Trop de beauté ne tue pas la beauté !!

Régis HUBY ne fait pas dans le bas de gamme, la récup’ et le recyclage. Lui, son casting a dû s’organiser autour de deux critères : le sens du collectif et la folle passion de la musique improvisée. Au final, quinze musiciens taille XXXXL du genre incontournables-pour-jouer-la-musique-d’aujourd’hui :
Régis HUBY violon, composition, Guillaume ROY violon alto, Atsushi SAKAÏ violoncelle, Matthias MAHLER trombone, Pierre-François ROUSSILLON clarinette basse, Catherine DELAUNAY clarinette, Jean-Marc LARCHÉ sax soprano, Joce MIENNIEL flûte, Illya AMAR marimba et vibraphone, Bruno ANGELINI piano et claviers, Pierrick HARDY guitare acoustique, Guillaume SÉGURON et Claude TCHAMITCHIAN contrebasse, Michele RABBIA percussions et électronique, Marc DUCRET guitare électrique sans oublier Sylvain THÉVENARD ingénieur du son, Didier SERYES lumières.
Pérec avait fait le coup de La Disparition, Huby fait celui de l’omission : Une ellipse ? l’omission d’un mot. Ce qui donne :
Steve REICH : Music for a large ensemble,
Régis HUBY : Music for large ensemble.
Pas la peine de se fabriquer une méningite cérébro-spinale à vouloir interpréter le titre et le sous-titre de l’œuvre hubyesque en pensant orbe, anneau de Moebius, voyage interstellaire. Tant qu’à faire le malin, autant se référer à Bertaud du Chazaud qui liste les synonymes d’ellipse : anacoluthe, aphérèse, apocope, brachylogie, laconisme, raccourci, syncope..... Pfff, mettre ça en musique, bonjour.

Une fois lancé l’ostinato au marimba dont personne ne peut nier l’accointance avec la musique répétitive, ces quinze nous projettent dans un univers sonore d’une homogénéité parfaite. Un bar lounge, des gens partout, une causerie multiple qui, entre boucles, cellules rythmiques et phrases jouées à l’unisson, se développe touzazimut et nécessite un temps d’accoutumance. Qui parle ? À qui ? De quoi ? Qui répond ? D’où ? Pour dire quoi ? Pour causer, ça cause.
Assez vite, trois instruments semblent ponctuer le débat : au centre le trombone et son timbre éclatant, à droite le piano et les claviers, à gauche le marimba. Entre les duos aux timbres rares voire surtaxés et le retour au band entier, les auditeurs ont fort à faire. Rien d’évident dans le déroulé du mouvement, pas d’aspérité pour s’accrocher et dire « yes, j’y suis », tantôt les cordes s’emparent du sujet, tantôt les souffleurs et parfois un mix des deux. Pas de ritournelle, pas de refrain, pas de structure aux poutres apparentes, rien que les motifs qui sous-tendent et là, même Steve Reich dirait ok boys.
Le second mouvement nous fait passer d’une image brillante à une image mate : son velouté, registre mezzo, la tessiture semble contenue sans aigus ou graves extrêmes, une bande passante étroite qui amortit le propos. Pas question de s’endormir, il se passe des choses imprévues, inattendues : une disruption rythmique, une conversation entre deux instruments aux timbres improbables : contrebasse et flûte, soprano et claviers, trombone et marimba. Les échanges ont pris un tour plus intime, personne ne fait le malin avec ses nœuds à l’âme. L’histoire est prenante, la tension permanente. Ne rien rater et en même temps se laisser aller à tout ce qui arrive.
Le troisième mouvement nous ramène dans la lumière, mouvement flamboyant, éclatant. C’est beau et prenant, prenant et beau.
Autant Reich fait dans l’hypnotique, la transe par petites secousses imperceptibles, autant Huby sature d’informations, oblige à une transe suractive, mène le cerveau au bout du bout de sa capacité à tout saisir jusqu’au lâcher-prise.
On pourrait espérer une conclusion fortissimo façon écoutez-comme-on-fait-sonner-nos-clous tatatsouinn-bing-band-vlaouf.
Non. Délicats jusque dans la chute, une ellipse peut-être.

Jeudi 15 mars 2018
Théâtre Victor Hugo
14, Avenue Victor Hugo
92220 Bagneux