison

> Samedi 21 avril 2012

Karl Shwonik & Chicago goes west

Karl Shwonik, batterie / James Davis, trompette / Sean Pentland, contrebasse

Avec un intitulé pareil, on imagine, allez savoir pourquoi un groupe conséquent et l’on se retrouve devant un trio au format inhabituel : trompette, contrebasse, batterie. Beaucoup de compositions originales empreinteS d’un lyrisme aérien. Comme souvent dans le jazz canadien, on éprouve à l’écoute une sensation de grands espaces (voyez le disque de Karl Jannuska avec Sienna Dahlen, entre autres) assez typique. Sur des grilles fortement structurées autour d’un batteur leader très présent qui laisse filtrer des réminiscences tribales répétitives, le trompettiste et le contrebassiste délivrent des ambiances mélodiques oscillant entre souplesse et rugosité. Une musique assez surprenante, séduisante, à laquelle on se laisse prendre sans effort,

Malcolm Braff trio

Malcolm Braff, piano / Reggie Washington, basse / Lukas König, batterie

Là, ce n’est pas une nouveauté. On connaît le pianiste brésilien émigré en Suisse depuis longtemps. Qu’il ait trente minutes ou toute la soirée devant, Malcolm Braff empoigne le piano avec sa force habituelle, parfaitement soutenu par Reggie Washington et Lukas Konig. L’Afrique qui l’a vu grandir est au rendez-vous d’un set d’une rare puissance. Mélodies hypnotiques et train d’enfer à peine interrompu par une méditation musicale toute de sensibilité n’ont pas laissé une seconde de répit à un auditoire captivé.

Emile Parisien quartet

Emile Parisien, saxophones / Julien Touery, piano / Ivan Gelugne, contrebasse / Sylvain Darrifourcq, batterie.

Nous voici là en terrain connu. On apprécie toujours d’écouter des artistes que l’on suit. Le public du lieu, moins habitué que nous ne le sommes, prend une bonne gifle et découvre l’univers chaotique du quartet. Pulsions vitales en bandoulière, Emile Parisien et ses acolytes Transfigurent la musique en une urgence métaphorique. Dieu m’a brossé les dents.

Émile Parisien - Brême, avril 2012
© Yves Dorison
François Corneloup - Brême, avril 2012
© Yves Dorison
Mathias Malher (Journal Intime) - Brême, avril 2012
© Yves Dorison

François Corneloup trio

François Corneloup, saxophone baryton / Hélène labarrière, contrebasse / Simon Goubert, batterie

Le line-up parle de lui-même. C’est la crème qui s’installe pour trente petite minutes dans la Borgward saal du centre de congrès brêmois. L’expressivité Corneloupienne (?) est au rendez-vous. Là encore, nous sommes en terrain connu. Mais qu’est-ce que c’est bon ! Simon Goubert et Hélène Labarrière jouent leurs vies. Personne ne s’y trompe. Et nous regrettons une fois encore le format trop court de la prestation.

Journal intime

Sylvain Bardiau, trompette / Frédéric Gastard, saxophone basse / Matthias Malher, trombone

Une découverte. Un mini brass band à l’énergie dévorante qui propose des compositions inusitées. Une incontestable réussite toute d’évidence et de complexité avec des improvisations au long cours baignant dans une polyphonie qui a scotché le public. Et nous avec. La fièvre du samedi soir, vous dis-je.

Marius Neset - Brême, avril 2012
© Yves Dorison
Solveig Slettahjell - Brême, avril 2012
© Yves Dorison

Marius Neset « Golden Xplosion »

Marius Neset, saxophones / Ivo Neame, piano / Jasper Helby, contrebasse / Anton Eger, batterie

À 25 ans, le norvégien Marius Neset n’a peur de rien et surtout pas de souffler dans un saxophone. Élève de Django Bates, il dispose d’une phénoménale technique et d’une puissance du même tonneau. Avec son quartet, il semble bien que son but est l’explosion. Brillant improvisateur, inspiré par Michael Brecker, il dégage une énergie rare et vous balance d’interminables soli en déversant les notes à la vitesse de l’éclair. Tant et si bien que l’on a toujours l’impression de rater quelque chose. Au début du moins. Au bout d’un moment, on se demande bien où il veut en venir et nous, si on ne va pas partir. Autour de lui son trio peine à trouver sa place, ce qui paraît normal vu celle prise le leader. Le jazz moderne de Neset est de qualité cependant, avec notamment des structures rythmiques complexes oscillant entre binaire et ternaire qui ne manque pas d’intérêt. Mais bon, Marius doit impérativement calmer ses ardeurs juvéniles sous peine de devenir un phénomène de foire et seulement cela. Ce serait dommage.

Solveig Slettahjell / Morten Qvenild

Solveig Slettahjell, chant / Morten Qvenild, claviers, chant

C’était son anniversaire. Alors le public lui a chanté le happy birthday de circonstance. Chanteuse renommée de la scène norvégienne, Solveig Slettahjell possède une voix au grain subtil qu’elle laisse s’exprimer sur des ballades d’une grande finesse. Son pianiste quelquefois la soutient de sa voix. Ce n’est pas sirupeux. C’est plutôt bien fait. Il y manque juste du relief. Quelques aspérités auxquelles se raccrocher. Au troisième morceau, j’ai pensé qu’il me fallait plier bagages. Au quatrième, j’ai agi dans ce sens. Ce duo ne m’inspirait aucune animosité, soyez-en sûrs. C’est juste qu’il ne m’inspirait pas.

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> JAZZAHEAD ! s’est déroulé du 19 au 22 avril 2012 au Centre des Congrès de Brême (Allemagne).

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