Cent quarante huitième étape

Florian Demonsant

Il fallait avoir faim l’autre soir au Périscope car il nous était proposé un double plateau, en l’occurrence Tatanka (Emmanuelle Legros à la trompette, Guillaume Lavergne aux piano, Fender Rhodes et MS20, Corentin Quemener à la batterie) pour débuter la soirée et Pulcinella (Jean-Marc Serpin à la contrebasse, Pierre Pollet à la batterie, Ferdinand Doumerc aux saxophones et flûte, Florian Demonsant à l’accordéon) pour l’achever avec un zeste d’excentrique générosité. Les quatre musiciens polichinelles du quartet toulousain sont sur la route depuis plus d’une décennie et cela fut immédiatement palpable. Carrée et millimétrée dans la mise en place, foldingue et énergique par l’esprit, elle provoqua les zygomatiques d’un public satisfait par tant de joyeux dynamisme. Ancrés dans une tradition musicale (et théâtrale) explicite mais largement et fort intelligemment renouvelée dans l’approche, les quatre musiciens donnèrent à écouter des compositions aux couleurs festives faisant la nique à la morosité. Allez savoir pourquoi, malgré l’évidente qualité du quartet et la parfaite alchimie qui l’anima tout au long du set, nous n’adhérâmes que moyennement à leur musique. Serions-nous dépressifs à ce point ? Pas du tout. Nous sentîmes tout bonnement, en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, qu’un je-ne-sais-pas-vraiment-quoi et un presque-presque-trop titilla, excita, irrita, notre cortex cérébral, ou bien nos hémisphères, ou encore notre lobe pariétal, ou un autre bidule présent sous les crânes humains, mais pas forcément dans le sens où vous l’imaginez… Il arrive quelquefois que l’on reste à la porte sans pour autant avoir l’envie de passer par la fenêtre..

Emmanuelle Legros

Toujours est-il que nous fûmes beaucoup plus réceptifs au trio d’Emmanuelle Legros, qui débuta la soirée. Tatanka (bison, en langue Sioux), fit la part belle à l’espace, au grand espace, grâce à une fine gestion du matériau sonore que nous ressentîmes comme aérée. Point trop n’en faut. L’équilibre entre les membres du trio fut pertinent et le très beau son de la trompettiste et bugliste porta l’ensemble vers des contrées mélodiques très évocatrices. Si effets, électroniques ou pas, il y eut de-ci de-là, ils furent discrets et utiles au discours musical. Là encore, l’absence de surenchère fit mouche et la poésie traversant la musique du trio n’en fut que plus effective. N’allez pas croire cependant que ces trois-là firent dans l’éthéré planant. Oui, leurs mélodies originales étaient constamment sensibles et ciselées, mais elles furent également pleines de caractères, habitées, et résonnèrent en profondeur, bien assez pour que nous les suivissions sans faillir. Et puis à dire vrai, qui oserait imaginer que les bisons lakotas sont mièvres à part un gros connard de cowboy tea party républicain inculte abonné à TV Fox news ? Un Donald ? Aïe, là, ça commencerait presque à sentir mauvais. Tiens, un peu comme au Périscope où la chaleur estivale du samedi avait fait monter la température et les odeurs concomitantes en ce 5 mai 2018 qui ne fit pas dans la demi-mesure côté thermomètre et effluences discutables. Cela aurait été pour ainsi dire cocasse, ou burlesque, si nous avions su par avance que le 5 mai 1921 Coco Chanel avait lancé son N°5… C’est la même qui dit un jour « qu’une femme sans parfum était une femme sans avenir  ». Et bien laissez-nous affirmer qu’au Périscope, plusieurs hommes sans déodorant manquèrent de nous transformer en tueur de sang froid. Fort heureusement, le jazz de Tatanka nous avait apaisés et nous les en remercions.


Dans nos oreilles

Arild Andersen - Trio live 2016


Devant nos yeux

Susan Sontag - Sur la photographie