Vingt-troisième équipée

Celui qui pérambule, par définition, va là où le destin le mène. Quels que soient son humeur et ses désirs, il est le jouet des circonstances. En lui, un soupçon d’irrationnel l’anime dont il ignore peu ou prou les motivations, ce qu’à l’évidence il aime. Sinon, pourquoi errer d’un club à l’autre, inconnu ou non, et se livrer sans retenue à la découverte musicale ? Aksham, me susurra l’autre jour l’éclat de la pleine lune naissante. Parfait me dis-je, c’est au Chorus. Prends l’autoroute par la main et vas voir si la neige qui ce matin avait surgi… afin de se défaire d’une idée fixe et se faire à l’idée qu’un nom de groupe pareil cache une musique assez atypique pour être auditivement bien accueillie.

Ce 26 janvier 2019, si l’on se souvint que l’ultra romantique Achim von Arnim en fit son jour de naissance, en 1781, il me parut probable qu’il resterait dans les annales de la musique par la disparition de l’électrique Michel Legrand sur lequel les années au long cours ne semblaient pas avoir de prise… Mais sur la scène du club lausannois, c’était bien Elina Duni, Marc Perrenoud, David Enhco, Florent Nisse et Fred Pasqua qui constituaient Aksham (crépuscule en turc) et la musique, issue du métissage de leurs personnalités respectives, s’avéra singulière et propice à l’envoûtement de l’auditoire qui avait copieusement bouché chaque centimètre carré du club. Dans ce quintet où seul le batteur ne compose pas, l’approche musicale fut bien celle d’un groupe qui avait laissé les égos au vestiaire. Ainsi, ils privilégièrent le lyrisme sans emphase, la justesse et l’écoute afin d’élaborer un royaume mélodique sans ambigüité mais pas sans nuance. Sur des textes d’Elina Duni, du sieur Verlaine et de l’irlandais voyageur James Joyce, Aksham, fort éloigné des formations acratopèges qui sont légion, fit parler une forme inhabituelle de tranchante douceur. Se mêlèrent donc au gré des morceaux des atmosphères empreintes de quiétude ou animées par une pulsion chaleureuse qui laissèrent en toute occasion à chaque musicien son droit de contributeur éclairé et inspiré. Soutenus par une batterie clairvoyante et une contrebasse lumineuse, la trompette, le piano et la voix eurent tout loisir de développer un chant fécond marqué par une haute tenue musicale et un sens de l’improvisation particulièrement aiguisé. Chaque pièce des deux sets fut un monde en soi qui convainquit le public du bien fondé de cette fraternité musicale au sein de laquelle chaque individualité exprima son idée de la création et la nécessité de la rencontre et du partage mélodiques seuls capable de sublimer un ensemble ancré dans l’itinérance humaine et géographique. Des intimités chuchotées jusqu’aux lointains venteux, Aksham mêla les harmonies et leurs couleurs avec une habileté confondante et marqua durablement votre serviteur. Il ne m’en fallut pas plus pour être satisfait et regagner mes pénates à l’aube d’un 27 janvier qui vit apparaître sur la terre en 1879 Beatrice Hastings, née Emily Alice Haigh, amie de Max Jacob, amante de Modigliani puis de Radiguet. L’italien junky précité fit d’elle dans les années 1915-1916, quelques portraits à mes yeux fascinants.


Dans nos oreilles

Lucinda Williams - This old sweet world


Devant nos yeux

D.H. Lawrence - Lettres à Katherine Mansfield & J.M. Murry


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