Cent-unième étape

Shabaka Hutchings
Shabaka Hutchings

Pour notre deuxième soirée vaudaise, un jeudi 23 mars, jour qui vit débuter en 1976 les « Jeux de 20 heures » avec l’inénarrable Maître Capello dont on se demande encore à quelle dope il tournait, nous étions impatients d’écouter Steve Coleman en trio (avec Anthony Tidd  : basse / Sean Rickman : batterie) et le sextet de Shabaka Hutchings (avec Mthunzi Mvubu : saxophone alto / Siyabonga Mthembu : voix / Ariel Zomonsky : basse / Tom Skinner : batterie / Gontse Makhene  : percussions). C’est par le Trentenaire londonien que la soirée fut lancée, au rythme de l’Afrique du Sud. Shabaka Hutchings emmena l’ensemble avec puissance et précision dans une sorte de tournis hypnotique à l’eurythmique beauté (même pas le temps d’accorder le saxo entre les compositions…) où chacun des musiciens prit sa part avec éloquence et même une alacrité bienvenue. Ce fut net et sans bavure, mais non dénué de sens grâce au propos du chanteur qui n’éluda pas l’aspect politique de l’affaire. Dommage, là encore, que le son en façade fut agressif et ôta toute leur chair aux saxophones ténor et alto. Cela ne les empêcha pas cependant de chaleureusement tournoyer autour de la ligne mélodique avec une belle générosité et de conquérir ainsi un public complice.


Steve Coleman
Steve Coleman

Les gens qui s’intéressent au jazz connaissent depuis longtemps le chicagoan Steve Coleman qui, à soixante ans, demeure un chantre de la liberté musicale cuisinée au concept de la « géométrie sacrée », ce qui bien évidemment repousse malgré tout les traditionalistes de tout poil. Coleman, sur son nom et son talent, avait somme toute copieusement rempli la salle. Comme quoi le jazz, n’est-ce pas ? Fidèle à ses concepts, il se comporta en derviche détourneur des mesures, pas névrotique mais presque (démesure), avec une constance affirmée, fort bien épaulé en cela par son bassiste et son batteur, jusqu’au moment où il attaqua par surprise une ballade qu’il finit par délaisser sur l’autel du libre échange musical circulaire où se mariaient les lignes de chaque instrumentiste, non sans avoir quelques minutes auparavant cité Monk. Afin de nous pousser vers une fin de set extrêmement prévisible, Anthony Tidd regarda ostensiblement sa montre tandis que lui, Coleman, peu après, sortit son téléphone de sa poche et lui jeta un coup d’œil subreptice. Argh ! Il y eut néanmoins au final un « ‘Round midnight » propre à dégraisser n’importe quel esprit retors et illuminer tous les cerveaux grincheux tant il sembla gorgé d’une pureté peu commune par les temps qui courent et perché en des lieux peu fréquentés par les musiciens lambda. Après ce moment de grâce, pour le coup, c’est nous qui regardâmes notre montre. C’était déjà demain et la soirée datait déjà d’hier.

Trêve de plaisante rigolade, le 23 mars fut également le jour où 1743, à Londres, la première représentation du Messie, de Georg Friedrich Haendel, reçut à l’issue de la représentation une ovation debout, la première de l’histoire semble-t-il.


Dans nos oreilles

Howard Johnson and Gravity - Testimony


Devant nos yeux

Polka, N° 37, printemps 2017