Trentième équipée

Peter Blegvad est depuis toujours underground et l’autre soir, il était à l’opéra idoine. Avec Bob Drake, Karen Mantler, John Greaves et Chris Cutler, eux aussi spécialistes incontestés du décalage décalé et plus si affinité, il œuvra dans la bonne humeur avec un public clairsemé mais complice. La musique du quintet tailla les contours d’une philosophie irrévérencieuse utilisant l’art et le quotidien qui fonctionne idéalement si on peut la boire au comptoir ou la fumer perdu dans sofa sans âge quand le jour est mort depuis plus longtemps qu’il ne faudrait. De l’embryon de Lord Byron au siège du conducteur, en passant par le petit ami de miss Mantler ou Sven le viking multiple de sept, le londonien d’adoption ne manqua de se montrer à l’aise dans cet univers construit par ses soins durant les décennies passées. Moins expérimentaux que par le passé, lui et ses vieux potes la jouèrent plutôt pop. Pas la basique trop polie pour être honnête, non… l’autre. Celle qui dont on ne sait jamais par quel bout l’entendre. A l’instant I, ce fut lyrique comme un vieux Genesis (à peine ampoulé genre Nursery crime), la seconde suivante on crut qu’il piqua un plan à Roy Orbison. A la troisième, il bluesifèra à la Stones et plus loin il tricota avec un soupçon de punkitude. Toujours il décala, savamment mais pas trop ; drôle de tableau musical à vrai dire où l’autobus à impériale sembla rouler sous les palmiers d’Ocean boulevard (les bas-fonds sont partout identiques). Il ne manquerait plus qu’ils se prennent au sérieux (laughin’ out loud). Et moi, à force d’ouïr en file indienne ses chansons pas très nettes, je finis par ne plus savoir si Blegvad le Peter pillait allègrement toute la musique pop de la création ou si cette dernière s’était inspiré de son petit génie. Quoi qu’il en fût (de bière) Cutler brassa de l’air et des peaux avec ses baguettes, Greaves rehaussa mélodiquement une basse minimale, Drake fit le show old fashioned tutti frutti pantoufle et patchouli tandis que l’élégante Karen Mantler s’adonnait, imperturbablement minimaliste, à l’orgue, à l’harmonica et au glockenspiel, afin de ne pas froisser son immarcescible coiffure, façon mummy Bley eighties. Je notai au passage que lorsqu’elle interpréta la composition de son crû (chanson avec un amant mari et père de famille), je retrouvai là encore l’influence musicale majeure de sa chère maman. Je songeai, brutalement, qu’un mimétisme filial de cet acabit, intérieur/extérieur, ce serait pain bénit, ou un défi, pour un psychanalyste audacieux et affûté. Broderie mise à part, je ne m’ennuyai pas car ces cinq-là balancèrent de la joie de vivre comme une petite vieille donne du pain dur aux pigeons : pour faire plaisir sans arrière pensée aucune. C’était leur première scène ensemble et ce fut une réussite dont chacun dans le public se demanda si elle était premier degré ou non. Mais n’est-ce pas là l’art du second degré ? Le kitsch, est-il dans le noyau ou dans la cerise ? Et tout de suite la question récurrente des lecteurs jazzophiles ressurgit (schplonk…) : et le jazz dans tout cela, où était-il ? Nulle part et partout braves gens, comme d’habitude. Mettez-le où cela vous sied, il vit en liberté et ne s’invite que par surprise pour dégommer la gamme et défriser les chauves. En ce cinq avril, à la sainte Irène, dans l’Opéra Underground, je fus ravi de ma soirée. Et comme le dit la sagesse populaire : « le cinq avril, le coucou chante, mort ou vif. » Si ce dicton vous pose question, sait-on jamais, envoyez vos dissertations à la rédaction (on doit changer la tapisserie des toilettes).


Dans nos oreilles

Yo la tengo - Fakebook


Devant nos yeux

Pascal Quignard - Dans ce jardin qu’on aimait


https://www.opera-lyon.com/fr/programmation/opera-underground