Courtois, Erdmann, Fincker

Ils posent leurs sacs et prennent leurs aises trois soirs de suite à l’Atelier du Plateau, un luxe peu fréquent pour des musiciens contraints au nomadisme professionnel.
Ils : Vincent COURTOIS, violoncelle, Daniel ERDMANN, sax ténor, Robin FINCKER, sax ténor et clarinette.

Hier soir, le trio avait invité, Dominique PIFARÉLY, demain soir ce sera le tour de Sarah MURCIA et ce soir : Benjamin MOUSSAY au Fender Rhodes.
Le programme est fidèle au disque West, récent opus de Vincent Courtois. Et commence par une longue intro au violoncelle, une intro qui pousse les murs et soulève le toit. Autant se mettre à l’aise tout de suite, créer l’espace idoine et s’approprier un bout de l’univers. En transformant le violoncelle en guitare d’accompagnement, Courtois installe une scansion intense que le souffle des saxes et le son si caractéristique du Fender vont muter en nappe géante. Une nappe digne d’une tablée gargantuesque. À la clarinette, Fincker soloïse chambriste. L’entrée du Fender convoque Persian Surgery Dervishes une bribe d’instant. Puis solo d’Erdmann. Ça joue terrible. Et ceux qui se seraient rendus à l’autre bout de Paris pour écouter Riley live se sont trompés : c’est bokoubokou mieux ici !!!
Suit 1852 mètres plus tard.
Intro au cello façon oud puis dialogue avec le Fender. Ça, pour causer, ça cause. Ces mecs-là revisitent in situ l’histoire de la phénoménologie et nous incluent dans l’expérience. C’est magnifique limite sublime. Rien qu’ils n’aient dû partager en mots, les sons suffisent. Et quels sons !!! Quand le ténor et le fender s’élancent, le cello se rappelle à eux par un cri, une saillie. Ils sonnent encore plus que le quatuor Machaut dans ce même lieu. Et on croirait entendre Jan Garbarek au détour d’un écho.
Avec No Where, Courtois use d’un genre d’harmonium à manivelle, un truc de campeur autonome et la rencontre avec le Fender et la clarinette est tout sauf banale : chacun sa texture sonore pour un mix inoui et surprenant. Encore une fois, le fender et le cello conversent, ils ont des trucs à se dire et redire et c’est trétrébo.
Ils créent une musique qui prend son temps, on croirait entendre les premières looongues phrases de Padura dans Les brumes du passé. Puis ça se gâte, enfin non, ça ne se gâte pas, ça se transforme. On ne remerciera jamais assez les furieux de la musique répétitive des années 60, là, ils leur rendent un hommage plus qu’appuyé. Moussay se déhanche les doigts sur un minuscule piano de minot pour enchaîner un boucle folle, Courtois métronomise une séquence invariable, ça va hyper vite, c’est envahissant, imposant, étourdissant, fascinant, sublime. Le premier qui dit qu’il a pu penser à quelque chose est viré de la salle.
On a à peine le temps de ramasser nos bouts éparpillés que Courtois enchaîne avec un truc bluesy roots grave. Avec les deux ténors, ça sent le bouge au bord de la rivière et les shots à la file. Sur fond de Fender funky râpeux, Fincker se déchire la bouche et Moussay prend un solo d’anthologie qui se développe de sons vachement chanstiqués par les effets de sa machine jusqu’à laisser sa furia romantique dévaler le clavier. Erdmann le rejoint, le furieux ostinato forcené du cello boucle la boucle.
Bien sûr, on les rappelle. Et les re-rappelle.
Ce concert high level vient à point pour évaluer quelques niaiseries entendues dans l’année et remettre dans le bon sens les oreilles et l’ouïe qui va avec.
Merci les mecs.

Vendredi 21 décembre 2017
Atelier du Plateau
Impasse du Plateau
75019 PARIS