Yolk : plus de 10 ans d’existence et une continuité affirmée.

Alors que vient de paraître le nouvel album du trio Le Cube (chroniqué ici) auquel nous attribuons un "OUI !, on aime !", Armel Bloch poursuit tout naturellement son tour d’horizon des labels français avec les nantais de Yolk.

Si le « Made in France » est aujourd’hui sujet à des débats politiques et au cœur des problématiques économiques du système productif français, dans un autre registre, il nous a semblé intéressant de parler des disques « fabriqués par des français » sous une marque propre. Une autre façon d’évoquer le « Made in France », en citant quelques labels qui occupent une place non négligeable dans le marché du disque de jazz en France (au sens large), non pas pour le nombre important de références parues ni les échos médiatiques qui en sont faits, encore moins pour le nombre de disques vendus, mais avant tout pour leur sens de l’engagement artistique, le choix des groupes et leur positionnement musical original.
Yolk est un exemple significatif des labels qui suscitent notre intérêt, vous comprendrez pourquoi dans cet article...

  Yolk : avant tout un collectif rapidement devenu label de jazz aux formats multiples...

Alban Darche & Le Gros Cube - "Polar Mood"
Label Yolk - juin 2008 - L’Autre distribution
Francis & ses peintres : "La Paloma"
Label Yolk - L’Autre distribution
Matthieu Donarier - "Kindergarten"
Label Yolk - dist.L’Autre distribution

Yolk est avant tout un label de jazz aux formats multiples rapidement devenu un collectif, né de la réunion d’Alban Darche (saxophone), Jean-Louis Pommier (trombone) et Sébastien Boisseau (contrebasse). Alors que leurs carrières personnelles de solistes les emmenaient régulièrement hors de leurs frontières régionales, ils ont fait le choix de l’ancrage en région nantaise et du travail en collectif. Au fil des années, deux autres musiciens se sont joints à eux : Matthieu Donarier (saxophones) et Daniel Casimir (trombone). Tous sont leaders de formations de différentes tailles intégrant des musiciens extérieurs : cela va du big band (Gros Cube) d’Alban Darche (dix-neuf musiciens), à une ramification plus légère de neuf musiciens (L’Orphicube), au solo de Daniel Casimir en passant par le Qüntet de Jean-Louis Pommier ou le duo de Matthieu Donarier et Pauline Renou. Les cinq membres se retrouvent aussi sur le même disque dans la formation Daniel Casimir présente Yolk en cuisine.

Pour le collectif, la musique est perçue comme un modèle social. La pédagogie constitue un aspect central de leur démarche : sensibilisation de jeunes publics et rencontres avec des musiciens amateurs. La volonté de garder une certaine cohérence et indépendance artistiques s’est exprimée durant toute la phase de structuration de Yolk, jusque dans la production discographique, secteur pourtant délicat où « l’œuvre » devient « produit ». C’est donc pour rayonner largement et témoigner d’une richesse de création rare au sein d’une même région et unique dans les Pays de la Loire que Yolk Records a vu le jour.

Créé il y a une douzaine d’années, ce label a choisi de travailler avec des formations dont la démarche essentielle s’appuie sur le son qui rend une musique et les musiciens rapidement identifiables : « La musique proposée par les artistes est principalement de création et lorsqu’il n’y a pas création du texte, il y a création du son ». Cinquante six albums ont été édités, avec la participation de plus de cent vingt musiciens essentiels de la scène française, européenne ou internationale, dont certains noms reconnus sur la scène actuelle : Médéric Collignon, Manu Codjia, Franck Vaillant, Christophe Lavergne, Jean-Philippe Morel, Jeanne Added, François Ripoche, Gilles Coronado, Baptiste Trotignon, Sylvain Rifflet, Alain Vankenhove, Séphane Payen, Airelle Besson, Sébastien Texier, Sylvain Cathala, Geoffroy Tamisier...

Katerine VS Le Gros Cube - "Le Pax"
Katerine et Alban Darche pour le label Yolk

Les premiers groupes produits s’appelaient Jazzophone, Triade, Qüntêt, Quartethno, OLH, tous basés dans le Grand Ouest. Depuis, Yolk a fédéré au-delà des générations (de Kenny Wheeler à Sidony Box), des styles (de Tim Berne à Katerine en passant par Octurn avec Magic Malik), et des frontières (projet paneuropéen Zoom !, groupe Unit). Il a reçu en 2006 un Django d’Or pour l’ensemble de son activité de création et de nombreux succès d’estime dans la presse spécialisée.
Il dispose d’un catalogue riche avec des groupes qui présentent une grande variété d’écritures et d’approches de l’improvisation. On y trouve tous les formats : solo (Cédric Piromalli, Alexis Thérain, François de Larrard), duo (Boespflug/Dagognet, Donarier/Renou), trio (LPT3, trios de Matthieu Donarier, Geoffroy Tamisier, Olivier Thémines, Alban Darche), quartet (Print, Jazzophone, Benzine, Francis et ses Peintres) à la grande formation (Le Gros Cube, X’tet de Bruno Regnier, Octurn).

  Un label à l’esprit artisanal

Il y a plus de dix ans, alors que l’on commençait à constater l’irrésistible disparition des lieux de découverte de la musique enregistrée (les boutiques de disques) et la disparition des compétences (raréfaction des disquaires, des producteurs), les trois fondateurs du label transformaient leurs appartements en centres logistiques pour plier, coller, façonner, cellophaner les pochettes en carton jaune et stocker les galettes, qualifiant leur mode de production d’artisanal. Chaque groupe finançant lui-même l’enregistrement et la fabrication de son disque, les ventes lui permettant (rarement) de rembourser son investissement.
Si le catalogue a su démontrer une activité importante certaines années, avec cinq disques sortis, le label semble toutefois « confronté à un marché du disque moribond qui force cette structure indépendante à réfléchir à deux fois avant de produire de nouvelles créations », d’où le rythme parfois ralenti des publications.

  Un travail intensif sur l’objet

Daniel CASIMIR & YOLK en CUISINE : "Phonotaxis ou le génôme de la vache"
Yolk.Box / www.yolkmusic.com

Yolk est donc une « fédération d’autoproduction », qui trouve une véritable cohérence de label dans la sélection des projets artistiques et dans le graphisme, deux caractéristiques qui sont à la source d’une notoriété désormais bien établie.
Les premiers disques présentaient une photo noir et blanc à droite et un rectangle jaune à gauche, avec l’écriture du nom du groupe en caractère noir ou blanc. En 2002, on voit apparaître un autre graphisme, avec des photos en couleurs, les noms des formations marqués de façon plus discrète, et toujours l’estampille jaune de la marque du label [1]. Certains disques présentent une pochette simple : écritures noires fines ou épaisses sur fond blanc, pochettes parfois illustrées de dessins ou de photos, le tout sous un format digipack cartonné plus ou moins épais.
Fin 2010, Yolk défend un autre visage en lançant une collection de nouveaux formats de boîtiers qui offrent davantage d’espace d’expression aux artistes, « pour renforcer ce qui les lie à ceux qui prennent le temps de les écouter, pour augmenter la valeur de ce geste qu’est l’enregistrement en l’accompagnant d’objets choisis avec les artistes (posters, cartes postales, objets...). Les nouvelles références sont éditées en série limitée, à un prix qui reste au plus près des coûts d’une production quasi-artisanale, limitant au maximum les intermédiaires ». Une excellente façon de s’écarter de la banalisation du CD, constatée ces dernières années.

  Un intérêt fort pour la communication et la diffusion

Au fil des années, Yolk s’est aussi efforcé d’organiser plusieurs festivals dans différents lieux, dont le Studio de l’Ermitage à Paris avec lequel il disposait d’un partenariat. Ce lieu a accueilli plusieurs éditions du Yolk Festival, parfois deux par an, pour présenter les nouveautés et faire vivre leurs différents projets. Ce festival a offert aux musiciens une unité de temps et de lieu. Le public pouvait découvrir dans une même salle et en quelques jours un grand nombre de projets issus de la structure Yolk et parfois d’autres collectifs associés.
Pour donner une meilleure maîtrise de son image et de sa communication au sens large, Yolk a revu son site internet. On y trouve bien entendu le catalogue en ligne et toutes les dates de concerts des formations soutenues. Une newsletter est aussi disponible.

  Bientôt une salle en qualité acoustique à disposition

Yolk est certes une référence en France dans la production et la promotion d’artistes de jazz, mais le collectif ne dispose pas encore d’une salle d’enregistrement en qualité acoustique, ce dont rêve beaucoup de labels ou collectifs pour mener à bien leurs projets de création.
Yolk s’est installé fin 2009 à La Fabrique des Dervallières, un laboratoire artistique nantais implanté au cœur d’une cité d’habitat social, qui a séduit le collectif par les perspectives offertes en matière de croisements avec d’autres disciplines et d’autres structures. Le lieu renferme une salle de répétition fréquentée 180 jours par an qui aurait besoin d’un aménagement pour l’adapter aux conditions d’un studio d’enregistrement. Le projet évalué est soutenu par la région : des travaux d’acoustique vont débuter cette année et seront réalisés par les services techniques de la ville de Nantes. Une fois opérationnel, au plus tard en 2015, le studio doté d’instruments et d’équipements fixes (batterie, ampli, parc micros...) sera « un lieu dédié à nos projets et ouvert à d’autres musiciens pour des captations de qualité acoustique et la fabrication de maquettes, de DVD d’artistes » produits sous les couleurs du label nantais. Encore une façon de défendre l’autoproduction.

  Un label ouvert à la nouvelle génération

Pulcinella - "Clou d’estrade"
YOLK records - mars 2008

Connu pour leur exigence artistique, les initiateurs du label n’hésitent pas à prendre des risques et font confiance à la nouvelle génération. Ils ont par exemple produit les disques des groupes Le bruit du Sign, Pucinella. Une position courageuse mais difficile à tenir s’il n’y avait pas eu le soutien sans faille des collectivités locales. En 2011, le label fait le choix de produire deux formations émergentes de la scène du jazz hexagonale : Sidony Box, sorte de « power jazz trio » époustouflant qui enchaîne les concerts et a sorti récemment son troisième disque, puis le Western Trio qui publie « A l’Ouest de nulle part », avec en invité Erik Truffaz. Ces deux formations sont présentes dans un collectif d’artistes créé en 2008 à l’initiative de Manuel Adnot et Fabrice L’houtellier, qui réunit à ce jour huit membres et tout autant de formations. Cette nouvelle génération défend un jazz entre musiques improvisées, métal, rock et électro.
Le milieu du jazz n’est pas au beau fixe, il est donc nécessaire de « créer sa place, se faire un nom et résister en créant ses propres outils. Ces jeunes se sont fixés pour objectif la mutualisation de compétences dans les domaines suivants : diffusion, production de concerts, réalisation de supports de communication, production discographique, création artistique, actions culturelles, enseignement... Leur ouvrir les portes du label nous a paru important voire évident ».

  Un label qui s’adapte, confronté aux problématiques de la distribution

LE CUBE : "Frelon Rouge"
YOLK / L’Autre Distribution

Deux premiers articles parus sur CultureJazz.fr (Petit aperçu des labels français 1ère partie & 2è partie) mentionnaient les profondes mutations subies par le monde de la distribution du disque et les adaptations nécessaires des labels pour défendre leur existence et leur lisibilité. On constate aujourd’hui que la disparition des supports physiques s’est accélérée, laissant d’avantage la place à la vente par fichiers électroniques. Les rayons de disques des enseignes culturelles se sont réduits au minimum.
L’équipe de direction du label Yolk a elle aussi été impactée par les problématiques liées à la distribution. Elle précise : « nous avons touché les limites d’une relation équilibrée avec trois distributeurs successifs. En 2011, le label a donc fait le choix de prendre ses distances avec le système de distribution marchande. Nous avons souhaité rendre essentiellement le catalogue disponible sur www.yolkmusic.com. Il l’est aussi dans quelques lieux de confiance dont la liste figure sur notre site internet. » Elle ajoute : « C’est à ce prix que, bien au-delà de sa fonction d’édition et de diffusion, le label Yolk pourra rester une plateforme de rencontres, un pôle d’attractivité pour des musiciens qui se reconnaissent dans la musique de création qu’il édite. » Malgré ces difficultés, Yolk a souhaité depuis peu nouer un nouveau lien de confiance avec l’Autre Distribution qui couvre plusieurs styles de musique en Europe, au Canada et au Japon.
Cette année et demi de silence n’a pas empêché l’équipe de mûrir quelques beaux projets pour réapparaître sur le front de la production en février 2013 avec un album de Le Cube dans une nouvelle version ("Frelon Rouge" - lire ici). Puis viendra en avril le disque « Queen Bishop » du Gros Cube, dernière création de cet orchestre dans cette mouture.
Autre nouveauté : le récent duo « Wood » avec Sébastien Boisseau et Matthieu Donarier sera disponible dès le mois de mai.
Un album du quartet J.A.S.S avec Alban Darche, Sébastien Boisseau, John Hollenbeck et Samuel Blaser est prévu pour novembre 2013.
Cette année s’annonce donc sous le signe de la relance pour ce beau label, grâce à l’engagement constant de musiciens-producteurs et bénévoles depuis plus de dix ans. Une belle réussite pour laquelle on espère une longue suite.


> À lire aussi sur CultureJazz.fr :

  • LE CUBE  : "Frelon Rouge" OUI ! - Chronique du disque dans la "Vitrine de mars 2013".

> Liens :

[1due à Jean Depagne - agence Anima à Nantes