Du Sunset au Café de la Danse en passant par le Carreau du Temple

Une série de trois concerts parisiens dans des lieux qui vont du club aux salles de concerts où l’on peut entendre tout un panel de musiciens créatifs venus d’horizons les plus divers. Des approches différentes d’une musique immédiate et éphémère, le jazz, qui cherche à laisser une trace dans la mémoire de ses auditeurs, compositions et improvisations intimement mêlées. Dans ces(ses) images, une évidence propre aux arts de l’instant : celle du physique, de la présence, de ce moment irremplaçable du concert, du contact tant visuel qu’auditif sensible à ce qui l’entoure. Autant l’oreille peut nous donner à construire des images, autant l’œil aussi écoute.

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  Jérôme Sabbagh Quartet avec Jeff Ballard & Ben Monder

> Sunside, le 24 octobre 2014.

On le sait, ce qui caractérise un musicien est d’abord le son qu’il tire de son instrument. On parle bien entendu de ce qui le caractérise, de son grain de sa chair. Parfois on peut y déceler des modèles. Chez Jérôme Sabbagh l’exercice est difficile et c’est ici un compliment. On y entend bien un peu de Getz, un peu de Coltrane, un peu de Shorter (période Speak no Evil) certes, mais il a surtout cette ligne force, ce velouté rugueux qui lui font mener ses phrases là où il les entend.

Gary Wang, Jeff Ballard, Ben Monder, Jérôme Sabbagh - Paris, octobre 2014
© Pierre Gros
© Pierre Gros

Ici au Sunside, la scène nous interpelle.
Jérôme Sabbagh est entouré d’un Ben Monder au jeu électrique empli d’écho et de saturation, proche de guitaristes "ECM" comme John Arbercrombie ou Mick Goodrick, d’un Jeff Balard aux relances énergiques et de la solide contrebasse de Gary Wang. La musique vient lorgner du coté du Rhythm and Blues, du shuffle, de cette musique simple et collective que l’on trouve dans le dernier enregistrement de Jérôme, The Turn et de celui de Paul Motian avec qui le saxophoniste et le guitariste ont collaboré peu de temps avant la mort du légendaire batteur. Un beau concert pour une musique et un ensemble très efficace et inspiré.

Jérôme Sabbagh : saxophone ténor / Gary Wang : contrebasse / Ben Monder guitare / Jeff Ballard : batterie


  Bojan Z - Nils Wogram duo.

> 4 novembre, auditorium du Carreau du Temple.

Festival Jazzycolors 2014 (04 au 29 novembre), organisé par le Forum des Instituts Culturels Étrangers à Paris.

Bojan Z, Nils Wogram - Paris, novembre 2014
© Pierre Gros
© Pierre Gros

Jazzycolors est un festival qui repose sur le principe simple de faire découvrir des musiciens, des groupes originaires des pays partenaires de l’événement. Sachons mesurer notre chance. On a ici l’opportunité d’entendre des artistes rarement vus sur les scènes françaises et qui prouvent l’extraordinaire richesse du jazz européen qui a pris depuis longtemps sa liberté et va aujourd’hui au delà du modèle américain. Soyons donc curieux et c’est le pianiste aux origines serbes, Bojan Z parrain du festival depuis plusieurs années, qui propose le concert d’ouverture avec le tromboniste allemand Nils Wogram.
À l’évidence, le duo a pris racine dans l’écoute approfondie du be-bop mais a su aussi les élargir en y incorporant ses propres idiomes. Loin de la gratuité, la musique vient y rechercher d’autres vitalités. Nos deux hommes nous prennent à témoin de leur complicité, spectateurs-acteurs que nous sommes.

Bojan Z : piano / Nils Wogram : trombone


  Airelle Besson - Nelson Veras duo puis Pierrick Pédron Trio

> Vendredi 7 novembre au Café de la Danse.

Airelle Besson - Nelson Veras Duo

Ce soir nous retrouvons le duo qui nous a tant ému (voir la chronique du disque et le compte rendu d’Yves Dorison - Culturejazz.fr).

Airelle Besson, Nelson Veras - Paris, novembre 2014
© Pierre Gros
© Pierre Gros

Si nous avons pu apprécier les couleurs et l’atmosphère de l’enregistrement, nous apprécierons d’autant plus le lâché prise de ce soir. Airelle s’y montre plus volubile, virtuose, du pur plaisir instrumental. Ce duo est à l’évidence d’abord son œuvre : les compositions, l’essentiel des soli, l’ambition... Oui mais le jeu de Nelson Veras nous laisse une telle impression de liberté, un sens du time si solide qu’il s’avère ici peintre de la musique.
La poésie de cet ensemble parle à nos oreilles et pour qui se laisse un peu aller, on peut même y voir en écho du disque, surgir des images que je vous laisse le loisir de choisir.

Airelle Besson : trompette / Nelson Veras : guitare

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Pierrick Pédron Trio + Invités

Franck Agulhon, Pierrick Pédron, Thomas Bramerie, Médéric Collignon - Paris, novembre 2014
© Pierre Gros
© Pierre Gros

Second temps de cette soirée.
Ça envoie du lourd et Pierrick Pédron mélange les cubes : Cure et Monk.
L’ambiance est plus à la fête, presque Dance Music. Impressions renforcées par l’emploi de longs delays sur lesquels rebondissent les notes, avec Médéric Collignon qui apporte son cornet, sa voix, sa folie, à peine édulcorée par Thelonious et Géraldine Laurent auteure de quelques beaux soli, itou avec la petite échappée orientale et sensible du joueur de zorna Ghamri Boubaker.

Bref on lâche les chevaux psychédéliques, sons et lumières, c’est le spectacle, pourquoi pas ? Ça secoue, ça fume, on se marre. Au revoir les poètes !

Pierrick Pédron : Saxophone Alto, voix / Thomas Bramerie : Contrebasse / Franck Agulhon : Batterie / Géraldine Laurent : Saxophone Alto / Ghamri Boubaker : zorna / Médéric Collignon : Cornet, voix


Histoire d’oreille, histoire d’œil :

L’œil écoute donc, l’oreille voit et c’est aussi dans la gestuelle que vient se cacher l’expression : l’image du trombone, du saxophone, de la trompette, celle des claviers, guitares, contrebasses, batteries. L’attitude des corps, les lieux, les mouvements ne laissent pas nos esprits indifférents et renvoient à nos constructions sensibles et imaginaires. Peut être celles de nos espoirs et de nos envies…