Une application multimédia pour raconter la vie du trompettiste.

Ceci n’est pas un livre numérique, c’est une application multimédia à laquelle on accède sur un site après s’être dûment inscrit et identifié (il faut donc une connexion internet). Sur l’écran, au centre on voit une photo ou un dessin que l’on peut permuter avec un texte. De chaque côté, se trouvent des vignettes, à gauche celles de l’actualité, à droite celles du jazz. Tout en bas une flèche du temps de 1938 à 1987 correspondant aux 16 pages du fichier. En bas à droite, les trois boutons de commande, au centre celui qui permet d’entendre la lecture du texte, à gauche, celui qui donne accès à la musique, à droite, celui qui permet de passer des images au texte sur la partie centrale. C’est un format qui est sans doute mieux adapté à une tablette -je l’ai regardé sur un écran horizontal d’ordinateur. Il y a deux versions, française et anglaise.

Il n’y a pas de “générique”, on ignore qui sont les auteurs des dessins, du texte, qui est le lecteur. Sans doute le seul auteur, Nicolas Rabel.

Le texte est écrit à la première personne, c’est Don Sleet qui parle d’outre-tombe. Le style hésite entre le factuel, le familier, les tics de vocabulaire d’aujourd’hui, voire une certaine vulgarité.
Don Sleet ignore beaucoup de choses de sa vie et de celles de ses amis. Alors à quoi bon être mort ?
L’auteur ne nous donne d’ailleurs aucune indication de ses sources ; une vignette laisse à penser qu’il a rencontré le frère du héros, ce qu’il déclare par ailleurs. Un rapide coup d’œil sur internet permet en 10 minutes d’en apprendre plus sur le trompettiste, grâce aux témoignages de musiciens qui l’ont connu, que dans l’heure qui m’a été nécessaire à l’usage de ce fichier numérique. L’auteur fait dire à Don Sleet qu’il joue à 200 kilomètres sur le seul disque paru sous son nom et c’est ce que l’on entend sur la musique jointe à l’application. Mais il n’en est rien dans la réalité, le disque est très correctement enregistré, on peut y entendre le beau son lisse et le jeu très régulier de Don Sleet au premier plan.
De même, l’auteur écrit que "La trompette est un instrument qui nécessite une maintenance importante", ce qui est faux -le saxophone a besoin de maintenance, l’entretien de la trompette est des plus simples-, mais la lecture de la suite du texte :"1 ou 2 jours sans l’utiliser peuvent vraiment abîmer l’embouchure et affecter la qualité du timbre" permettent de comprendre qu’il s’agit de la pratique instrumentale [maintenance n’a pas ce sens] et heureusement pour la plupart des instrumentistes, la dernière phrase est hors de propos : "En blessant les lèvres, elle diminue aussi l’endurance du Musicien" -Nota Bene, c’est la fatigue musculaire qui diminue l’endurance des lèvres.

Il y a 30 ans, on aurait encore accepté ce genre d’exercice de style, mais aujourd’hui que les universités américaines ont des départements d’histoire du jazz, on attend de la méthode, des sources documentaires contrastées, des témoignages recoupés.
Depuis In Search of Buddy Bolden de Donald M. Marquis (1978), les approximations et les légendes n’ont plus leur place dans le récit du jazz. Si l’on veut faire un exercice littéraire, il faut se fonder sur des faits et une bonne documentation -comme le fait excellemment Alain Gerber. Le récit proposé ici n’est qu’imprécisions, sauts illogiques, vides dans la narration. Le ton geignard d’un personnage qui se conçoit comme un raté devient vite agaçant.

Par contre, les dessins en noir et blanc sont excellents ; le dernier, qui évoque la mort du trompettiste, est très émouvant.

La distanciation de la troisième personne, des faits mieux articulés chronologiquement, des recherches annexes sur les personnages cités, la relecture par un éditeur compétent auraient peut-être pu corriger les défauts les plus criants, car la bonne volonté ne suffit pas quand on s’adresse au public.

> Don Sleet par Nicolas Rabel , Ideo-libris.com (7.90 euros).