Conférence et concerts.

C’est dans le cadre magnifique du Palais Ennejma Ezzahra de Sidi Bou Saïd qu’a eu lieu la commémoration de l’International Jazz Day 2013, le mardi 30 avril.

Ce Palais, ou Maison du Baron, fut construit entre 1912 et 1922 par Rodolphe Von Erlanger, ou Baron d’Erlanger, selon les normes arabo-andalouses. C’est lui qui fut l’initiateur du décret par lequel le Bey de Tunis ordonna que toutes les maisons de Sidi Bou Saïd soient blanches et bleues, ce qui confère au village un charme infini.
Le Baron d’Erlanger, issu d’une grande famille de banquiers, fut un fervent amateur d’art et un mécène considérable. Lui-même peintre de talent et grand mélomane, il écrivit des traités sur les musiques arabes. Le Palais regorge de trésors, dont une inestimable collection d’instruments de musique arabes.
Un Baron mélomane et mécène issu de la finance, cela ne rappelle-t-il pas de façon frappante une certaine Baroness Pannonica de Koenigswarter, née Rothschild, qui fut la bienfaitrice de tant de jazzmen américains dans les années 50, notamment Thelonious Monk.

Le Palais Ennejma Ezzahra abrite également Le Centre des Musiques Arabes et Méditerranéennes et c’est en 1960 qu’est né le Jazz Club de Tunis sous l’impulsion d’un important pionnier, le guitariste Fawzi Chekili. Le JCT est un collectif de jeunes musiciens Tunisiens qui organise des master class et des concerts. Khouloud Soula en est la charmante coordinatrice.
Or donc, pour cet International Jazz Day, avait lieu une conférence sur le thème « Universel John Coltrane, l’homme et sa musique », donnée je vous laisse deviner par qui ! Avec projection d’extraits de concerts et audition de documents inédits. Puis un concert par le collectif du JCT, totalement consacré à des compositions de John Coltrane ou à des morceaux qu’il avait interprétés. Sept musiciens de grand talent pour des groupes à géométrie variable.

Hedi Fahem

Un duo guitare- piano tout d’abord, Hedi Fahem et Omar El Ouaer, pour Stella by Starlight, Lazy Bird et une belle version très personnelle de Naima due à un pianiste de tout premier ordre.
Ensuite un quartet guitare-piano-basse-batterie, avec le très excellent Aymen Ben Attia et la rythmique Omar, Wassim Ben Rhouma et Nafaâ Allam qui ne quitteront plus la scène de tout le reste de la soirée, pour un émouvant Lonnie’s Lament. Nafaâ est léger et inventif, Aymen me semble pourvu de belles qualités de leader. Un troisième guitariste, Jihed Bedoui, remplace Aymen pour Straight Street. Ajoutez le saxophone ténor de Ahmed Ajabi, qui a le mérite de copier personne, et retranchez le piano, contrairement à ce que je viens de dire ( !), et vous avez droit à une étrange version « caraïbe » de Giant Steps sur tempo médium-lent. Bonnes lignes mélodiques dans le solo de basse de Wassim. Et pour terminer, quintet avec le retour de Omar pour une longue intro de guitare débouchant sur Blue Train.
Gros succès, les quelque 200 personnes présentes furent manifestement ravies.

Mohamed-Ali Kammoun

Le samedi précédent, au même endroit, concert de Mohamed-Ali Kammoun, que nous avions déjà entendu au Festival de Jazz de Carthage.
Beauté et intimité du lieu, accueil, la musique fut totalement différente, les musiciens particulièrement inspirés. Après un accord plaqué dans le grave, le premier morceau démarre par une intro complètement free jazz où la flute arabe ajoute un pépiement genre volée de moineaux que n’aurait pas renié Olivier Messiaen. Le concert entier fut un enchantement et le passage où le piano et le oud dialoguèrent me transporta comme jadis Nat King Cole « parlant » à la guitare de Les Paul lors de certains concerts du JATP.
Le très beau dernier titre emplit l’air d’un rêve qu’aurait pu faire Abdullah Ibrahim. Un hymne comme on n’en trouve que dans les églises sud-africaines ou afro-américains.
La musique de Mohamed-Ali Kammoun est d’un modernisme bien compris qui s’appuie sans cesse sur la tradition. Là est peut-être le présent et l’avenir du jazz, cette world music qu’avait si bien pressentie John Coltrane.

Je terminerai en disant que l’on aimerait bien entendre l’orchestre de Mohamed-Ali Kammoun dans les festivals français, et le belle musique du Maghreb en général, en lieu et place du sempiternel Cubain ou Brésilien. À bon entendeur…


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