Quatrième équipée

Stephen Ulrich
Stephen Ulrich

« Quand il fait chaud, il fait chaud. On a envie de l’eau. » Ce n’est pas moi qui le chante, c’est Charlélie. Il y ajoute « des regards en transparence qui s’égarent sous les petites jupes légères », et « des gros qui mouillent leur col de chemisette  », et d’autres choses encore qui définissent à la perfection l’état caniculaire qui m’accabla en ce samedi 30 juin qui vit naître en 1925 le poète Philippe Jaccottet, ce qui en soi est lumineux. Notez également que ce jour, comme aujourd’hui un samedi, connut en 1973 la plus longue éclipse de soleil du vingtième siècle (sept minutes et quatre secondes). Et puisqu’il est question de contraste, parlons de Big Lazy. Le trio, constitué du guitariste Stephen Ulrich et de ses complices, à savoir le contrebassiste Andrew Hall et le batteur Yuval Lion, était à Lyon (tu vas à Lyon ?) sous les voûtes du Péristyle. Grand paresseux qu’il s’appelle. Ou gros feignant, c’est vous qui voyez. Cette affaire dure depuis un quart de siècle (malgré quelques modifications de personnel), c’est new-yorkais et c’est culte. Ce doit être la raison pour laquelle je n’en n’avais jamais entendu parler avant. Toujours est-il que je découvris l’autre samedi soir un trio doté d’une identité narrative multiple d’elle-même et sympathique à bien des égards. Bien qu’assis sur un fondement rock évident, il arriva cependant à ces trois musiciens qu’une timide fréquence jazz s’invitât sur leurs ondes musicales mais pas autant que le disent certains commentateurs. Ce fut en particulier dans le tableau de jeu du guitariste que cette chimie musicale affleura périodiquement de manière discrète. Stephen Ulrich, architecte de formation et à l’occasion scénariste et compositeur pour la télévision, sait élaborer des compositions picturales. Je le constatai avec un plaisir non feint. D’un morceau l’autre, les paysages défilèrent dans mes oreilles. Teintés d’Americana, façon fresque western (ouest terne) avec prisonnière du désert, ou de noirceur urbanisée vintage, genre Mike Hammer avait trop soif pour se souvenir par quelle bretelle de soutien-gorge sa migraine avait éclose, ils surent aussi évoquer la sueur qui, chacun le sait, change d’odeur en fonction du panorama qui l’entoure et de la hauteur atteinte par le thermomètre. Je vis aussi passer un rat des villes éperdu, à la manière d’un j’ai vu Tarantino faire son cinéma et autres broutilles éparses sur fond de crépuscule odorant, de linoléum et de sales draps. Il me sembla ouïr en outre un soupçon d’errement nocturne au fond d’un marécage louisianais, façon the lady is a swamp et autres connotations carnées (à la Marcelle ?). Bref, mes yeux furent emplis de visions successives invitant à leur table le passé du présent qui, de nos jours, semble avoir encore et toujours un bel avenir. J’appelle cela stagnation. Non pas que Big Lazy soit daté, entendons-nous bien. Simplement, le passé du présent et le futur du présent ne sont que l’émanation du présent du présent. A cette aune, le trio new-yorkais est évidemment actuel (qui en d’autres temps fut une revue). Mais être actuel ne signifie pas obligatoirement rester dans la mémoire, surtout quand on s’aperçoit que les souvenirs disparaissent plus souvent qu’à leur tour. Écouter (découvrir) ces trois-là, la rondeur très carrée du contrebassiste, le drumming rocky du batteur et les glissandos électriques du guitariste au son travaillé, me fit passer un bon moment. Il est néanmoins probable que je ne sache plus, un jour prochain, où il sera passé. Mais c’est le lot commun à toutes nos vies que d’effacer le plus gros de nos vécus (poil au). Et puisque tout trépasse, je note que le Péristyle, dans sa nouvelle formule, bien que plus agréable pour les musiciens avec un beau cadre de scène, m’a semblé moins insouciant qu’auparavant. Aussi, il est notable que la programmation ne permette plus vraiment aux artisans régionaux du jazz, toutes générations confondues, d’avoir une vitrine (bienvenue) comme ce fut le cas lors de la période postairienne qui vit la création réussie de cette manifestation estivale. Ils s’en remettront, j’espère, et l’Opéra Underground vaincra les réticences en élargissant l’offre et la palette musicales. Et là, en toute logique, le nouveau tôlier, qui ne manque a priori pas de curiosité, devrait à l’évidence programmer des formations en état de jazz avancé d’où qu’elles viennent ; le choix est vaste.

Enfin, je laissai là le temps au temps, le taon au taon, autant que faire se peut car il était déjà tard et, peut-être un peu big lazy sur ce coup, je rengainai la machine à pixels et allai enfourcher mon trolleybus. Dans les cahots du nocturne retour à la grotte, je m’aperçus que l’oubli débutait déjà son travail de sape. Y a-t-il un numéro atomique pour cette chimie-là ?


Dans nos oreilles

Michael Wollny Trio - Warturg


Devant nos yeux

Henri Baillière - La crise du livre


Le festival du péristyle