JazzFabric#33

Le quintet ( Hugues MAYOT compositions, sax ténor et clarinette sib, Sophie BERNARDO au basson, Théo CECCALDI au violon, Valentin CECCALDI au violoncelle, Joachim FLORENT à la contrebasse ) s’offre un look chambriste : demi-cercle, pupitres, ça sent le concert de fin d’année de conservatoire. Si vous les invitez pour une petite fête dans votre studio, pas la peine de déplacer la commode, en poussant le delphinium contre le mur, ils auront assez de place.

Le violoncelle rompt le silence attentionné du public d’un son filé, ténu, scandé par une pulse grave grattée d’un doigt. Rejoint par tous les archets puis les vents. Tout de suite, ce son : rond, plein, puissant, équilibré. Qui emplit l’espace et ses habitants. Et les scotche.
On croirait entendre ici une vielle, là une ritournelle. Ça sonne comme une danse (allez, au pif, entre le haut Moyen-âge et la Renaissance ), une danse revisitée et nourrie de nombreuses formes différentes. Inutile de s’attendre à ceci plutôt qu’à cela parce que rien ne se passe comme on pourrait le supposer. Surprise surprise, cette musique inventive (titrée « En souvenir d’une terre » ?) est pleine de jolies surprises.

Puis le basson, sur fond de cordes et clarinettes, fait entendre sa voix si particulière. Les cellules répétitives et les ruptures de rythme font penser au Phil Glass de Music for 18 musicians. Le contrebassiste y va de son solo, puis le basson sur fond de pizzicati au cello et contrebasse. Un solo au basson !!!! Une rareté. Depuis son impro sur Indifférence en duo avec Ithurssarry l’an passé, Bernardo a pris goût aux joies du lâcher prise musical. C’est trétrétrébo.
Et quelle écriture !!!
Jouer avec les timbres de ce 5tet, quelle belle idée !!!
La contrebasse, le basson et le ténor sonnent comme une fanfare qui se retient d’exploser les tympans. Ils ont dû lire l’histoire des indiens qui, avant d’abattre un arbre, suivent un cérémonial empreint de respect et de gratitude. Parce que des histoires, ils en racontent plusieurs à l’arbre rouge. C’est bien le seul doute qu’on emportera : pourquoi l’arbre rouge ? La belle Emmanuelle évoque les séquoias (redwood trees) de Vertigo, le grand Armand évoque Piet Mondrian ; pourquoi pas Strange Fruits en repeignant l’arbre-potence ? À moins que celui de Brassens... ré écrit ?

Ensuite, Théo Ceccaldi, soutenu par ses collègues occupés à répéter une séquence immuable, s’emporte. Enfin... s’emporte..., pas si tant que ça, on reste dans un registre pas échevelé, la clarinette le rejoint et à nouveau en solo, il s’appuie sur le cello et la contrebasse. Somptueux trio de cordes. Mayot collectionne les timbres, c’est sûr. Et il réarrange sa collection pour nos oreilles : rien ne sonne faux. Pas faux de "pas juste", faux de "pas vrai". Tout est beau quel qu’en soit le format : solo, duo, trio, etc....
Ils continuent, le ténor et la contrebasse, avec un genre de tarentelle répétitive. Des fois qu’on n’aurait pas compris qu’on assiste à la rencontre improbable de la musique répétitive avec un répertoire de ménestrels et de fougueux improvisateurs du temps présent.

Encore une fois (one more time), une bande de musiciens pas du tout augmentés pas du tout encombrés de trucs électros niquent le « progrès » électrique. Un corps, un instrument acoustique, un accolement jouissif.
On pourrait rêver d’un arbre rouge au milieu d’une place de village et eux, à ses pieds. Pour une fête villageoise. Acoustique. On danse, on écoute, on boit des coups.
On en sort plein et rond (et rond petit pat...).
Dehors, la nuit chasse le jour, mais prends ton temps mon grand, qu’elle lui dit, en juin, je ne reste pas trop longtemps.

Jeudi 9 juin 2016
Le Carreau du Temple
2 rue Perrée
75003 Paris