De l’improvisation collective à l’« émouvance » du solo.

  Un altiste virtuose à la recherche des rencontres musicales, artistiques et humaines.

Guillaume Roy - Jazz à La Tour - août 2012.
Guillaume Roy - Jazz à La Tour - août 2012.
© Thierry Giard / CultureJazz.fr

Guillaume Roy est de ces musiciens qui disposent aujourd’hui d’une expérience suffisante pour écrire les plus belles pages du jazz contemporain et surtout improviser sur scène de façon spectaculaire. Depuis plus de deux décennies, il ne cesse d’explorer la relation étroite qui relie l’écriture à l’improvisation, confondant parfois l’un avec l’autre pour offrir une musique toujours novatrice.
Altiste virtuose et iconoclaste, en quête de nouveaux rapports entre des formules orchestrales d’inspiration occidentale et l’improvisation libre, Guillaume Roy est aujourd’hui sur tous les fronts de la musique improvisée contemporaine, sans cesse à la recherche de nouvelles confrontations musicales, artistiques, et humaines. Comme soliste, il a travaillé avec Antoine Hervé, Hasse Poulsen, Jean-Claude Asselin, Pierrick Hardy, Manuel Villarroël, Luc Le Masne, Denis Colin, Didier Petit, Bruno Wilhelm, Joëlle Léandre, Christophe Marguet, Hélène Labarrière, François Raulin, Marc Ducret...

La musique contemporaine fait aussi partie de son univers : Ivo Malec, Camille Roy, ensemble Aleph, Laborintus, des musiciens de l’Ensemble Intercontemporain de Pierre Boulez... Il se produit avec le danseur Giovanni Cedolin pour un duo dans lequel « Il s’agit d’écrire l’instant et l’espace, de le danser et de le jouer, de le composer et chorégraphier in situ, avec la même précision que s’il était écrit depuis longtemps ». Il travaille régulièrement avec la comédienne Corinne Frimas. Il est associé à des spectacles qui mêlent musique et théâtre, le dernier en date étant « Neige rien » sur des textes de Valérie Rouzeau, avec la compagnie Vertigo, mis en scène par Michel Froehly. Il a collaboré avec Dominique Vissuzaine, Jacques Templeraud, Gilles Zaeppfel, Les Théâtres de cuisine, Le Théâtre du Campagnol... Soucieux de transmission, il dirige le département jazz de l’E.N.M.D. d’Évry (Essonne) depuis 1983.

Guillaume Roy, Claude Tchamitchian & Vincent Courtois : "Amarco" - août 2012
Guillaume Roy, Claude Tchamitchian & Vincent Courtois : "Amarco" - août 2012
"Jazz à La Tour" - © CultureJazz.fr

Que ce soit dans des formations collectives telles que le quartet IXI qu’il créa en 1994, réunissant Régis Huby (violon), Irène Lecoq (violon) et Atsushi Sakaï (violoncelle) ou les trios totalement improvisés avec Hasse Poulsen (guitares) et Bruno Chevillon (contrebasse), Vincent Courtois (violoncelle) et Claude Tchamitchian (contrebasse), Didier Petit (violoncelle) et Hélène Labarrière (contrebasse) ou dans ses propres formations, Guillaume Roy a toujours su apporter une touche très personnelle à la musique tout en respectant l’apport très riche que constitue la dimension collective d’une formation bien constituée.
On le retrouve récemment sur disque dans un contexte plus écrit au sein du trio « Station MIR » avec Christophe Monniot et Didier Ithursarry.

Si ces formations présentent une musique acoustique, Guillaume Roy a aussi été à l’origine d’un quartet inédit (créé lors de sa résidence au Triton en 2011) : "Guillaume Roy et les sales jeunes" avec Pierre Tereygeol (guitare), Florent Corbou (basse) et Benjamin Mourocq (batterie). Cette petite bande de jeunes pleins d’avenir, à l’imagination fertile et à la maturité étonnante est allée creuser loin des codes traditionnels. Elle invente une musique nouvelle pleine d’énergie, d’audace, d’urgence libre, construite sur le fil électrique. Cela prouve que ce Roy de l’alto est aussi à l’aise dans ce domaine que dans celui de la musique acoustique.


Il a flirté avec les sonorités électriques dans une autre expérience éphémère en concert avec un quintet intitulé "La mécanique du charme" qui réunissait Hasse Poulsen, Guillaume Roy, Bruno Chevillon, Jean-Luc Cappozzo (trompette) et Edward Perraud (batterie) en 2005 lors des Rencontres Internationales de Jazz de Nevers. Un événement inoubliable, dont je fus le témoin heureux, qui n’a malheureusement pas connu de suite, ni en concert ni sur disque et on ne peut que le regretter car la musique y était sublime.

L’altiste est aussi demandé dans des formations françaises à l’effectif plus important, comme l’orchestre « Dédales » de Dominique Pifarély dans lequel il joue un rôle primordial aux côté du violoniste leader, le projet franco-chinois Tian Xia, avec le collectif La Forge CIR, l’ancien nonet de Denis Colin et son ensemble « Les Arpenteurs » avec sa musique très voyageuse, le programme « Gesualdo Variations » de David Chevallier avec son côté baroque, le nouveau Grand Lousadzak de Claude Tchamitchian dont la création est prévue pour début 2013, le projet « Verlaine - Les airs » de John Greaves en octet créé au Triton courant 2012... (lire l’article d’Alain Gauthier)





  Deux disques récents : « Exubérances » et « From Scratch ».

Guillaume ROY Quartet : "Exubérances"
Guillaume ROY Quartet : "Exubérances"
Le Triton / Musea

La parution du disque « Exubérances » en quartet (enregistré lors de sa résidence au Triton) avec les saxophonistes François Corneloup et Christophe Monniot ainsi que l’excellent pianiste Julien Padovani prouve que l’altiste sait aller au bout des choses. Il signe une musique très sensible, libre, à l’écriture très maîtrisée et réfléchie, à ne pas confondre avec la "musique contemporaine" au sens strict du terme.
C’est juste sa musique. Elle ne serait pas celle-ci sans la fine équipe qui l’entoure dans ce quartet atypique, très loin des clichés musicaux et instrumentaux du jazz. L’ensemble marie à merveille les cordes frottées de Roy aux souffles d’anches de deux des meilleurs représentants de ces instruments sur la scène française. L’un est réputé pour son groove, son attachement au rythme, ses improvisations décollantes, ses sons tenus au baryton (Corneloup). L’autre pour ses envolées improvisées vertigineuses, sa souplesse de phrasé, ses idées inattendues, son lyrisme redoutable, son "humour" musical aux sopranino, alto et avec ses pailles soufflées.
Quant au pianiste, on lui reconnaît un toucher très personnel, à la fois délicat et énergique, des accords profonds et riches de sens. Julien Padovani a incontestablement un grand talent. Selon Guillaume Roy : « Mes trois complices sont des musiciens incroyables d’intelligence et de virtuosité, de fantaisie et de générosité, d’ouverture d’esprit, d’engagement et de swing, des musiciens totalement ancrés dans notre temps. Pour la création de ce nouveau quartet, j’ai imaginé une musique qui nous ressemble, avec comme mot de départ : libre, jusqu’à l’imprudence ».
Il faut écouter cet album sublime, excessivement bien construit, d’une musicalité rare, conçue pour mettre en valeur les qualités musicales de chacun, aussi bien sur le son, le phrasé, le placement et l’évolution de leurs improvisations, pour comprendre ce que le jazz contemporain peut être lorsqu’il est joué par des solistes d’exception.
Cette musique à l’interprétation exigeante est écrite pour eux, ça s’entend dès les deux premiers thèmes (De la certitude, Einstein à Rio), qui débutent par des tournures mélodiques répétitives constituant une forme d’accompagnement, qui servent de support pour l’élaboration des improvisations et des mélodies. Roy sait transmettre dans sa musique son ressenti, ses impressions, qui donnent à ses compositions un climat particulier, par exemple dans Une affaire de goût au ton tragique ou 27 Avril 86, consacrée à la catastrophe de Tchernobyl. Le tout est aussi surprenant sur scène que sur disque et fait de ce quartet l’un des plus passionnants du moment.

Guillaume ROY : "From scratch"
Guillaume ROY : "From scratch"
Émouvance / Absilone

Son album solo « From Scratch » édité en cette fin janvier 2013 sur le label Émouvance n’est pas moins surprenant. Nous entamons une nouvelle année avec bonheur en écoutant cette « galette de Roy » enregistrée en deux fois, à un an d’intervalle. Guillaume Roy est arrivé devant les micros avec plein d’idées, de « choses » travaillées comme il aime les qualifier, qu’il a su mettre au profit de l’improvisation pour concevoir ce disque totalement improvisé.
À l’écouter, on pourrait croire que les thèmes sont écrits tellement qu’il sait les jouer avec aise et de façon très construite. Roy connaît la démarche à suivre pour présenter l’improvisation comme une musique qui dispose d’un côté un peu savant : « partir de zéro, prendre le premier son et puis... laisser venir l’idée, la prendre, la ressasser, la malaxer et commencer à construire avec, la développer, la suivre, la transformer, l’altérer, en faire une forme, l’écrire, saisir l’éphémère, trouver l’état, composer à vue, être libre ».
Un an après la première séance, Guillaume Roy a recommencé l’exercice avec la mémoire de la première journée, après avoir tout écouté, fait des choix. Il est reparti de zéro, preuve d’une remise en question formelle de sa musique. On reconnaît dans cette démarche les qualités musicales de ce grand improvisateur, qui n’hésite pas à affirmer que « le premier paradoxe de l’improvisation est qu’il faut avoir travaillé pour commencer l’esprit vide ». Une très bonne conclusion qui pourrait éveiller les « jugements » un peu trop faciles parfois entendus sur les musiques improvisées, présentant celles-ci comme du « n’importe quoi » ou « je pourrais aussi le faire »... Ce disque présente une maturité débordante sur le fond comme sur la forme. Guillaume Roy n’hésite pas à faire ressortir son immense culture musicale, celle de la musique contemporaine, du jazz d’aujourd’hui, de la musique traditionnelle, de l’improvisation libre.
Il explore tous les registres sonores de son instrument, repoussant les limites de son imagination le plus loin possible à travers l’expérimentation de différentes textures, bruissements, frottements, attaques franches de notes, moments plus dans la retenue, caresses légères des cordes...

Un disque qui trouve très bien sa place dans le catalogue du label Émouvance, qui défend depuis bientôt vingt ans le positionnement musical de grands improvisateurs de la scène européenne dont Guillaume Roy fait partie.


> Guillaume ROY Quartet : "Exubérances" - Le Triton TRI-12519 / Musea
Guillaume Roy : violon alto / Christophe Monniot : saxophones alto et sopranino / François Corneloup : saxophone baryon / Julien Padovani : piano
01. De la certitude (Guillaume Roy) / 02. Einstein a Rio (Guillaume Roy) / 03. Une affaire de goût (Guillaume Roy) / 04. Exubérances (Guillaume Roy) / 05. Heureux (Christophe Monniot) / 06. 27 avril 86 (Guillaume Roy)

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> Guillaume ROY : "From scratch" - Émouvance Émv 1035 / Absilone – Socadisc & Les Allumés du Jazz (parution le 22/01/2013)
Guillaume Roy : violon alto solo / Corinne Frimas : voix et texte sur 8
01. Openess / 02. À partir d’un cercle / 03. From Scratch / 04. Danse de pluie / 05. Con sordina / 06. Langues et âme / 07. Tourbe / 08. L’imprévue / 09. Souffler est jouer / 10. En plein vol / 11. Mémoire fictive // Enrégistré à Rouen – Studio Accès Digital – les 25 novembre 2010 et 16 décembre 2011.


> Liens :

> Discographie :

  • En solo : « From Scratch » (Émouvance)
  • En quartet : « Exubérances » (Le Triton)
  • En trio avec Claude Tchamitchian et Vincent Courtois : Amarco (Émouvance)
  • En trio avec Hasse Poulsen et Bruno Chevillon : « Une certaine forme de politesse » (Quark Records)
  • Avec l’ensemble « Dédales » de Dominique Pifarély : « Nommer chaque chose à part » (Poros éditions), prochain disque à paraître.
  • Avec David Chevallier : « Gesualdo Variations » (Zig-Zag territoires)
  • Avec Denis Colin & Les Arpenteurs : Etude de terrain (Nato)
  • Avec le quatuor IxI : « Cixircle » (Abalone), « Invisible correspondance »
  • Avec Sound of Choice/ Abalone), « Phrasen » (avec Joachim Kühn/Signature), « Linéal » (La nuit transfigurée), « Corsaire » (avec Pierrick Hardy/Musica Guild)
  • Avec Christophe Monniot : « Station MIR » (Le Triton)

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