Improviser, c’est la vie

Quel spectateur d’un concert dédié à la musique improvisée n’est jamais sorti en se disant : « Quel ennui !! quel tristesse !! Personne pour semer des pistes ou prendre la main, des trucs entendus cent fois, qui mettent à mal l’idée même de musique improvisée : un objet qui tombe dans la salle et le bassiste fait tomber son archet, une sirène de police dans la rue qui trouve son écho dans une citation homothétique, et tous ces petits gratouillis percussifs hérités du courant bruitiste ». Bon, diront les musiciens, il faut être prêt à tout accepter dans cette forme de musique, le pire et le moins bon. Et bien non. Prêt à accepter le meilleur, l’exigeant, l’inouï, oui. Ce soir, dans la salle Iannis-Xénakis du Conservatoire d’Evry-Courcouronnes (en un seul mot depuis que les deux villes ont décidé de copuler officiellement ), rien de ces préventions, craintes ou tristes expectatives. Mais un moment d’une folle intensité, un moment qui remplace à-l’aise-Blaise l’écoute en podcast du débat des intellectuels à l’Élysée. Cinq cadors clôturent la semaine Les impulsives impulsée par Impulsion, collectif d’artistes allumés et réalisée avec le réseau des conservatoires 91 Grand Paris Sud et l’Université Evry Paris Saclay. Avec deux master classes publiques Impro avec électroacoustique avec, excusez du peu : Hélène Labarrière et sa contrebasse, Louis Sclavis et ses clarinettes sans oublier Nicolas Vérin.
Nous avons un scénario, dira Guillaume Roy en introduction, et nous sommes libres à chaque instant de faire ce qui nous plaît.
Foutre palsembleu que diable : libres de s’affranchir des contraintes.
Outre Guillaume Roy au violon alto, le quintet comprend Hélène Labarrière à la contrebasse, Louis Sclavis aux clarinettes, Pierre Tereygeol à la guitare et Nicolas Vérin électroacoustique.
Le scénario annoncé ressemble à une alternance du format : tous ensemble puis à deux-instru-électroacoustique- et en trio acoustique Roy-Labarrière-Sclavis.
L’ouverture pour nous accoutumer l’oreille à cette manière de jouer de la musique fait dans le planant, nappes, sons étirés, l’électroacoustique jouant et se jouant des productions de l’une ou de l’autre, étirant, ajoutant, déformant bref ; usant sans vergogne de l’œuvre des petits copains.
Les duos sont à tomber par terre : le frottis furieux de l’alto avec les bidouilles non moins frottantes derrière, la contrebasse suivie comme son ombre par Vérin qui ajoute instantanément les petites choses qui vont bien, la guitare et l’électro, comme un solo magnifié dont on sait plus qui joue quoi, clarinette et électro : somptueux émotionnant, pas moins. Avec chacun, Vérin détourne, contourne, retourne, ristourne, détoure, entoure, se joue de la forme et du fond, glisse ici une minuscule déviation, ajoute là un écho ricanant, repérer sa présence demande une attention incessante.
À retenir le trio acoustique Roy-Labarrière-Sclavis : ce dernier envoie une petite phrase toute simple, mélodique, reprise détournée par Roy puis délivrée à la contrebasse-là déjà, on est attrapé tant ça sonne beau- avant qu’ils ne s’y mettent ensemble. C’est d’une exigence absolue, un bijou qui naît de lui-même au milieu d’eux.
Quand ils jouent à cinq, of course, ils se tapent les questions habituelles : j’insiste sur mon idée ou je rejoins celle de machin ? Il se passe quoi maintenant, je relance ou j’attends ? Et c’est quand qu’on termine avec l’autre qui relance la machine que pour moi c’était plié ?
La pièce 5, en quintet, a tout l’air d’une musique pour Barbe Bleue ( la salle interdite et après ) qui serait passée par un épisode de machinerie folle façon Les temps modernes, par l’IRCAM pour son côté électro appuyé avant de raconter le drame. Ils commencent en mode percussif ( le slap de la clarinette ) et terminent à l’identique. Magnifique, superbe, ça laisse sans voix.
Le dernier morceau, en quintet aussi, se déploie dans une tension incroyable : que va-t-il se passer ? On croit que c’est fini mais non, Tereygeol a encore un truc à dire qui relance Labarrière qui relance tout le monde. Magnifique.
Ils créent une musique à usage unique et écologique : aucun déchet à recycler, de l’éphémère qui résonne longtemps. Une leçon d’esthétique.

Jeudi 20 mars 2019


Salle Iannis-Xénakis
Conservatoire à rayonnement départemental
91000 Evry-Courcouronnes