Spin your brain, open your mind.

Au creux de l’hiver, quand on ne pense qu’à se poser les petons sur le bord du téléviseur qui passe un DVD de feu dans la cheminée, le festival Sons d’hiver nous invite à sortir de la torpeur vespérale et de la maison. Comme le dit un sociologue de comptoir au bar du sous-sol, les gens sont restés sidérés chez eux pendant les jours qui ont suivi les assassinats et là, ils se rattrapent : les soldes, les concerts : tous dehors ! Tiens, remets-moi un verre !
L’espace culturel André Malraux, au Kremlin-Bicêtre, plein à ras bord, ouvre les trois semaines du festival. Comme un retour année après année ( 24 déjà !!) de l’éducation populaire musicale.
Pas de démocratie sans éducation populaire. T’entends Fleur ? T’entends Najat ?

Matthew Shipp
Matthew Shipp

En première partie, le Matthew SHIPP Trio et son projet autour de Duke Ellington : Matthew SHIPP au piano, Michael BISIO à la contrebasse et Newman Taylor BAKER à la batterie.
Ils s’emploient les trois premiers morceaux à camper le décor, sans se regarder, à la feuille, au métier. Le batteur arbore un look d’indien qui a survécu au génocide ( si si, les américains blancs immigrants ont bien donné dans l’extermination des forêts, des bisons, des indiens... ), cuivré, ramassé, solide, dense, il amène une touche de précision, de frappe claire, sèche, nette, sans bavure, la serpillère, il connaît pas, même aux balais, il tranche. C’est avec Mood Indigo que le bassiste s’envole dans un solo a capella stratosphérique, un flux de conscience à la Molly Bloom.
Take the A train, Solitude, Satin doll,, ils égrainent les standards et on se croirait dans un décor de cinéma : une rue bordée de façades en contreplaqué ( les thèmes des standards ellington-strayhorniens ) et derrière : le vide propice à la relecture de ces morceaux, vide qu’ils l’emplissent passant du plus pur classicisme au maelstrom intégral ( une chatte épilée n’y retrouverait pas ses poils ) et aussi au free frit de BISIO lors de son dernier solo.

Duke a dû se crisper dans son trou. Tant mieux, Sons d’hiver ne fait pas dans la commémoration historique Sons d’hiver sème-essaime.


Et puis, et puis, et puis, qu’on se le dise : le Anthony BRAXTON Diamond Curtain Wall Quartet, s’il vous plaît.
Anthony BRAXTON aux sax et électronique, Mary HALVORSON à la guitare et pédales d’effet, James FEI aux sax et Taylor Ho BYNUM aux trompettes, bugle, cornet et trombone.

Pas besoin d’avoir Bac plus 42 pour tirer, dés le début, une conclusion provisoire et partielle : ces quatre là poursuivent le même objectif : jouer asymétrique, disjoint, ignorer les tierces majeures, les accords parfaits, allez soyons fous : même l’intervalle de seconde des voix bulgares. Leur conversation vise au dissensus consensuel !
Ils alternent des moments très écrits où ils tricotent le même nœud, comme un passage obligé pour passer de la boucle inférieure d’un 8 à la boucle supérieure. On se balade entre l’IRCAM et le bar-à-blues. Non, personne ne frotte une brosse métallique sur une tôle rouillée, non, personne ne bidouille un fichier « cris-de-chat-étripés » à l’ordinateur. Ils jouent dissonnant et ça surprend nos neurones, les liens synaptiques et toute cette chimie secrète qui les traverse.
Sept personnes ont quitté la salle : un problème de sonotone ? Une urgence de vessie ? Une envie subite de copuler ?
De leur côté, pas un moment de flottement, straight ahead à donf.
Braxton nous dit qu’ils aiment la France ( we love France ), qu’ils l’aimeront toujours ( we’ll love always France ) et hophop ( bye ) : ils sont partis.

Nous, on a le cerveau essoré ( 1600 tours ) et l’esprit ouvert à tous vents après ce concert qui cousine avec le BARRY GUY NEW ORCHESTRA et Henry THREADGILL.
Ready for the next show.

Festival Sons d’Hiver 2015 (23 janvier>15 février)
vendredi 23 janvier 20h30 - ESPACE CULTUREL ANDRÉ MALRAUX - LE KREMLIN-BICÊTRE (94)