Jeudi 26 juillet, deux pointures internationales du jazz au programme :
Retour du Chick Corea Akoustik Band avec John Patitucci à la contrebasse et Dave Weckl à la batterie. Trois complices inactifs (dans ce trio mais pas inactifs chacun de leur côté !) depuis environ vingt ans qui ont eu la bonne idée de se retrouver pour sans doute une sortie prochaine de disque, l’ancien trio ayant enregistré trois disques entre 1989 et 1996 (dont deux albums live). Un triangle parfait particulièrement jouissif par sa jeunesse intacte et ses sourires, un art du trio piano basse batterie certes de facture « classique » mais d’une qualité telle qu’on lui pardonne cet aspect. Des compositions de Chick Corea (Morning Sprite écrit il y a plusieurs années pour ce trio d’ailleurs, Japanese Waltz), mais aussi des reprises de That Old Feeling, et d’ In a Sentimental Mood de Duke Ellington, un voyage entre bebop, jazzrock, latin jazz et même musique classique avec La Pastorale de Scarlatti qui précédera.You and The Night and The Music terminé avec un solo de batterie époustouflant. Le public marseillais est très connaisseur et mélomane, le pianiste lance des phrasés sur Spain de plus en plus complexes repris impeccablement ce qui émoustille le maître : un très joli moment. On se souvient avec émotion d’Al Jarreau chantant sur Spain en fin de concert au même endroit en 2010 accompagné par le même Chick Corea ! De même que l’écoute attentive du pianiste et de John Patitucci sur le solo magistral de Dave Weckl fut remarquable. Un concert de haute volée dont chacun semblera satisfait.
Un lien pour écouter le concert en entier au festival de Jazz de San Sebastián :
https://www.youtube.com/watch?v=H-gA2pYa_N4
En seconde partie de soirée nous accueillons le quintet de Roy Hargrove. Apparu dans le sillage de Wynton Marsalis, ce trompettiste américain s’est vite imposé comme un musicien majeur de sa génération ouvert à toutes les expériences musicales. Déjà venu au Festival des Cinq Continents en 2009 avec le RH Factor qui était plutôt dans le genre afro-cubain et dans la fusion jazz, soul, blues et hip hop, c’est en quintet acoustique plus classique teinté de groove qu’il revient ce soir à son héritage hard bop. Avec lui il y a Justin Robinson (Flute, Saxophone alto), Ameen Saleem (Contrebasse), Quincy Phillips (Batterie) et Tadataka Unno (Piano). Costume blanc impeccable et lunettes orange, Roy Hargrove mène mine de rien son quintet d’une main de fer, s’éloigne pour laisser le chorus d’un de ses musiciens se développer, semble se concentrer sur un tabouret, chaloupe en rythme ou prend le micro pour réintroduire un peu de hip hop. Beaucoup de standards interprétés avec bonheur par des musiciens hors-pair, faisant penser un peu au premier quintet de Miles Davis ou aux dernières formations de Chet Baker. Les improvisations de son complice Justin Robinson font vibrer le public. Le pianiste plus récemment membre du quintet est brillant et la rythmique impeccablement tenue par la contrebasse à casquette d’Ameen Saleem et l’éclatante batterie de Quincy Phillips. Un régal qui termina bien la soirée de ce 26 juillet.
Un lien pour écouter le concert à Jazz En Tête à Clermont-Ferrand :
https://www.youtube.com/watch?v=vxWj0uCcQrI
Vendredi 27 juillet, belle et longue soirée de lune rousse de surcroît ! Et ça commence très fort avec le trio marseillais ONEFOOT dont les membres (Yessaï Karapetian aux piano et clavier, Marc Karapetian à la basse et Matthieu Font à la batterie) ont fréquenté et rêvé si souvent d’être sur cette grande scène des Cinq Continents ! C’est donc leur premier concert dans ce lieu et leurs yeux brillent de joie ! Un apéritif corsé pour débuter avec un trio piano basse batterie qui n’a rien de classique. Adoubé par Tigran Hamasyan et Erik Truffaz le trio gravit les échelons depuis le Conservatoire, en passant par le Rezzo Focal Jazz à Vienne en 2016, le Mucem en juillet 2016 et Jazz sur la Ville en 2017 pour arriver sur la grande scène avec leur premier opus en poche « Mektonized » un onze titres signé chez Mad Chaman... le label d’André Manoukian. Soutenu par tous leurs fans marseillais, leur musique détonne par un mixage de jazz, de pop et de techno. Il y a aussi du dub step dans Onefoot, un rythme né dans les années 90 au sud de Londres. Un mélange des genres bien digéré qui ne manque pas d’élégance. Il faut dire que ces trois jeunes musiciens d’origine arménienne ont un cursus sans faute et ont montré un talent éclatant avec une musique presque mystique teintée de leurs racines. Bref une musique mutante bien de son époque.
Un lien pour écouter le disque Mektonized : https://www.youtube.com/watch?v=wREPZZWqWJg
En seconde partie, un duo très attendu, celui d’un pionnier de la musique électronique Jeff Mills et d’un non moins explorateur insatiable du saxophone, j’ai nommé Emile Parisien pour un temps très fort de cette soirée du 27 juillet. Leur rencontre date de 2016 dans le cadre d’un projet « Variations », nouvelle collection initiée par Sourdoreille, La Compagnie des Indes et Culturebox à partir de compositions de musiciens eux-mêmes grands explorateurs. John Coltrane les a fédérés tous les deux pour ce premier épisode. Emile Parisien avait déjà fait un tabac l’an dernier dans son hommage à Joe Zawinul. Ce soir, il renouvelle une fois de plus son registre avec presque 50 minutes de pépites autour de Giant Step, Naima ou My Funny Valentine pour commencer. Et le tout sous un phénomène unique, une éclipse totale de lune, la plus longue de ce siècle. Elle est visible à travers les grands arbres du parc avec en parallèle la planète Mars qui sera à l’apogée de son éclat pour cette année avec une belle couleur rouge-orangée. Et c’est un moment d’autant plus remarquable que l’on sait la connection particulière du DJ pour les planètes (il a sorti en 2017 un album intitulé Planets, reprise d’un monument du classique The Planets de Gustav Holst ). On reconnait d’ailleurs certains accents de son disque comme Mercury. "Je crois que lorsque l’on combine le meilleur de ces deux genres, jazz et musiques électroniques, on obtient une combinaison réellement… superbe". Voilà ce que dit Jeff Mills et il a tout à fait raison avec une dimension spirituelle, surtout ce soir, particulièrement palpable et très hypnotique. Coltrane a dû apprécier de là-haut !
Un lien pour écouter tout le concert : https://www.arte.tv/de/videos/083410-002-A/jeff-mills-und-emile-parisien/
Troisième partie de soirée, voilà le trio anglais GoGo Penguin vers lequel se précipite la foule. Et pourtant ce n’est pas la sympathie avec elle qui les étouffe. Plus glaciaux qu’eux, c’est impossible, aucun sourire, aucun affect ne semble les traverser et ils finiront leur concert sans venir saluer. Se donnent-ils un genre, je l’ignore, mais l’échange est nul. Il vaut mieux écouter leurs disques que d’aller les écouter en concert, croyez-moi ! Donc, les (trop) sérieux Chris Illingworth au piano, Rob Turner à la batterie et Nick Blacka à la contrebasse ont déroulé en autistes leur dernier disque A Humdrum Star sorti chez Blue Note. La polémique ne date pas d’aujourd’hui à leur sujet. Musique hyper simple en apparence, répétitive et lancinante, quasi hypnotique, on part en transe où on s’endort d’ennui presque comme moi. Bon, dans le même style mais bien plus riche, je retourne écouter E.S.T., Tingvall Trio ou The Bad Plus !
Un lien pour écouter le concert à la Villette et vous faire une idée : https://www.youtube.com/watch?v=x7LmhOEnIs4
Enfin en quatrième partie de soirée, arrivent les très attendus Cory Henry & The Funk Apostles. Je suis devenue fan de Cory Henry après l’avoir entendu avec les Snarky Puppy, groupe de jazz fusion basé à Brooklyn, où cet organiste est resté fort longtemps actif depuis 2012. Jouant très souvent en public lors des enregistrements, il exerce une présence très forte. Il s’est éloigné des Snarky Puppy pour enregistrer un disque formidable en 2014 avec seulement un batteur, The Revival et actuellement, il tourne beaucoup dans le groupe des Funk Apostles. Avec lui, on trouve Nick Simrad aux claviers, Adam Agati à la guitare, Sharay Reed à la basse, Brenton Taron Locket à la batterie, Denise Stoudmire et Tiffany Stevenson au chant. Une équipe de choc ! Le premier album enregistré est sorti le 13 juillet de cette année : « Chapter 1 : The Art of Love », un bijou créatif poli avec soin par ce virtuose de l’orgue. Cory Henry passe du siège de sideman à celui de leader, ce sans effort et avec grâce. Il fait monter une sauce enivrante, de laquelle se dégage des vapeurs de blues, soul, R&B, Afrobeat, gospel et jazz. Le groupe offre à l’auditeur un enregistrement qui brouille les pistes, ne s’installant dans aucun genre, préférant nous perdre et nous surprendre. A la fois futuriste et rétro, expérimental et classique, le son de Cory Henry signe l’œuvre d’un des esprits les plus inventifs de la musique moderne.
Ecoutez Cory Henry dans Lingus sur Youtube et vous ne pourrez être qu’enthousiasmé par son talent et son charisme : https://www.youtube.com/watch?v=L_XJ_s5IsQc
Lien vers les Funk Apostles à Marciac : https://www.youtube.com/watch?v=4u9J0NwR_8E
Pour en savoir plus sur Marseille Jazz des Cinq Continents : https://www.marseillejazz.com/