12è édition du Fetiva’Son.

Au bord de Paris, de l’autre côté du périph’, une petite rue, un groupe scolaire, sa cour, ses marronniers, un cliché à la Doisneau : la salle des fêtes Jean Jaurès à Malakoff. L’esprit de mai flotte ici (sans les drapeaux rouges) et les stridences des premières hirondelles raient le ciel.
Un Festival du Jazz et des musiques improvisées fait à l’ancienne et à la main par des passionnés et des bénévoles souriants, avec de vrais morceaux de bonheur dedans.

Ce soir, AKA MOON trio avec Fabrizio CASSOL au sax alto, Stéphane GALLAND à la batterie et Michel HATZIGEORGIOU à la guitare basse.
Histoire de s’immerger dans la chaude atmosphère du lieu, ils débutent par un morceau qui sonne comme une ballade, une chanson de cour pour d’oisives et fortunées personnes en train de glander (le propre de l’oisif).
Et histoire de se jeter dans l’eau chaude, ils n’hésitent pas. Plouf !!!
Ça devait le démanger, le batteur, il avait des fourmis partout et il les secoue, sa batterie aussi, autant la prévenir, tu vas prendre ce soir, chérie !!!
Mine de rien, ils ont grimpé le thermostat et, belge un jour belge toujours, ils sont chauds comme une baraque à frites. Cassol se montre joliment véloce, Hatzigeorgiou utilise sa basse comme une guitare classique : accords, pizz, galopades et ça semble d’abord étrange puis indispensable. Il se passe des choses poly-multi-dingo-rythmiques entre eux, la frappe de Galland fait un mille feuilles de plusieurs rythmes, la grosse caisse raconte un truc, la charley autre chose et ses mains sont partout. Ah quel bonheur susurrent les baguettes !!! Les tambours relaient « Fais-moi mal Stéphane !! ».
Le duo basse-drums joue terrible, on le croirait devant la porte d’un magasin et son sticker « Poussez fort », le sax, lui, suit le mouvement « Accroche-toi à l’anche, j’enlève le bec ». Ils en sont au second morceau et c’est juste hénaurme ce qu’ils donnent à entendre.
Comme prévu, la pédale de grosse caisse a du mou dans la charnière, Galland la rafistole, merci le collant double face et oui, on peut le déchirer en rythme. Rires.
Alors, maintenant que le ton est donné, on voit bien qu’ils ne sont pas venus ici pour se tirer après faire le boeuf, non non, ils ne gardent rien sous le pied, généreux à se dépouiller, à fond dans la descente et encore plus vite dans la grimpette. Et non, ils ne donnent pas dans les drogues dures du moment telles le cumul de mandats, les rémunérations obscènes ou l’entre-soi incestueux : ils se shootent au plaisir partagé.
Ils visitent toutes les formules possibles : le sax dialogue avec la basse, un coup j’te vois, un coup tu m’écoutes. Et, on peut s’étonner non ? dans cette période d’électro-augmentation du musicien, d’inflation des pédales d’effet, des machines ceci et des machines cela, Hatzigeorgiou joue avec -voici la liste exhaustive- une guitare, un ampli, une main gauche, une main droite et rien d’autre. Ah si, son envie, sa générosité, sa créativité. Et bien, bonjour les musiciens augmentés, prenez-en de la graine de coucourde.
Ce qu’ils ont en commun aussi, c’est le regard. Permanent : à toi à moi, à nous. Et le rire. C’est quand la dernière fois où vous avez vu des musiciens se poiler à jouer ensemble, se faire des niches, se défier, se marrer d’une relance ?
Cassol et son petit tuyau percé, face à ces deux furieux, joue comme un pupitre de souffleurs. Tout là-haut du côté des sopran’, tout en bas du côté des ténors.
On sent qu’il y a des conversations en cours entre le drummer et le bassiste, conversations qui nécessitent des ajustements, des approfondissements, des remises à niveau. Alors ils continuent de creuser. Au piochon.
Marcus Miller n’a qu’à bien se tenir ce soir, Jaco Pastorius aussi.
Ils reviennent à une forme jazzy plus classique pour deux morceaux (thème-impro-thème) et revisitent Scarlatti pour terminer, Scarlatti, 17è siècle, qui prend une grande claque de jouvence façon 21è.
Eux, c’est d’une douche dont ils vont avoir besoin, pour refroidir leurs ardeurs intactes.

Pour prolonger l’intense plaisir de ce concert, se procurer, en librairie ( oui, votre libraire est remarquable !!), l’épatant ouvrage tout frais sorti « Sur la piste du Collectif du Lion  », collectif auquel appartint Cassol au sein du Trio Bravo ( 1984 ). Ce qui ne nous rajeunit pas.

Vendredi 6 mai 2016
Festiva’son
Salle des Fêtes Jean-Jaurès
11 rue Jules Ferry
92240 Malakoff