Vingt-et-uniième équipée

Le 11e jour du mois de frimaire dans le calendrier républicain français, très officiellement dénommé « jour de la cire », il me fut commode de déplacer ma carcasse ferrailleuse jusqu’au Bémol 5 pour découvrir en concert Loïs Le Van. Après tout, les chanteurs de jazz ne sont pas légion et sous ma visière, j’étais intrigué. Pour un 1er décembre où l’ombre des orgies noëllesques s’apprêtait déjà à étouffer de sa lourdeur les joies d’une très hypothétique nativité, la confiance m’accompagna cependant sur le chemin du club. Quant à la satisfaction auditive escomptée, il me semblait alors qu’avec Romain Baret à la guitare, Michel Molines à la contrebasse, Roland Merlinc à la batterie et en invités Gregory Sallet au saxophone et Bruno Ruder au piano, cela devrait bien le faire, comme on dit de nos jours. L’objet musical de la soirée, Loïs Le Van le présenta comme un projet tout nouveau où son talent vocal ne s’exprimerait qu’en langue de Molière. Et pourquoi pas, me dis-je ? Après l’écoute du premier set, je décidai de ne pas perdurer dans les environs car, dans mes oreilles, la bande son proposée me parut plus que nouvelle, encore trop proche de l’absolue verdeur, et nécessitant encore de la maturation. Dommage.

Après ce relatif échec, je me tournai vers le Périscope où, c’était un mercredi 05 décembre, Les Démons de Tosca s’annonçaient. Pas à minuit, mais aux environs de 21 h 00, autant dire presque à mi-nuit. Mais n’est-ce pas là, précisément entre chien et loup, que les démons se réveillent ? Ils allaient donc apparaître, mis en musique par Vincent Courtois avec Robin Fincker et Julian Sartorius. Je fus étonné de ne voir débarquer au premier set que le batteur bernois. Berné le fus-je ? Que nenni. L’hirsute helvète, sitôt installé derrière ses fûts et entouré d’objets en tout genre, me fit comprendre qu’il n’était pas seul dans sa tête et les constructions rythmiques qu’il édifia en témoignèrent. Enfantées comme autant de satellites indépendants, les lignes sonores qu’il entremêla fusionnèrent en un agrégat dramaturgique protéiforme suffisamment mouvant et arachnéen pour donner du fil à retordre à mes sens interrogatifs. Je ne demandai néanmoins pas au temps s’il passait. C’est un signe. Et sans doute était-ce un opéra ou son essence figurée en traits multiples par l’imaginaire de ce drôle de larron que je fus fort aise de découvrir à cette occasion.

Après l’entracte, l’entre actes, les trois se réunirent pour donner leur vision de la Tosca puccinienne. Floria, pour les intimes était, soit-dit en passant, une sacrée emmerdeuse. Et c’est en définitive sa jalousie maladive qui la poussa au suicide, vu qu’elle avait tué l’autre et que l’autre autre était mort et que l’autre aussi. Bref, du début à la fin, quelques humains, benêts ou vicieux, s’affrontent, comme c’est étonnant, sur fond de guerres napoléoniennes et Puccini fit de la pièce de Victorien Sardou un classique du répertoire lyrique. A la sauce Courtois, restons poli, c’est un exercice périlleux où le danger guette les instrumentistes qui voudraient s’en tenir à la partition. Ceux-là, s’ils ne donnent pas, ils finissent en enfer avec la Tosca et les autres. Il ne faut pas tenter l’archet patenté. En un mot comme en quinze, ce fut engagé et talentueux à l’excès. L’interaction fut visible à l’œil nu et le lyrisme vint chauffer les rangs du Périscope avec bonheur. Les trois creusèrent dans les abysses humains à la pêche à l’écho de nos faiblesses qu’ils transmuèrent en un chemin musical nourri au sel de la vie. Ce fut conséquemment relevé, intense et comme toujours avec le violoncelliste aussi maîtrisé que libre. Et puisque je parle de liberté, sachez que le 5 décembre 1839 vit la naissance de George Armstrong Custer. En 1876, le lascar eut l’idée d’attaquer les sioux et les cheyennes réunis par Sitting Bull à proximité de Little Big Horn durant les guerres indiennes. Pas de bol, ils étaient trois fois plus nombreux. Il prit une pâtée conséquente et y laissa sa peau, bien tâchée de rouge. Quel con. Il ne faut pas embêter les libres archers patentés car ce n’est pas courtois. N’est-ce pas ?


Dans nos oreilles

Sonic Youth
- Rather ripped


Devant nos yeux

Svetlana Alexievitch
- La guerre n’a pas un visage de femme