Le guitariste Richard Bonnet a su construire son propre univers, l’enrichir patiemment au fil de ses rencontres, l’approfondir et le cultiver au contact de musiciens mais aussi d’élèves... Entretien...
À l’image de son histoire, le guitariste Richard Bonnet a su construire son propre univers, l’enrichir patiemment au fil de ses rencontres, l’approfondir et le cultiver au contact de musiciens mais aussi d’élèves. Travail d’éducateur et de passeur d’importance qui lui tient particulièrement à cœur. Une évidence quand on l’entend au concert ou dans ses propres enregistrements. Un musicien qui ne déroge pas à ses principes. Il faut l’écouter parler : "Les dates sont difficiles à trouver et c’est vrai que je ne fais pas de concessions quant à ma musique… L’enseignement est quelque chose de fondamental pour moi. (je m’y suis très vite intéressé, c’est ce qui me permet aussi de gagner ma vie, de faire vivre ma famille, les concerts ne me le permettent pas…). Pourtant, j’ai pris très peu de cours et je ne le regrette pas c’est mon coté rebelle, c’est ma personnalité et dés que j’ai eu un instrument entre les mains la musique c’était ma vie, je n’ai pas eu d’autres envies."
C’est le portrait d’un musicien original, mature et libre, doté d’une forte personnalité musicale, un musicien d’aujourd’hui, pleinement dans son époque que vous découvrirez en lisant son portrait ci-dessous.
Richard d’où viens tu ?
Je suis né à Epernay en Champagne, là où j’ai passé mon enfance. À mes 17 ans nous sommes venus avec ma famille dans la région parisienne. La musique ? Je l’ai découverte vers mes 11 ou 12 ans lorsque j’ai accompagné un copain dans un magasin d’instruments. Je l’ai entendu jouer de la basse et je me suis dit que c’était ce que je voulais faire. La basse est donc l’instrument par lequel j’ai commencé, et dont j’ai joué 2, 3 ans. De façon spontanée, j’ai eu tendance à y mettre de la distorsion et à jouer dans les aigus. J’en suis donc venu naturellement à la guitare.
L’apprentissage de la musique, de la guitare, du jazz :
De fait je suis totalement autodidacte. J’ai d’abord joué dans des groupes de hard rock, de métal et un des premiers morceaux que j’ai interprété vers 12 ans à la basse avec des copains de mon frère c’était un titre du groupe Black Sabbath. Un apprentissage à l’ancienne, entouré de gens qui étaient tous bien plus expérimentés que moi.
Quand par la suite nous sommes arrivés en région parisienne, à Melun, j’ai pris quelques cours avec un guitariste de jazz que j’avais rencontré par hasard, ce fut là mon premier contact avec cette musique. Je connaissais un peu les gammes, j’avais une technique issue du métal mais je ne connaissais absolument rien aux accords et n’avais jamais écouté de jazz. Il m’a fait découvrir tout ça. J’étais très intéressé, intrigué mais je n’y comprenais rien du tout et je ne voyais pas où cela pouvait mener. Je me suis procuré quelques disques et le premier que je ai acheté était le disque Extrapolation de John McLaughin auquel je n’ai rien compris. Par la suite j’ai écouté les disques d’Uzeb qui ont peut être mal vieilli mais ont fait pour moi le lien entre jazz et rock. Et puis ça a été Allan Holdsworth, John Scofield. De fait, le jazz je ne connaissais toujours pas, aussi j’ai été cherché dans les disques de Scofield les plus proches de cette musique. J’ai eu beaucoup de mal à m’y faire, je me disais « ce ne doit pas être mauvais » et je voulais comprendre. Tous les jours je m’astreignais à en écouter et mes oreilles se sont ouvertes, je devais avoir 18, 19 ans. C’est une constante chez moi d’avoir toujours été intéressé par les choses qui m’interpellaient. J’en ai conclu qu’il fallait apprendre, que je devais en passer par les standards.
Étudier le jazz c’est comme entrer en religion. Le révélateur ce fut Joe Pass, sans nul doute le plus gros choc de ma vie de musicien et le plus important, le fait que je joue sans basse aujourd’hui ça vient de lui. Indiscutablement c’est celui qui m’a alors tapé dans l’oreille. J’ai étudié ses disques “virtuoso’’en les relevant à l’oreille, et on en revient toujours à la façon dont j’ai appris : sans méthode particulière et seul. Et puis il y a eu Herb Ellis, Jimmy Rainey, Wes Montgomery. Mais l’autre révélation c’est Mike Goodrick par sa musique et ses livres, John Abercombrie aussi, mais Mike Goodrick c’est celui qui m’a le plus influencé, j’ai alors acheté tous ses disques. Il s’est aussi penché sur l’enseignement, a beaucoup réfléchi à tout ça.
On peut dire que j’ai perdu du temps mais à long terme ça m’en a fait gagner en m’amenant à trouver quelque chose de plus personnel, toutes les erreurs que j’ai pu faire ont fini par me forger.
Comment se passaient tes premiers engagements ?
À mes débuts je jouais tout à l’oreille, je relevais les morceaux et je travaillais énormément afin d’être prêt pour les concerts. Je jouais dans les bars du rhythm and blues, du funk. Un apprentissage in situ et parfois quand je rentrais chez moi j’étais totalement démoralisé, je pensais ne jamais y arriver. Les gens avec qui je jouais étaient plus forts, plus âgés que moi, c’était très dur. J’ai fait également des concours, des tremplins et j’ai quelques mauvais souvenirs de toutes ces choses là.
Et puis très rapidement j’ai été leader, je n’ai pas attendu que l’on vienne me chercher. J’ai monté des groupes et j’ai tout de suite composé. Je pense que c’est aussi affaire de personnalité. Puis vers 22, 23 ans j’ai commencé à jouer au Sunset et le jazz, la musique sont devenus alors beaucoup plus sérieux.
A suivi un moment de grand découragement, je ne savais plus comment faire, comment avancer, un ras-le-bol du milieu. Ce qui m’a remis au travail c’est le blues, un retour aux fondamentaux. En particulier Robert Johnson. Avant lui, il m’arrivait de faire des choses très compliquées mais avec peu de notes je n’y arrivais pas. En retournant aux sources j’ai beaucoup appris. Je cherchai à imiter le son, le slide et c’est par ce biais que j’ai eu accès à une musique plus libre. Ce mélange de rock, de jazz sophistiqué, de blues c’est ce qui m’a construit. Au final aujourd’hui ce que je fais c’est du blues. C’est pour moi un état d’esprit, la liberté, la vie, quelque chose de très organique. Je n’ai aucune explication.
Ton présent :
À présent je ne me pose plus de questions : j’entends une note un accord, je les ressens, je les joue. Une fois que j’ai eu compris ça, je devais avoir 27 ans, le train était en marche, ça vient d’un long cheminement, et ça n’est pas si vieux que ça… Aujourd’hui j’ai la quarantaine. J’utilise deux guitares à sept cordes, une électrique et récemment une acoustique du luthier Fred Kopo qui a fait des recherches tant sur le son que sur la lutherie, cette septième corde me permet d’ouvrir la tessiture. Et je pense qu’en général tout ce qu’on traverse ou qu’on a traversé reste présent. À mes débuts j’écoutais Iron Maiden, Black Sabbath, ce son, la saturation, cette énergie sont toujours là, une certaine forme de violence aussi que l’on peut retrouver dans l’atonalité. Ce que l’on ne retrouve pas au niveau de la puissance sonore on peut le retrouver dans l’atonalité, quelque chose qui peut interpeller ou déranger. Ainsi, il est possible de faire ressentir certaines choses.
J’écoute peu de musique mais un peu de tout, de la chanson, du classique et si c’est du jazz c’est plutôt les bases du jazz.
Tu joues avec Pierre Durand, Hasse Poulsen, Stéphane Payen, Régis Huby, Caroline Faber, Tony Malaby, ne crains tu pas de t’enfermer dans une certaine radicalité ?
Je ne crois pas, je fais ce qu’il me plait et je ne changerai que si j’en ai envie un peu à la manière d’un Marc Ribot qui a de multiples visages tout en gardant une identité propre. D’ailleurs avec Caroline Faber qui est d’une certaine façon une chanteuse de World Music nous avons écumé pendant très longtemps les cafés et les bars. Nous jouions des standards, nous improvisions et c’était dans les codas où nous trouvions notre liberté. À présent, il nous arrive de nous produire en trio avec le batteur Éric Dambrin, et nous interprétons de plus en plus mes compositions, plutôt anciennes qui sont plus tonales ou modales. Ce que nous faisons c’est de la chanson et je prends autant de plaisir à jouer avec Caroline qu’avec le guitariste Hasse Poulsen avec qui nous faisons une musique beaucoup plus radicale (« Colors in Water and Steel » - chronique - février 2014) .
Je m’investis également dans le ciné-concert d’où ressort l’importance de l’image qui peut engendrer d’autres univers sonores et qui me permet de toucher un public étranger aux musiques que je fais par ailleurs. C’est de la musique improvisée sur des films que je visionne en amont et quand je le fais seul c’est en fait un duo entre les images et moi même. Parfois un autre musicien se joint à moi comme Hasse Poulsen, Pierre Durand, Dominique Pifarély, Edward Perraud ou Jean-Brice Godet. À cette occasion ça devient des performances à géométrie variable, entre les images et nous deux.
J’ai aussi en projet l’enregistrement d’un disque solo pour le mois d’avril. En fait quelques uns de mes amis guitaristes classiques m’ont demandé de coucher sur le papier des passages qu’ils ont entendu durant mes improvisations. Du coup ça a déclenché l’envie d’écrire pour guitare acoustique. J’ai donc composé un répertoire original. Il est fait de musiques écrites tout en gardant bien entendu une grande part d’improvisation, de modes de jeux issus de la musique classique contemporaine de façon à passer de l’un à l’autre de manière naturelle et sans ruptures.
Peux-tu nous parler plus précisément de ta collaboration avec Tony Malaby ?
Nous avons fait deux disques. Le premier, Haptein (voir CultureJazz - décembre 2012) est totalement improvisé. Nous nous connaissions un peu et nous nous sommes retrouvés dans un studio new-yorkais. Je lui ai dit que je souhaitais faire quelque chose de libre. On s’est accordé et nous avons joué durant près de deux heures sans jamais nous regarder, mais en ayant une très grande disponibilité, en laissant parler notre d’intuition et rien d’autre. Quelque chose de très intense et profond. Après quelques concerts en France, nous avons évoqué la suite. Pour le second disque, Warrior (CultureJazz - mars 2014) j’avais envie cette fois d’une musique plus écrite, d’un groupe plus important. Il se trouve que Gérard Terronès le producteur de Futura et Marge rêvait de faire un disque avec un organiste et coïncidence Tony m’avait encouragé à écouter Antonin Rayon, pour le batteur le choix s’est porté sur Tom Rainey dont je suis un fan absolu. Il m’a fallu composer, un exercice difficile car sans réelles répétitions. Nous avons préparé la session à Paris avec Antonin et puis on s’est retrouvé à New York chez Tony Malaby pour une petite répétition. Le lendemain nous avons enregistré en une après midi. C’était une superbe expérience très dense et un vrai plaisir de jouer avec ces musiciens, une rencontre à la fois humaine et musicale.
Envisages-tu une suite pour ce groupe ?
Bien sur mon plus grand désir est de faire jouer cet ensemble mais il est difficile de programmer un tel groupe, j’ai eu beaucoup d’échos positifs sur ce disque mais peu ou pas de concerts. Tony et Tom sont très pris et en avril prochain nous aurons deux concerts à New York, un en trio au Whynot Jazz Room et un autre en quartet avec le pianiste James Carney au Korzo. Mais j’ai du aussi envisager un groupe 100% français avec Antonin, Régis Huby au violon, Sylvain Darrifourcq à la batterie ce qui donne au final une couleur différente au répertoire. De cette difficulté en est ressorti un coté positif. La période est difficile pour remplir les salles mais c’est aussi je crois un problème culturel. Il y a un véritable souci économique que ce soit en France en Europe ou aux États Unis. Les disques que je viens de faire m’exposent plus grâce aux noms avec lesquels j’ai enregistré, mais internet nous fait beaucoup de mal, les gens piratent les disques, c’est la culture du tout gratuit qui rejaillit même au concert. Les programmateurs prennent peu de risques. Sans oublier la crise qui paradoxalement peut avoir aussi du bon, les gens ont plus de temps et peuvent se rencontrer plus facilement pour monter des projets et peut être qu’il en sortira, il faut l’espérer, quelque chose de positif…
Pourrais tu nous dire quelques mots sur l’importance de l’enseignement dans ta vie de musicien :
C’est quelque chose d’important en effet dans ma vie, il faut faire vivre sa famille et quand on a des enfants on ne peut pas trop compter ni courir sans cesse après le cachet. J’ai beaucoup entendu dire il y a une quinzaine d’années que les enseignants étaient des musiciens ratés mais je dois m’inscrire ici en faux. C’est paradoxal mais moi qui n’ai pris que très peu de cours j’en ai tout de suite beaucoup donné, c’est un choix personnel. J’y ai toujours trouvé de l’intérêt. J’aime enseigner les fondamentaux, surtout à des enfants et, finalement, j’apprends moi même beaucoup. La seule question à se poser c’est de trouver ce qu’est la musique. Le rythme est pour moi fondamental, le choix des notes chacun est libre, mais le rythme on se doit d’être dedans, c’est l’essence de la vie tout simplement et c’est la base de mon enseignement et la quintessence de ce que je fais.
Propos recueillis par Pierre Gros fin 2014.
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