Cent dixième étape

Gilles Coronado

Gilles Coronado (guitare), Matthieu Metzger (saxophone alto), Antonin Rayon (Hammond B3, clavinet, bass keyboard), Franck Vaillant (batterie), voilà le programme du soir au very Périscope ce 20 mai qui, en 1570 vit le cartographe Abraham Ortelius publier le premier atlas géographique moderne, le « Theatrum orbis terrarum ». Avec ça, la cartographie musicale du soir n’avait qu’à bien se tenir. Les quatre précités forment l’Urban Mood du XXIème siècle, formation née dans les années quatre-vingt dix et mise en sourdine au début des années deux mille. Le propos, s’il a naturellement évolué, demeure proche de ses origines. C’est un groupe, avec un son de groupe, qui fait une musique mutante quelque part entre jazz et rock. Dans un Périscope somme toute déserté, il suffit d’un set aux musiciens pour dynamiter l’humanité présente et la rendre heureuse, avec une mention spéciale à celui qui, assis contre le mur de gauche, exprima trop régulièrement son contentement avec une vigueur vocale aussi hilarante que sa syntaxe était défaillante et chiante à faire trépasser un cadavre, voire à susciter une carrière de serial killer chez ses voisins immédiats. Cet étalage d’irrépressible joyeuseté n’empêcha néanmoins pas chaque musicien de démontrer son talentueux engagement au service de compositions complexes laissant déborder leurs émotions intimes, quelquefois avec une énergie improvisatrice torrentielle, avant que ne revienne une forme passagère d’apaisement. Tension, détente ; alternatif ou continu, le flux musical emprunta aux sonorités urbaines des rythmes lourds, suscita des ambiances de friche industrielle, de ruelle nocturne odorante, à l’éclairage blafard, où semblait inopinément survivre un baroque espoir. La cartographie musicale du soir fut donc contrastée, âpre à souhait, organique aussi et précise dans ses moindres détails, qu’ils soient strictement percussifs où purement mélodiques. Nous aimâmes cela car nous aimons depuis toujours ceux laissent respirer leur musique afin qu’elle infecte l’auditeur et lui laisse une trace, en l’occurrence une trace épaisse et jouissive.


Cent onzième étape

Primitive London

Robin Fincker au saxophone et à la clarinette, Antoine Berjeaut à la trompette et au bugle, Kit Downes à l’orgue Hammond, Jim Hart à la batterie et Juice Aleem au chant forment depuis peu le groupe Primitive London. Ne cherchez pas d’emblée à la classe dans tel ou tel rayon, ils sont assurément entre les étagères ou répartis en pièces ici et là sur ces dernières. Si l’on en croit le texte introductif du Périscope où avait lieu le concert, c’est à la « Library music » que se réfère les musiciens. Nous ne vous l’expliquerons pas dans ces lignes. Renseignez-vous. Quoi qu’il en soit, leur répertoire brille par le mélange des genres (ce n’est pas une insulte) et, dans un même morceau, les structures peuvent joyeusement s’entrechoquer, pourvu qu’il y ait du plaisir à prendre et à donner. Pop ou jazz, free, écrite ou improvisée, leur musique est un bain de jouvence pour les oreilles à la tolérance élargie. Cinématographique sous certains aspects, elle fut ce 3 juin dernier propice à une climatologie versatile qui suscita intérêt et étonnement chez les auditeurs périscopiens hélas bien trop peu nombreux. La présence de Juice Aleem apporta un supplément fort à propos à cet univers riches en contraste. Quant à nous, nous ne savions pas vraiment d’où venait cette musique et ne savions pas plus où elle allait. Mais, en tout état de cause, elle était là, prégnante et passionnante et nous ne regrettâmes aucunement notre venue. Même la pluie n’ôta rien à notre contentement. C’était donc un 3 juin, jour qui vit naître, en 1926, Allen Ginsberg, en 1936, Larry McMurtry, et en 1942, Curtis Mayfield. On a vu pire, n’est-ce pas ?


Dans nos oreilles

Rory Gallagher
Rockpalast, Loreley, Germany, 28-8-1982. Voir sur YouTube ici...


Devant nos yeux

Jane Austen - Emma