"Ces deux-là sont faits pour s’entendre et nous pour les écouter." écrivait Yves Dorison il y a un an. Michel Delorme le pense aussi !
Ce disque est singulier, autant au sens de spécial que d’unique.
Tout d’abord, l’idée de puiser dans le répertoire de Sidney Bechet. Belle époque en effet pour qui adolesçait en France au début des années 50 dans l’euphorie de l’après guerre. Son soprano marqua nos jeunes surprise-parties de son lyrisme enflammé. On sait moins quel clarinettiste de génie il était ( Blues in Thirds ) comme on ignore que Lester Young en était un autre géant ( I Want a Little Girl ). Le choix exclusif du sax soprano est parfaitement incontestable.
Egyptian Fantasy est d’abord joué straight avant de virer à la liesse d’un bal populaire. Comme dans d’autres titres du disque, le final emprunte aux conclusions des œuvres de musique classique. Song of Medina ( Casbah ) arabo-andalouse à souhait et l’Émile s’y érige en cheik parfait. Harmoniques dans l’intro, beauté mélodique dans le développement qui rappelle son feeling et son phrasé du quartet Emile Parisien. Un des rares musiciens que l’on reconnait immédiatement. Vincent Peirani assure un rythme obsédant avant de se lancer dans un solo échevelé. Un des titres forts de la séance.
On reste un peu dans le même registre avec Temptation Rag. Plusieurs impros collectives frisant parfois le free, Émile virevolte dans l’insouciance d’une Revue du Moulin Rouge, Vincent s’emmusette un brin jusqu’à une résolution des plus mélodieuses.
St. James Infirmary voit Émile "jouer dans la banlieue de Vincent ". Puis arrive le thème que Vincent assombrit jusqu’au sinistre.
Saisissant.
Dancers in love , du Duc d’Ellington, est la pièce qui traduit le mieux toute l’insouciance des salons à la mode, avec cette touche délicieusement surannée d’humour final.
Schubertauster. Ce titre qui constitue pour moi une énigme (un rapport avec Paul Auster ?), installe un climat austère ( tiens tiens…), menaçant, comme une symphonie de Gustav Mahler. Pas de tempo, une bribe de Lonely Woman, composition angoissante s’il en est, l’accordéon plane en beauté jusqu’à la majesté du "requiem" final.
Hysm constitue pour moi le sommet de Belle Époque. Dans cette très jolie composition nostalgique d’Émile Parisien, typique de l’esprit de son quartet, nous avons le côté amoureux, sentimental, celui du libertinage. Le solo de soprano finit par éclater en une déclaration d’amour enflammée.
Mes écoutes personnelles me permettent d’affirmer que le titre de l’album a été choisi après l’enregistrement. Encore plus fort !
Belle Époque est un disque qui se mérite, loin des facilités de tout poil.
PEIRANI & PARISIEN : "Belle Époque"
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> ACT 9625-2 / Harmonia Mundi (parution le 11/03/2014)
Vincent Peirani : accordéon / Émile Parisien : saxophone soprano
01. Egyptian Fantasy (Bechet) / 02. Temptation Rag (H. Lodge) / 03. Song Of Medina [Casbah] (Bechet) / 04. Hysm (Parisien) / 05. Le Cirque des Mirages (Peirani) / 06. Place 75 (Parisien) / 07. Schubertauster (Peirani) / 08. St. James Infimary (Irving) / 09. Dancers In Love (Ellington) // Enregistré par Jean-Paul Gonnod, 26 - 28 octobre 2013, Studio de Meudon, France.
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