Concert d’ouverture de la saison 2015-2016.

Accueilli par un quadruple trombinoscope suspendu au-dessus de la scène, le public n’a d’autre solution que de fixer son attention sur ces supports où défilent en mode aléatoire les tronches vidéomatonnées façon short cuts de Théo CECCALDI, violons et composition, Alexandra GRIMAL, saxos et voix, Ivan GÉLUGNE, contrebasse et Florian SATCHE, batterie.
Ils sont là sans être là tout en étant là, qu’est-ce qu’on ne nous ferait pas croire avec ces écrans multiples : quoi, la réalité, quelle réalité ?

Ils arrivent pour de vrai en live physique de chair et d’os, et surprise surprise, pour l’intro, Grimal tend vers le ciel, tout au bout de ses bras, de ses épaules, de ses ( Gainsbourg susurre « ... de bakélite... »), une cisaille considérable et béante. Une menace pour l’équipement embarqué de ses collègues hommes ? Une petite vengeance à acter ? Non, juste la mise à bas de ces quatre écrans. « Dromadaire » qu’ils nous disent et répètent, ensemble, sans se marrer. On vaporise dans trucs dans les loges ?

Tout au fond là-bas, défilent des images. Entr’acte de René Clair, revisité, découpé, trituré : un écran vert ici, une spirale au mouvement vertigineux là, un enterrement aussi.
Il y a tant d’informations à intégrer que, c’est sûr, cette équipe a tout compris des techniques de confusion menant à la transe profonde. Pour le public, une seule solution : arrêter de lutter, cesser de vouloir contrôler le flux d’infos et plonger dedans. Vlaououououphphphph’ !!!
Tiens, y’a vraiment un dromadaire, il tire le corbillard. T’es dedans, t’es dehors, tu sais plus où t’habites. Mais alors, c’est la bande-son nouvelle manière ? On va le coloriser ou pas, ce film ?
Non, on se calme. Chacun vit sa vie : le film là-bas, la musique ici. Ils se croisent, s’évitent, se tournent le dos, copulent.
Quand applaudir ? Quand ne pas ?
Tension. Attente.
Ont-ils fini ? Vont-ils continuer ? À moins que le film ? Sans eux ?
Oh putain, quelle incertitude !! On retient son souffle, on serre les fesses, les bras du fauteuil et eux, là-bas, ne bougent pas d’un cil. Va comprendre !!! Y a-t-il quelque chose à comprendre ?
« Débranche-lâche-laisse-aller, » susurre l’autre. « Sens, ressens, laisse-toi toucher ».
L’intense silence du public en miroir-écho à leur intense musique : pianissimo vs fortissimo, chaos vs ordos, soli vs tutti, rupture vs continuité, furiosité vs calmitude !!
Ils mouillent la chemise.
"Dromadaire" qu’ils redisent, ensemble, sans se marrer.
On applaudit. Enfin.
Ce global concert eut été impossible sans Matthieu PION au son, Jean-Pascal RETEL au traitement vidéo et Vincent BODIN aux lumières.

Un second set avec le Duo Sophie AGNEL - Phil MINTON nous maintient dans le monde du pas du tout transhumain : ni exosquelette, ni prothèses, ni supplétifs numériques et le contenu du cerveau n’est pas un fichier dans le cloud.

Sophie AGNEL, comme un mécano plongé sous le capot du moteur, entreprend de faire rendre gorge à son piano. Elle règle les culbuteurs, change les vis platinés, ajoute un carbu quatre corps deux litres huit et fait rugir le tout à feu doux. Phil MINTON, sa voix et les accessoires naturels qui vont avec nous, raconte une histoire chorale. Y’a plein de gens qui se bousculent dans son chant chamanique, tant de monde dans un si petit corps. Chacun la ramène, est interrompu en pleine diatribe, on passe du coq à l’âne et de l’âne à Turner. En maître du souffle, Minton ne trie rien de ce qui arrive. Tout fait son, tout fait sens, tout fait maison.
La nuit est tombée sans bruit, la pluie aussi.
S’en retourner à la vie ordinaire.

Jeudi 24 septembre
Le carreau du Temple
4 rue Eugène Spuller
75001 PARIS