Pendant la crise, la création continue.

Le Studio de l’Ermitage a mis ses habits de club de jazz : des chaises et des tables sur le dance floor, ce qui, vu la jeunesse du public, ne vise qu’à réjouir les plus anciens jazz addicted aux jambes déjà lasses à l’idée de se taper le concert debout.
Outre les musiciens qui vont se produire, la famille du jazz est largement représentée dans le public, ce qui donne à l’ensemble un goût de réunion entre amis, un soir de printemps, au coin d’un bar. On papote voicing entre pianistes, on discute "ma petite entreprise et la crise" pour la traverser et survivre, on serre une jeune et belle créature de (très) près, on s’en fume une petite sur le trottoir, entre contrebassistes. La vie qui va bien.

Peter Herbert, Jean-Charles Richard, Wolfgang Reisinger - Paris, 23 mai 2012
© Christian Ducasse

Le JEAN-CHARLES RICHARD TRIO ouvre le bal, lui-même aux sax soprano et baryton, Peter HERBERT à la contrebasse et Wolfgang REISINGER à la batterie. Le programme est fidèle à son CD Traces tout chaud déposé dans les bacs. Traces : la trace des anciens sur les épaules desquels il se huche ? Ses traces qu’il entreprend de graver ici et là ?
Le premier morceau, Tumultes, nous cueille à froid et nous scotche à la chaise : tempo élevé, thème accidenté, comme on le dirait d’une route pas encore autoroutisée et omniprésence de J-Ch Richard qui pousse et pousse et pousse au baryton.
Suivent quatre pièces plus apaisées dont Wiener ( un hommage au bassiste ? ), le Reliquaire du Bonheur et Firmament dont la présentation sur scène relève d’un culot, d’un aplomb et d’une hardiesse assez phénoménaux. Un son unique, au sax baryton, va occuper l’espace sans cesse, alimenté par la respiration circulaire du souffleur, renforcé d’abord par le bassiste à l’archet puis par le batteur tout en frottements délicats. Exercice subtil et appliqué qui explore le timbre ( harmoniques, bruits colorés... ) d’un seul son. L’ectoplasme d’Evan Parker flotte sous le plafond. Ambiance chtonienne et ouranienne, écoute impeccable du public qui ne bouge pas d’un cil et grand soupir bénaise à la fin. Une pièce dédiée aux papillons, Myosotis, fera la transition avec le dernier opus écrit par le bassiste, Neige grave.
Trio solide, trois lascars en pleine maturité musicale, pépères et déterminés à la fois, complices. Et comme l’a écrit le leader, "avec Traces, je souhaite m’affranchir de l’héritage des maîtres, et c’est bien là un paradoxe : tout en chérissant ce qu’ils m’ont apporté, je désire désormais continuer à me conjuguer à la première personne".

Christophe Marguet - mai 2012
© Christian Ducasse

Le CHRISTOPHE MARGUET QUINTET prend la relève pour nous jouer des pièces de Pulsion, un CD et un DVD eux aussi juste nés à la commercialisation, Christophe MARGUET à la batterie, Bruno ANGELINI au piano, Mauro GARGANO à la contrebasse, Sébastien TEXIER au sax alto et clarinettes et Jean Charles RICHARD.
Après la création du splendide "Constellation" à Jazz sous les pommiers il y a quelques jours, Christophe Marguet en remet une couche dans le genre : sérieux, dense, intense, structuré, cohésif, abouti...
Ils sont tous bons, très bons, pris un par un à travers leurs soli ou deux par deux (Coral Spirit pour le duo basse-batterie) ou ensemble dans l’exposé des thèmes et leur conclusion. S’enchaînent entre autres Tiny feet dance, San Francisco, Noces, le Repère avant de nous quitter sur Amboseli, hommage à une toute petite réserve de 400m2 là-bas, quelques part dans le grand sud de la planète.
Tant qu’à faire le difficile-et-pinailleur, en oubliant le haut niveau de ces deux groupes, il (m’)a manqué ce petit grain de folie qui s’en vient tournebouler et chavirer l’auditeur plus sûrement qu’une valse à l’envers au point de le faire choir de sa chaise. La prochaine fois peut-être sûrement ?

Merci à Christian Ducasse pour la photo du trio, réalisée au Studio de l’Ermitage, l’après-midi du 23 mai et celle de Christophe Marguet, à Coutances le 17 mai.


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