J’ai, depuis toujours, un faible pour les moulins à vent. Je les trouve gracieux. Autant que mystérieux. Poétiques. Le 16 janvier est donc un jour remarquable entre tous car c’est le jour anniversaire de la publication du Don Quichotte de Cervantès, ou, pour être précis, de la première partie de l’œuvre, en 1605, à Madrid. C’est en outre la saint Marcel et il faut bien de la farine, peu ou Proust, pour préparer d’inoubliables madeleines. Ce jour-là, au Chorus, Guillaume de Chassy, Andy Sheppard & Christophe Marguet présentaient leurs « William Shakespeare songs ». Vous savez quoi ? Je les ai ratés. Quel con !

Et depuis, j’ai rien foutu. A part l’autre jour bien sûr car j’étais l’organisateur du concert. Francesco Bearzatti, Federico Casagrande et Bruno Tocanne jouant les thèmes de Motian, Paulo pour les intimes. Je laisserai un autre en parler, faut pas déconner. Nous étions, j’y pense subitement, le 30 janvier et Richard Brautigan aurait eu quatre-vingt ans s’il avait oublié de se suicider en 1984. Quel con !

Pierre De Bethmann

Le temps passe. J’ai osé l’écrire. Écrire est un passe-temps. Bref, hier, sept février 2015, Pierre de Bethmann jouait en trio au Périscope. Un bon jour le sept février puisqu’en 1857, Flaubert fut acquitté des accusations d’outrages aux bonnes mœurs qui le visaient. Il y a cependant quelques chances pour que ce soit une erreur judiciaire… Mais là n’est pas la question. Pierre De Bethmann est généreux et sa musique aussi. Ce qu’il fallait dire. Accompagné par Sylvain Romano et Tony Rabeson, il nous a promenés durant deux sets entre Hancock et Fauré, Monk et Kosma, entre autres. Fidèle à son goût de la réinterprétation, il a disséqué, avec le brio qu’on lui connait, des compositions que tout un chacun connait et dont on s’irrite à l’écoute de ne pas reconnaître immédiatement le titre.


Anne Quillier

Au Périscope encore ! Le sextet d’Anne Quillier tenait toute la scène et tint toutes ses promesses. Ne les ayant jamais vus en concert auparavant, force me fut de constater que ce sextet fait cohabiter l’excellence musicale individuelle et la cohésion plénière au service d’une musique explicitement originale. Ce que l’on avait écouté sur disque est plus expressément manifeste encore sur scène. C’est une sorte de réalité augmentée qui donne à cette musique, splendide en tout point, une dimension supplémentaire, une empathie empreinte de complicité et de générosité qui déclenche la sympathie de l’auditeur. Le talent premier de l’artiste a toujours été de tisser un lien, d’établir un espace commun, avec son public. Ce sextet régulier le réalise sans effort et nous conforte dans l’idée que seules les formations qui durent peuvent espérer sortir du lot et tutoyer les limbes réservés aux meilleurs. Certes, il faut que la musique proposée soit exigeante, lisible et authentique. À ce jeu-là, Anne Quillier se distingue et surclasse l’immense majorité des musiciens de sa génération. Et, à mon humble avis, il y a beaucoup de musiciens cinquantenaires ou plus qui désespèrent de leurs faiblesses créatrices quand viennent à leurs oreilles ses compositions. Ils doivent même entendre des voix qui les dépassent. Nous, nous attendons la suite avec sérénité.

Au fait, ce concert a eu lieu un vendredi 13. Par le passé, en octobre 1307 pour être précis, c’est aussi un vendredi 13 qui vit l’arrestation de Jacques de Molay, dernier maître de l’ordre des Templiers, et de ses fidèles, par Philippe le Bel. Ce fut la fin de cet Ordre religieux et militaire et, « ma foi », nous nous en foutons comme de l’an quarante. A part cela, nous ne croisâmes aucun chat noir et ne passâmes sous aucune échelle. Aujourd’hui nous écoutons le vieux Bob D. chantant (bien) des standards qu’interprétait Sinatra (dit-Franky-la-canaille-qu’a-fait-du-mal-à-Marylin) il y a plus d’un demi-siècle maintenant. L’autre jour, le Robert Z., il a dit, je cite : « Time is our soul mate. » Ça doit être ça l’humour quand on approche des soixante-quatorze ans à petits pas et que l’on a marqué son époque. Ce me plaît. Mais il a également assuré que c’était la son dernier enregistrement. Quel con !


Dans nos oreilles :

Philip Catherine - September sky
Bob Dylan - Shadows in the night

Sous nos yeux :

Emily Brontë - Wutherings Heights
Julien Gracq - Les terres du couchant