Huitième étape

A Genève, à l’AMR, ce 15 novembre 2014 (anniversaire de Kevin Eubanks, 57 ans) pour écouter un trio, The Red Hill Orchestra, dont la bruissante rumeur dit qu’il est à découvrir fissa ! Habituellement insensibles aux bruits de couloir mais considérant les jazzmen qui le compose, il nous a paru nécessaire, malgré la pluie, de cheminer via l’onéreuse autoroute jusqu’à la proche Suisse où les affiches de qualité sont pléthore.

Jozef Dumoulin

Jozef Dumoulin, Fender Rhodes trafiqué, est à l’origine du projet et subséquemment des compositions. Ellery Eskelin, saxophone ténor, et Dan Weiss, batterie, sont les acolytes qu’il s’est choisis. On a déjà vu pire… Soyez rassurés, nous ne vous dirons pas où. Sachant que le saxophoniste et le batteur sont de ceux qui maîtrisent parfaitement les fondamentaux de la tradition en ne s’interdisant aucun écart ni aucune envie, sachant que Jozef Dumoulin possède un talent singulier, nous ne fûmes pas surpris d’être emportés dans les tréfonds d’un univers sonore aux caractéristiques notablement étranges. Le son Dumoulin, si l’on peut s’exprimer ainsi, ce sont des effets d’une grande finesse qui, a priori, donnent la sensation à l’auditeur qu’ils sont sous-employés et que le Rhodes est proche de sa vérité originelle, un comble quand on sait à quel point le jazz de notre époque supporte une surenchère d’expérimentations souvent insipides et quelconques. L’idée Dumoulin dans ce contexte, c’est bien de confronter l’imaginaire de ses condisciples au sien. Sur scène, cela provoque une immersion dans des atmosphères crépusculaires appuyées sur des ritournelles, simples ou complexes, qui privilégient la libre expression des musiciens. La constante se niche dans des rythmes graves et profonds, à la lisière du psychédélisme, dans un espace enclin à l’abstraction par une disquisition constante de la résonnance intime. Quand Jozef Dumoulin cherche sa note, Dan Weiss semble choisir celle que lui impose la poésie de l’instant et Ellery Eskelin la ligne qui relie l’inspiration naissante à l’ensemble en construction.

Nous crûmes à certain moment être un corps aqueux, primitif, rampant dans l’obscurité des fonds marins, avant l’origine, bercé par une musique de la gestation. Le dire ainsi, ou le mal écrire, c’est affirmer que « l’orchestre de la rouge colline » est une étrange entité, un amalgame organique aux contours fluides dont la seule présence mouvante et poétique est une parole portée aux confins du silence intérieur, révélée par une musique des sons qui nous pose une question. Je ne sais pas laquelle. Je vais m’interroger à la lumière d’automne, celle qui s’épuise de n’être que transitoire avant la sombre apesanteur hivernale.


Neuvième étape

Jeudi 20 novembre 2014. C’est la Saint Edmond et « À la Saint-Edmond, le temps n’est pas bon  ». Sans compter que « Vingt novembre brumeux, hiver rigoureux. » La journée fut toutefois accorte et lumineuse à défaut d’être chaude. Ce fut également le jour d’une escapade improvisée sur les pentes de la Croix-Rousse pour voir sous La Clef De Voûte un de ces musiciens qui vivent heureux loin des médias.

Howard Alden

Howard Alden est un guitariste à sept cordes, un type qui en a plus d’une à son arc (comme disait Jeanne). En bon disciple, il a appris cet étrange instrument auprès de son pionnier en jazz, Georges Van Eps (voir ici l’article que nous lui avons consacré par le passé) et, depuis le décès de ce dernier, en est l’apôtre. Bien qu’encensé par la critique et récipiendaire de nombreuses distinctions, il mène une carrière discrète ; le genre d’individu qu’on ne voit pas quand on le croise dans la rue, le genre de type avec qui on cause au bar sans savoir qu’il va jouer pour nous l’instant suivant.

L’autre soir au club, invité par un trio manouche composé de John Intrator au violon, Thierry Frascone à la guitare et Michel Tournier à la contrebasse, il démontra à quel point son instrument permet une variabilité harmonique et une richesse tonale particulière, d’autant qu’avec la patte qui lui est propre, Howard Alden sembla donner à cette guitare signée Benedetto une gamme de timbres dont nous peinâmes à entrevoir les limites. Malgré cela, passé le premier set, nous nous ennuyâmes un tantinet car le carcan imposé par le style manouche était par trop répétitif pour nous, même si John Intrator donna plus qu’une réplique en tout point remarquable et originale au guitariste. Nous ne fûmes pas déçus, non. Juste un peu désappointé à l’idée qu’avec un trio plus ouvert la variété aurait enrichi le propos musical de l’ensemble. Mais l’agacement nous saisit une fois de plus à la vue d’un club occupé par une audience réduite à peau de chagrin alors que l’artiste invité méritait bien plus. Faudra pas se plaindre quand tout aura fermé.


Dans nos oreilles :

Keith Jarrett : My song
Charlie Haden Quartet West : Sophisticated Ladies

Sous nos yeux :

Pascal Quignard  : Mourir de penser
Sara Teasdale  : The collected poems