Tous les chemins y mènent, mais où ?

Jeudi 19 novembre, au Carreau du Temple (75003 Paris), le contrebassiste Claude Tchamitchian présentait son quartet Ways Out dans le cadre de la série ONJazz Fabric. Vincent Von Schlippenbach, alias DJ Illvibe, leur succédait.
Deux impressions, deux points de vue sur ce concert par Alain Gauthier et Pierre Gros.

Bon voyage, qu’il déclare, Claude TCHAMITCHIAN accolé à sa contrebasse.
Ways out, bon voyage, là tu te dis, ben merde quoi hein par où pour où ?
Mais pas plus parce que le pas lancinant du vaisseau du désert ( le récipient du vide ) se pose là, là puis là et encore là et scande la marche commençante.

Ways Out - Dijon, 2013
© Jacques Revon

L’équipage ( ze crou ) outre Tcham : Régis HUBY, violons électriques, Christophe MARGUET, batterie, Rémi CHARMASSON, guitare électrique, serre les rangs, avance le profil qui minore la fatigue et l’effort mais y’en a toujours un qui se décale et prend le vent.
Non, c’est pas un voyage en technicolor dents blanches haleine fraîche et pieds panés de frais.
Non non, ça tourbillonne sévère alentour, le vent, la poussière qui se glisse partout dessous et bingo !!! le tumulte de la trombe les entoure, nous entoure. On ferme les yeux même dans la salle. Un maelström de grains de sable en folie. Qui s’éloigne et disparaît. Eux continuent de cheminer, inaltérables, les mecs, en titane. Après la folie de la nature, la douceur méditative. Oui, ils savent jouer sans électricité aussi.

La seconde suite, Ïle de Ré ? ( Hilde Ray ? Hi, deux raies ?... ) prolonge ce pas lancinant, comme un battement de cœur apaisé, paisible. Chacun y va de son histoire, c’est comme ça dans le désert, on se livre chacun son tour, Charmasson, puis Huby, Tcham pendant que Marguet la joue batteur suisse : la précision d’un télémètre laser. Il y a dans l’air du temps des alternances de fureur et de douceur, de haine et d’amour, qui hantent ces deux suites.

Avec Etchmiadzine, troisième suite, le quartet nous emporte en Arménie lors d’une fête plus énergétisante qu’une de ces boissons artificielles et qui offre convivialité, plaisir partagé, réunion des différences. Ça tombe vraiment bien !!!
On entend de massives masses sonores qui ne masquent pas le fin tricotage du batteur et tout le monde se retrouve autour d’un ostinato féroce, lancinant, urgent. Urgent comme accueillir un réfugié tel un ami qu’on ne connaît pas encore.
On les rappelle.
Pour une courte pièce, Lost by yourself, un 5/4 qui se déhanche tranquille en s’éloignant.
Toujours ce pas, sur la voie, là, là et encore là.

.::Alain Gauthier: :.

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Sortir dans la ville meurtrie. Même pas peur, ne pas faire ce cadeau. Vigilant très certainement, mais pour être encore plus fort devant la bêtise d’où qu’elle vienne. Il y a ces moments qui ont balayé nos esprits. Un après où nos préoccupations seront forcément différentes. Mais jamais nous ne céderons la place à l’inculture, aux barbares. Nous retrouverons l’esprit de curiosité là où nous l’avons laissé, brutalement interrompu. Reprendre le chemin de la réflexion, de l’insouciance, des terrasses de cafés, du verre de vin, des sourires, de l’odeur du pain, des terrains de jeu.

WAYS OUT
Cœur lourd certes au Carreau du Temple mais le bonheur de se retrouver, de revoir une poignée d’ami(e)s qui sont bien là, non ce n’est pas un miracle. Le jazz, il n’est pas le seul, est un esprit de groupe qui joue avec mais ne cède pas au silence. Cœur vaillant, musique pudique jusque dans ses excès, il a besoin de cette expression exacerbée qui est sa force et sa beauté. La musique du quartet Ways Out de Claude Tchamitchian déborde de cette énergie vitale, de ces croisements ethniques que les conservatismes moisis exècrent. Fait de modalités, d’ostinato mélodiques et rythmiques c’est dans cet élan que s’inscrit l’art de ce groupe aux contours électriques. Les techniques musicales sont là pour exprimer ces ressentis, on passe du piano subtile au plus que forté, sans retenues, comme avant et ça nous fait du bien. De dire que non nous ne ferons pas à présent dans la demi mesure et à quoi bon ressortir un élément plus qu’un autre, ils se tiennent les uns aux autres pour former un ensemble cohérent de hautes mains fermes et unies.

DJ ILLVIBE

Vincent Von Schlippenbach, alias DJ Illvibe
Photo © Nadja Höhfeld

Les préjugés ont la vie dure et je me gifle. Les platines, les mixeurs m’ont toujours laissé de marbre et nous nous étions condamnés à n’y voir qu’une planque facile. DJ ILLVIBE, plus sobrement Vincent Von Schlippenbach, Fils du légendaire pianiste allemand Alexander von Schlippenbach homme libre s’il en est, œuvre depuis de nombreuses années sur la scène hip hop berlinoise et nous sommes resté baba devant ce talent unique qui combine les influences de la musique jazz et improvisée à celles de la musique urbaine dans des mixages d’une rare subtilité, provoquant une émotion poétique que l’on croyait ici impossible. Après tout le jazz est cette musique qui s’est passée et refilée ses trouvailles de disque en disque et de jam en jam. C’est le principe ici utilisé et peu importe les moyens instrumentaux employés pour en faire cette œuvre plastique si personnelle. Je me re-gifle pour y croire et j’y crois.

Fin du concert. On fait les quelques pas qui nous séparent de la place de la République, aller rendre hommage. Mille bougies, mille fleurs, mille messages. Aux amis, aux amours perdus, aux blessures, aux lumières que jamais nous n’oublierons. On caresse alors la pierre douce de cette place comme on caresse leurs éternités.

.::Pierre Gros: :.


WAYS OUT : Claude Tchamitchian, contrebasse /
Régis Huby, violon acoustique et électrique /
Rémi Charmasson, guitare / Christophe Marguet, batterie

DJ ILLVIBE : Vincent Von Schlippenbach, platines-clavier


Jeudi 19 novembre
WAYS OUT
Carreau du Temple
4 rue Eugène Spuller
75003 Paris