Soixante-dix-septième étape

Margaux Desbrosses

Quand on aime, on ne compte pas. Retour sur les berges mâconnaises de la Saône pour découvrir le trompettiste dont certains parlent avec une passion non feinte, Christian Scott, et son beau et bon groupe (Christian Scott aTunde Adjuah - trompette, Braxton Cook - saxophone alto, Elena Pinderhughes - flûte, Corey Fonville - batterie, Kris Funn – basse, Lawrence Fields – piano). Avant cela, la bonne quarantaine de stagiaires du festival (six groupes, des néophytes aux confirmés) firent le rendu de leur semaine musicale sur la grande scène du festival en première partie des américains. Une belle initiative qui traduit parfaitement l’ambiance générale de cette manifestation, d’autant qu’en fin de soirée au club, les mêmes stagiaires purent faire le bœuf avec les membres du groupe de Christian Scott dont nous soulignons ici avec sympathie la générosité et la simplicité.

Christian Scott

Mais avant ces échanges aussi musicaux que noctambulesques, Christian Scott et sa bande eurent tout loisir d’enflammer le public abondant avec un indéniable savoir-faire. A en croire le dossier de presse, jazz, rock indé, hip hop étaient au menu. Si l’assertion n’est pas fausse, elle est en partie incorrecte car la musique de Christian Scott, accessoirement neveu de Donald Harrison Jr, évolue au-delà de ces genres auxquels il serait nécessaire d’ajouter une once de jazz-rock et de free un rien groovy, pour faire bonne mesure… Ce qui nous amène à parler de cette « stretch music » comme d’un métissage abouti, c’est qu’elle ne renie aucunement ses origines jazz et son terreau louisianais. Elle s’en écarte et bouscule la convention, crée un langage idoine sur une thématique inhabituelle et inattendue, oui, mais jamais n’en perd l’esprit racinaire et festif. Par la puissance de jeu et la virtuosité des musiciens, les compositions du trompettiste acquièrent une densité imposante, bouillonnante, mais sans lourdeur. Évocatrices, elles le sont aussi car Christian Scott sait raconter les histoires en musique. Il ne se prive pas également d’émailler son concert d’anecdotes, toutes ancrées dans la Nouvelle Orléans qui l’a vu naître, qui définissent la trame d’un libre engagement, exempt de compromission, au service du brassage des cultures. Libre et jubilant, Scott joue somme toute assez peu, mais ses interventions sont incisives, taillées au scalpel, et déterminantes pour ses musiciens qu’il pousse à exceller, ce qu’ils font sans effort apparent, soi-dit en passant. Laissez-nous cependant mentionner Elena Pinderhugues, flûtiste extra-terrestre, qui du haut des ses vingt-et-un ans assomme avec une invraisemblable clairvoyance et un caractère original des auditeurs bluffés par la maturité de ses soli virtuoses (sans excès) et leur subtile beauté. Christian Scott, lui, dans ses habits amples et colorés, s’en amuse, tel un Miles sûr de son coup, mais plus guilleret que l’original. Alors, bien que la filiation semble patente à quelques égards, nous attendrons une décennie ou deux avant de nous prononcer sur son possible génie, plus précisément à la vue de ce qu’il aura accompli musicalement. Quoi qu’il en soit, le futur n’a qu’à bien se tenir car lui et son gang affichent une moyenne d’âge si ridiculement basse que qu’ils feraient passer Robert Glasper pour un ancêtre (qui, c’est notre avis, est déjà dépassé par ces gens-là en termes d’originalité musicale).

C’était un 23 juillet, jour de naissance de Raymond Chandler en 1888. Année qui vit aussi, à Lille, la chorale de la Lyre des Travailleurs interpréter, pour la toute première fois, le chant de l’Internationale.

P.S. Immédiatement après son rappel, plutôt que de rester backstage, Christian Scott a préféré aller à la rencontre du public avec lequel il a partagé un long moment. Une attitude si étonnante de nos jours dans un festival qu’il nous semble nécessaire de le signaler.


Dans nos oreilles

Helen Merrill & Gordon Beck - No tears... no goodbye


Devant nos yeux

Ernest J. Gaines - Autobiographie de Miss Jane Pittman