Le festival Africolor s’efforce, depuis plus de vingt ans, de mettre en avant la culture musicale africaine dans le cadre d’une série de concerts qui se déroulent dans différents lieux de Seine Saint-Denis.

Parmi les coups de cœur de cette 24ème édition (17 novembre au 24 décembre2012) : le quartet de Ray Lema, le duo Ballaké Sissoko / Vincent Ségal, la création « Oratorio Mandingue » écrite par Pierre Marcault et Franck Tortiller avec la chanteuse Mah Damba Kouyaté et l’ensemble vocal Sequenza 9.3, la « Trilogie des mécaniques frivoles » du violoncelliste Vincent Courtois et du conteur André Ze Jam Afane, le World Kora Trio avec notamment le joueur de kora malien Chérif Soumano...
D’autres artistes plus fréquemment présents sur les scènes des musiques jazz et improvisées sont présents dans des projets qui les associent à des musiciens africains : Daniel Erdmann, Mike Ladd, Hervé Samb, Benat Achiary, Michel Marre, Rémi Sciuto...

Notre curiosité nous a porté sur une soirée intitulée « Échappées africaines » qui se tenait le 7 décembre dernier à Bobigny et qui n’avait pas pour but exclusif de présenter une musique au caractère typiquement africain. En première partie, un accueil assez bref par la bande à pied Follow Jah, sans grand intérêt sur le plan musical hormis celui de découvrir pour la première fois le chant un peu faussé de ses trompes caractéristiques aux sonorités monophoniques accompagnées de rythmes endiablés.

Andy Emler - photo Christian Ducasse (2009)
© C. Ducasse

En seconde partie, une création en trio réunissait le pianiste Andy Emler, le merveilleux Ballaké Sissoko à la kora et le saxophoniste Guillaume Orti.
Emler ne déroge pas à ses blagues habituelles : la fameuse suite en cinq mouvements dont un premier de quarante-cinq minutes... Et puis une nouvelle : la prononciation à l’africaine de son prénom « N’di »... Les trois musiciens n’en sont pas à leur coup d’essai. Ils s’étaient déjà rencontrés en 2008 dans le cadre de la création « Du griot au slameur ».
Andy Emler et Ballaké Sissoko ont aussi tenté l’expérience d’un duo à l’Abbaye de Royaumont. Le saxophoniste Guillaume Orti a enregistré avec le fameux MegaOctet et figure en duo sur le disque « Pause » du pianiste [1].
La rencontre de ces trois musiciens était donc assez logique. Le trio trouve rapidement un langage commun. Les sonorités et l’écoute mutuelle des trois improvisateurs y sont pour beaucoup. L’ouverture de chaque musicien à la culture de l’autre semble être le fil conducteur qui fait que la mayonnaise prend. Loin des « folies emleriennes » qui ont fait du MegaOctet un orchestre à l’univers musical unique et résolument jouissif, ce projet n’est pas non plus à ranger (pour ceux qui oseraient le faire) dans le large champ des musiques du monde. Il s’agit juste d’une rencontre entre trois grands solistes pour jouer une musique qui incite au voyage et à la découverte, non loin de certaines sonorités africaines sans pour autant se confondre avec cette musique. Chacun garde son identité musicale : Emler avec ses lignes répétitives d’accompagnements et son attache importante au rythme, Orti par son aptitude à voler dans les suraigus et à proposer des sonorités inouïes, enfin Sissoko pour son phrasé proche du chant et surtout son immense maîtrise de la kora, qu’il s’est très bien utiliser dans un contexte de musique improvisée. Une belle réussite qui, on l’espère, ne sera pas que l’objet d’une création éphémère pour un concert unique.

Échappées africaines avec le Surnatural Orchestra - Festival Africolor, 7 décembre 2012
© Festival Africolor

En dernière partie, nous retrouvions avec plaisir le Surnatural Orchestra. Cet orchestre de dix-neuf musiciens a fait ses preuves sur de nombreuses scènes et démontre l’inventivité musicale d’une nouvelle génération très prometteuse, qui a fait le choix d’opter pour une direction collective. L’orchestre impose par son effectif qui lui permet de jouer sous différentes configurations dans un même concert, par sa masse sonore équilibrée, mais surtout pour son univers musical inhabituel, qui oscille entre l’ambiance d’une grande fanfare festive gardant sa propre identité, d’une musique conteuse d’histoires, d’un univers parfois plus assimilable au monde du jazz contemporain et des musiques improvisées, des moments plus transes propulsés par des rythmiques dansantes et énergiques, en passant par une écriture qui trouve très bien sa place dans l’illustration de spectacles de différentes natures.
À ce titre, l’orchestre poursuit sa collaboration avec le monde du cirque dans « La Toile » (qui avait ravi le public du Paris Jazz Festival en 2011), le cinéma (« Profondo Rosso »), la danse, la chorégraphie et le théâtre d’objets avec « Rites », une création proposée dans le cadre de l’édition 2012 du festival Africolor.
De cette rencontre naît une forme hybride inédite, à considérer comme une sorte de concert dansé où l’orchestre et ses comparses, sur un répertoire composé pour l’occasion, prennent à bras le corps cette scène imposante, décorée par une soixantaine de figures tutélaires de toutes les couleurs, sortes de totems en forme de masques, issus de rebuts de nos trottoirs et poubelles. En dehors du décor imposant et original, on salue le travail d’écriture qui fait que la musique, très loin des influences africaines, colle très bien avec l’environnement proposé, les chorégraphies contemporaines associées mais aussi avec les jeux de lumières, la mise en scène et la personnalité musicale très affirmée de certains musiciens qui excellent dans leurs improvisations : Antoine Berjeaut et Julien Rousseau (trompettes), Raphael Quenehen, Nicolas Stephan, Fabrice Theuillon et Robin Fincker (saxophones), Fidel Fourneyron (tuba), Antoine Berland (claviers) et Sylvain Lemêtre (percussions) pour ne citer qu’eux...

Cette création prouve que le Surnatural Orchestra sait pleinement imposer son univers musical très singulier et côtoyer d’autres formes d’arts avec un grand succès.


> Liens :

[1...organiste en l’occurence dans ce disque ! NDLR