A Love Supreme Revisited

A Love Supreme [enregistrement 9 décembre 1964 ; sortie février 1965] de John Coltrane a fait l’objet début 1966 d’une édition française chez Vega “grand Public” (!) qui reprenait les textes de la pochette originale [Impulse 77], une adresse de Coltrane au public et la traduction du poème qui donne son titre à l’oeuvre, par Georges Gourdet. Ces textes furent accueillis avec circonspection et dédain par l’ensemble de la critique, qui pardonnait cependant à Coltrane ses “bondieuseries”, si typiques de l’Amérique.

DAL SASSO – BELMONDO BIG BAND : "A Love Supreme"
Jazz & People / Harmonia Mundi

Le disque de Dal Sasso/ Belmondo Big Band [enregistré le 27 février 2002] débute par la lecture de ce poème en anglais, avec quelques inversions de vers et des répétitions de formules, sans emphase et clairement ; il n’y a pas de texte original ni de traduction sur la pochette. La deuxième plage est une “Ouverture”, au sens que ce terme prend dans l’opéra, un arrangement des différents thèmes pour annoncer l’œuvre qui suit, la suite de Coltrane qui comprend quatre numéros, ici quatre plages, lors que l’original joignait les deux dernières en une seule.

À la première audition, l’œuvre de Dal Sasso/ Belmondo s’impose d’elle-même, se superpose aux souvenirs d’un disque beaucoup écouté autrefois. Lionel Belmondo coltranise raisonnablement, le pianiste tynérise, le bassiste a un son étriqué - on se rappelle le son résonnant de Garrison- et le batteur est précis, mais sec -rien de l’enveloppement que provoquait Elvin Jones.

Après avoir ré-écouté l’original et Afro-jazz, qui est une influence déclarée, on note que McCoy ne tynérise pas tant que ça, mais les autres impressions sont conservées.

La première pièce, Ackowlegment, est joué à l’orchestre, suivi d’un solo de Stéphane Belmondo, d’abord avec la section rythmique, puis avec des riffs . Vient ensuite un long solo de contrebasse qui assure la transition avec la pièce suivante.

Resolution est joué par l’orchestre, c’est un des meilleurs moments. Puis il y a un long solo de piano très marqué Tyner - cette impression d’indépendance entre le rythme du morceau et les accords de la main gauche -, puis un solo de batterie, bientôt accompagné de l’orchestre, ce qui permet là-encore l’arrivée du morceau suivant.

Pursuance est exposé par l’orchestre brièvement, puis Stéphane Belmondo (tpt) fait un long et brillant solo, accompagné alternativement par la section rythmique et l’orchestre. Puis vient un solo plus court de Lionel Belmondo. le morceau s’achève par un petit délire collectif et un forte qui arrête la musique.

Psalm débute par un long solo de tuba et le thème sera ensuite joué par l’orchestre.

Il ne s’agit pas d’une re-création de l’œuvre de Coltrane - comme avait essayé de le faire Brandford Marsalis, utilisant la même formation-, mais d’une œuvre originale, à partir des thèmes. Cela a été fait à plusieurs occasions : Wynton Marsalis, Bob Mintzer, David Murray etc.

C’est un bon disque, que l’on pourra entendre bientôt en direct à la Cité de la Musique (Paris), du moins ceux qui ont réservé leur place, car les quatre concerts sont déjà pleins. J’aurais personnellement aimé plus d’orchestre, c’est là l’originalité de cette musique, même si les solistes sont très bons et distribués d’une manière originale : le tuba dans Psalm et le long solo de trompette -instrument rare chez Coltrane (trop de Miles ?)- dans Pursuance.

.: : Philippe Paschel : :.
Publication le 17 avril 2014


Quelques jours après la publication de cette chronique, je recevais un message de Pierre Gros, chroniqueur assidu de Culturejazz.fr.
Parti cinq jours sur une île bretonne sans internet ni d’ordinateur, il a commis une chronique de "A Love Supreme" sans avoir connaissance de celle de Philippe Paschel...
Une approche différente qui ne peut qu’enrichir l’éclairage que nous apportons sur ce disque... remarqué !
.::Thierry Giard, responsable de la rédaction, le 22 avril 2014 : :.

Christophe DAL SASSO – Lionel BELMONDO BIG BAND : "A Love Supreme"

A-t-on le droit de toucher à une icône si grande soit elle ? Oui, surtout si elle est intouchable et c’est faire preuve d’un grand respect si on la bouscule un tant soit peu. C’est le pari de cet enregistrement qui, plus qu’un hommage rendu à un disque en particulier, est celui fait à une période de l’œuvre coltranienne qui va de 1961 date d’Africa Brass à 1964 pour A Love Supreme.

L’orchestration a en effet plus à voir avec le premier des deux disques et par là Christophe Del Sasso et Lionel Belmondo contournent le problème de la puissance inégalable du quartet historique de John Coltrane en amplifiant le tissu orchestral. Que l’on se remémore le jeu d’Elvin Jones, la basse de Jimmy Garrison, le piano de McCoy Tyner et l’on comprendra de quoi je parle.

L’intelligence des protagonistes de ce travail sur A Love Supreme est de ne pas être tombés dans le piège de la lutte, de la surenchère perdue d’avance mais de se saisir de quelques ingrédients du mythe pour les faire resurgir.
Les chorus n’ont pas la dimension quasi-spirituelle du chef d’œuvre et en fait ce n’est pas ce qu’il faut en attendre. C’est plus dans l’esprit, la structure que dans la lettre qu’il faut aller chercher ici l’hommage où l’on entendra aussi par moment l’influence du disque The Qintessence de Quincy Jones, impression renforcée par l’utilisation du tuba, du cor et de la trompette (Freddie Hubbard était présent sur The Quintessence ainsi que sur Africa Brass) et donne une couleur plus originale et son indépendance à ce disque.

Un travail digne d’intérêt donc, mais une question toutefois...
Cet enregistrement date de 2002 et autant Christophe Del Sasso que Lionel Belmondo ont, depuis au regard de leurs productions les plus récentes, affermi leur écriture, la rendant plus personnelle. Aussi au-delà de la date anniversaire pourquoi avoir attendu 2014 pour sortir ce disque ?
Douze ans c’est bien long pour des artistes en mouvement.

.: : Pierre Gros : :.


DAL SASSO – BELMONDO BIG BAND : "A Love Supreme"

> Jazz & People JPCD 814001 / Harmonia Mundi (parution le 22/04/2014)

Stéphane Belmondo, Erick Poirier, Laurent Agnès : trompette / Merrill Jerome Edwards : trombone / François Christin : cor / Bastien Stil : tuba / Dominique Mandin : saxophone alto / Lionel belmondo, Sophie Alour, Guillaume Naturel : saxophone ténor, clarinette, flûte / Laurent Fickelson : piano / Clovis Nicolas : contrebasse / Philippe Soirat ou Dré Pallemaerts : batterie / Christophe Dal Sasso : arrangement, direction / Allonymous : voix

01. A Love Supreme (Poem) / 02. Introduction / 03. Part 1 - Acknowledgement / 04. Part 2 - Resolution / 05. Part 3 - Pursuance / 06. Part 4 - Psalm // Enregistré le 27 février 2002 à Paris

Retrouvez ce disque dans la "Pile de Disques" de CultureJazz.fr, édition d’avril 2014. lire ici !

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