En duo à l’AmphiMidi, mercredi 26 février 2014.

C’est les mains dans les poches que nous sommes allés à cet épisode d’AmphiMidi à l’Opéra de Lyon. Pris de cette certitude que nous allions être beaucoup trop saisis par ce qui nous y attendait, pour ne pas se laisser happer par cette idée d’aller chercher une quelconque image confiscatoire figée à tout jamais pour mieux nous rassurer de la fuite du temps. Mais peut-on réellement immortaliser une émotion ? Il ne faut faire que cela et c’est souvent au détriment de la musique. Et lorsque l’on sait que l’on va à la rencontre d’un des plus fabuleux batteurs que le jazz puisse nous réserver, ça rend très facilement feignant de la gâchette.

Histoire d’attiser un peu plus notre curiosité, il s’agissait d’un face à face qui allait croiser le feu de l’improvisation entre deux batteurs. Ils s’appliquèrent d’ailleurs à carburer de tout bois avec le composant matériel étalé devant eux.

Ramon Lopez
© Photo Sophie Le Roux

L’édifice percussif d’Henri-Charles Caget ressemblait à un véritable trinqueballe à la renverse dont les roues dépassent les quatre fers en l’air. Ce lourd appareillage prétentieux au demeurant prenait très concrètement sa place lorsqu’il s’y incorporait pour lui donner un rendement plausible. Nous le constaterons vite, Ramon Lopez considère son instrument comme un prolongement de lui-même. Il s’impliquait physiquement avec sa batterie. Elle devenait son enjouement avec laquelle il pratiquait des figures jubilatoires. Laissant son coude son pied enfin tout ce qui lui permettait de dompter la sonorité des peaux tendues.

Ils échangèrent ce double leitmotiv en rendant coup pour coup les questions et les réponses dans cet intermédiaire dévolu à la gravité rythmique. C’est à travers une écoute libre qu’ils s’ajustèrent en reproduisant le mouvement perpétuel du silence et de ce qui vient subitement opérer des effractions dans la condition mutique.

Aucune caducité n’avait sa place dans cette infinie recherche. Pas de prééminence pour n’y lâcher que des évidences derrière lesquelles se recroqueviller en sécurité. Une pareille acuité propulsait inexorablement une rythmicité faiseuse de revendication affirmative. Ils sautèrent, ils en sursautèrent, sur la chose objet, en y dressant une victoire sur l’immobilité. Ces deux expérimentateurs se propagèrent sur des chemins inconnus en s’y frayant des voies véridiques. Ils tentèrent cette expérience vulnérable jusqu’au fondement de l’épreuve expressive pour y créer le contre-mouvement novateur. Ils se croisèrent se séparèrent se rejoignirent se frôlèrent pour atteindre toutes les collisions inimaginables, à invertir les rôles dans cette stimulation impulsive.

Il se matérialisait devant nous une musique qui s’inventait en chair et en os, en parcourant naturellement des influences de divers continents. Avec une grande justesse codique ils nous emmenèrent jusqu’aux contrées éloignées des terres indiennes arabo-andalouses et afro-américaines. Il ne nous faudra pas longtemps pour nous acclimater à ces vastitudes stylistiques, d’une profonde maturation inventive.

Ramon Lopez
© Photo Jean-Claude Sarrasin

Une cinquantaine de minutes suffirent à nous imprégner durablement à ce marquage consciencieux. On aura encore ce plaisir différé en nous, une fois cette page refermée. Ces quelques mots permettront à ne pas nous en éloigner et à ne pas nous en couper définitivement.

Amphi de l’Opéra de Lyon (69) - mercredi 26 février 2014
Ramon Lopez : batterie / Henri-Charles Caget : percussions & batterie

Nos remerciements à Sophie Le Roux & Jean-Claude Sarrasin pour cette participation figurative complémentaire. (sophieleroux.blogspot.fr).


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