Ouverture du festival Jazz en Tête.

Le festival clermontois, Jazz en Tête, en était cette année à sa 29è édition. Sous la direction artistique de Xavier Felgeyrolles, il met en avant ses spécificités : en automne, une programmation très mesurée et tempérée, qui marque nettement son attachement au jazz nord-américain issu du be-bop. Ne comptez pas y trouver du free pur et dur ou les têtes chercheuses des collectifs iconoclastes. Le jazz reste du jazz ici : les structures rythmiques, mélodiques et harmoniques ont encore leurs défenseurs. Même en restant globalement "dans les clous", les musiques écoutées lors de cette soirée d’ouverture pétillent d’inventivité. Le jazz n’est pas près d’avoir épuisé toutes ses ressources !

Joel Ross, Marquis Hill, Josh Johnson, Jeremiah Hunt & Makaya McCraven
© Thierry Giard - 2016

Pour preuve, le Blacktet réuni par le jeune trompettiste originaire de Chicago, Marquis Hill, n’a rien d’aristocratique. S’il conserve un ancrage dans les normes du jazz telles qu’on les remodelait dans les années 60 et 70 (du côté du label Blue Note en particulier) ce musicien n’est pas hermétique aux musiques de son temps. Vous me direz, mettre un peu de hip-hop dans son be-bop, ce n’est pas franchement neuf aujourd’hui. Marquis Hill réussit cela avec beaucoup d’intelligence et de finesse. Il a su s’entourer d’une remarquable équipe qui, bien que remaniée récemment, affiche une grande cohésion. Cette formation possède un son et un sens du jeu collectif qui font sa force d’autant plus que le leader, brillant trompettiste (primé lors de la Thelonious Monk Competition en 2014) a le sens du partage et laisse à ses complices tout l’espace qu’ils méritent.

Marquis Hill
© Thierry Giard - 2016

Ça nous a donné l’occasion de découvrir ces cinq musiciens qui nous étaient jusque là inconnus, le saxophoniste Josh Johnson (quelque part entre Jackie McLean et Oliver Lake), le vibraphoniste Joel Ross au jeu très sage et subtil et la rythmique particulièrement efficace que composent Jeremiah Hunt (contrebasse) et Makaya McCraven (batterie) entourent un leader très bienveillant. Sans exagérer la promo de son dernier album dont le titre serait à première vue une lapalissade (The Way We Play...), Marquis Hill explique et démontre dans l’action qu’il aime nombre de thèmes du jazz (standards ou pas) et qu’il en extrait une substance parfois insolite. Outre des emprunts à Gigi Gryce ou Donald Byrd, il nous a offert un dilution du Maiden Voyage d’Herbie Hancock assez exquise : introduction au vibraphone et exposé du thème sur tempo très très lent, notes tenues, pour ouvrir la porte à un solo de contrebasse d’une grande profondeur. Cette jeune équipe pense "musique" et non exhibition technique ou recherche d’un son accrocheur comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui. Le public a apprécié et ce Blacktet s’est offert un beau succès en allant volontiers à la rencontre de fans fraîchement acquis dans le bel espace de la Maison de la Culture.
Laissons un peu de temps au temps pour confirmer une première impression tout à fait positive. Pourvu que les producteurs aux dents longues ne se précipitent pas pour mettre leur grain de sel dans une musique qui ne manque pas de saveurs prometteuses dans l’état.

Kenny Barron, Kiyoshi Kitagawa & Johnathan Blake
© Thierry Giard - 2016

Venait ensuite le trio de Kenny Barron, celui-là même qu’on peut écouter sur l’excellent album "Book of Intuition" paru au printemps dernier (Impulse ! Lire ici...). Le pianiste a toujours à ses côtés le contrebassiste japonais Kiyoshi Kitagawa et a recruté l’excellent Johnathan Blake, batteur à la frappe sure, fine et efficace qui dispose son set presque à l’horizontale, les cymbales au ras des toms : quelle précision !
Avec Kenny Barron, le jazz retrouve toute la noblesse d’esprit qu’avait su lui donner Ellington (il lui rendra d’ailleurs hommage dans un solo concis autour de l’assemblage de quatre pièces du Duke).

Kenny Barron
© Thierry Giard - 2016

Sa musique est savante car il sait extraire la sève de compositions parfois fort simples qui nous emmènent souvent sur des rivages ensoleillés (le Brésil, les Caraïbes...) mais rendent aussi hommage aux géants du jazz : Le Duke et Billy Stayhorn, nous le disions, mais aussi Bud Powell et son ami, le regretté Charlie Haden. À ce dernier, il emprunte "Nightfall" dont il donne une interprétation très touchante dans l’écrin de son trio. Son toucher de clavier caresse la mélodie, fait surgir l’émotion et amène naturellement un solo de contrebasse... Kiyoshi Kitagawa ne dément pas la réputation des japonais et fait renaître le jeu aéré et en suspension de Charlie Haden, à s’y méprendre : travail de copiste ou mimétisme ? Allez savoir... Fascinant !
Peu expansif dans sa relation avec ses auditeurs, Kenny Barron va à l’essentiel et préfère laisser parler ses doigts sur le clavier que de se perdre dans de longs discours. À l’écoute d’une musique de cette qualité, de cette classe, l’émotion passe et ce concert connut un succès amplement mérité entraînant un rappel inévitable. Ce fut "Cook’s Bay" pour conclure, souvenir lointain d’un moment sur une plage d’Hawaï... Le charme exotique agit inévitablement, Kenny Barron brode une mélodie soyeuse, joyeuse. Encore le bonheur du jazz !

Notre passage au festival 2016 s’est limité à cette seule soirée... Dommage, la suite promettait encore de beaux moments de jazz servis par une équipe très motivée et fort accueillante !

29e festival Jazz en Tête - Maison de la Culture, Salle Jean Cocteau, Clermont-Ferrand - Mardi 18 octobre 2016.

  • 20h00 - Marquis Hill Blacktet : Marquis Hill : trompette / Josh Johnson : saxophone alto / Joel Ross : vibraphone / Jeremiah Hunt : contrebasse / Makaya McCraven : batterie
  • 22h00 - Kenny Barron trio : Kenny Barron : piano / Kiyoshi Kitagawa : contrebasse / Johnathan Blake : batterie