La Carte et le Territoire de Guillaume Seguron.

Guillaume Séguron septet
© Florence Ducommun - 2018

À l’heure des hommages et des reprises qui fleurissent ces temps-ci d’une manière plus ou moins heureuse, le processus créatif se fait rare et c’est fichtrement intéressant de voir que certains musiciens s’y frottent et acceptent la grosse prise de risque que cela représente. Et qui plus est en septet ! C’est ce que nous a proposé le contrebassiste Guillaume Séguron ce vendredi 23 février au terme d’une résidence de cinq jours à l’AJMI d’Avignon. Avec lui, six musiciens ami(e)s de longue date et qui ont « l’attitude naturelle de construire des itinéraires inconnus ». On ne s’étonnera donc pas du choix de Catherine Delaunay aux clarinettes, Jean-Baptiste Berger à la clarinette, saxophone ténor et flûte, Matthias Mahler au trombone, Régis Huby au violon, Pierrick Hardy à la guitare et Bruno Angelini au piano et claviers.

Guillaume Séguron septet
© Florence Ducommun - 2018

Guillaume Séguron est déjà un OVNI dans le paysage musical du jazz, un monde à lui tout seul comme le dit son ami Bruno Angelini au détour du concert, avec sa propre cosmogonie passionnante et passionnée. J’ai envie d’utiliser le titre d’un roman de Michel Houellebecq pour définir ce monde : « La Carte et le Territoire ». Un vaste territoire et une carte indispensable pour y évoluer. Il faut avoir écouté son Solo pour Trois et ses Nouvelles Réponses des Archives en solo pour rentrer dans son univers. En effet cette nouvelle création d’environ 80 minutes d’un seul tenant en plusieurs mouvements au tempo identique, est aussi une histoire de lieux et de mémoires et tient toute entière dans une toile d’araignée où chaque source d’inspiration répond à une autre, avec une logique qui semble tenir du hasard mais aux coïncidences trop nombreuses pour qu’elles soient fortuites. Il en est ainsi de Nora, qui dans ce contexte est un site archéologique au sud de de la Sardaigne visité par le contrebassiste après qu’il ait été face à face avec la stèle de Nora au musée de Cagliari. Premier choc qui lui rappelle la stèle des Doms au Musée Calvet d’Avignon, lui qui avait abandonné ses études d’archéologie et d’histoire de l’art en 1993 mais est toujours resté imprégné de ces disciplines.

Guillaume Séguron, Régis Huby
© Florence Ducommun - 2018

Quant au Feedback, c’est une obsession ségurienne pourrait on avancer. Regarder en arrière pour ce collectionneur impénitent de rétroviseurs cassés est un état d’esprit. Il sous-entend le retour d’expérience, le rétrocontrôle, mais aussi la nécessité pour avancer de jeter un coup d’œil en arrière. Il y a ensuite ses adaptations Théâtre-Musique de l’Étranger d’Albert Camus, contemporaines de ces notes et écrits sur la Sardaigne, réinjectées dans Nora Feedback à travers trois thèmes qui s’entremêlent et forment la trame de la création, celui de Meursault, de Salamano et son chien, qui, on se souvient de ses lectures, étaient les voisins de palier du héros s’il en est… Autour de ces voix musicales, les musiciens ont construit leurs contrepoints et motifs en sinuosités enchevêtrées , chorus habités des soufflants ou solos magistraux de Bruno Angelini, Régis Huby ou celui plus inattendu du guitariste Pierrick Hardy amenant une digression surprenante à la touche brésilienne faisant penser à Expresso 2222 de Gilberto Gil, lui qui affectionne tant cette musique. Guillaume Séguron quant à lui, équilibre l’ensemble en maître de cérémonie en utilisant autant la contrebasse que la basse électrique et l’impression qui s’en dégage est parfois symphonique. Ces variations seront sans doute amenées à encore évoluer librement. « Enrichir la lecture, ne pas scléroser l’œuvre et s’habituer à des systèmes qui peuvent vite devenir des automatismes ». Spectacle vivant et démultiplié à plusieurs voix pourrait-on donc dire, car le contrebassiste compositeur a accru les combinaisons de timbres en faisant jouer les musiciens sur plusieurs registres par le seul passage de l’acoustique à l’amplifié comme dans Solo pour Trois et Nouvelles Réponses des Archives. L’instrumentiste peut donc modifier la texture du son et continuer à improviser. Un seul écueil cependant : s’étaler trop longtemps et perdre le fil du discours au fur et à mesure des représentations. Gageons que Séguron saura maintenir le cap. En tout cas, chacun a retenu son souffle jusqu’à la fin imprévisible tant nous étions rentrés dans l’histoire ou plutôt les histoires passées et à venir ! Et nous sommes repartis plus riches qu’à l’arrivée grâce à l’immense générosité de cette musique si bien servie par des musiciens prêts à partager leur essentiel.
Et comme il n’y a pas de hasard mais que des correspondances pleines de surprises, je vous livre cette phrase de Oliver Wendell Holmes lue le soir même du concert et fort appropriée au monde de Guillaume Séguron : "Ce qui est derrière nous et ce qui est devant nous ne sont que peu de choses comparés à ce qui est au-dedans de nous".

Guillaume Séguron septet
© Florence Ducommun - 2018

"Nora Feedback"
Création 2018 de Guillaume Seguron
AJMI - La Manutention
Avignon (84) le 23 février 2018.

Guillaume Séguron septet ©© Florence Ducommun - 2018
Guillaume Séguron septet ©© Florence Ducommun - 2018
Guillaume Séguron, Régis Huby ©© Florence Ducommun - 2018
Matthias Malher ©© Florence Ducommun - 2018
Jean-Baptiste Berger, Pierrick Hardy, Matthias Malher ©© Florence Ducommun - 2018
Jean-Baptiste Berger ©© Florence Ducommun - 2018
Matthias Malher, Guillaume Séguron, Régis Huby ©© Florence Ducommun - 2018
Pierrick Hardy, Guillaume Séguron ©© Florence Ducommun - 2018
Catherine Delaunay, Guillaume Séguron, Jean-Baptiste Berger, Matthias Malher ©© Florence Ducommun - 2018
Catherine Delaunay, Bruno Angelini ©© Florence Ducommun - 2018
Catherine Delaunay, Bruno Angelini ©© Florence Ducommun - 2018
Guillaume Séguron septet ©© Florence Ducommun - 2018
Guillaume Séguron, Régis Huby ©© Florence Ducommun - 2018