Quarante-quatrième équipée

Là où j’étais la semaine dernière, dans un festival ( ?), le Crescent Jazz Festival, je fus paisible, prompt à capter l’événement, et repu de jazz de qualité. Comme à l’habitude, les festivités débutèrent avec la formation du cru (Eric Prost au saxophone ténor, Baptiste Poulin au saxophone alto, Christophe Metra à la trompette, Christian Brun à la guitare, Romain Nassini au piano, Greg Theveniau à la basse, Stéphane Foucher à la batterie) qui livrèrent quelques compositions originales. Une longue suite en ouverture et d’autres morceaux me donnèrent à penser que la cohésion du groupe était une bonne chose. Néanmoins, je fus moins séduit qu’à l’accoutumée par ce set. Allez savoir pourquoi. Vint ensuite l’inconnu de la soirée : le sexagénaire américain Walt Weiskopf au saxophone, accompagné par sa formation européenne constituée de Carl Winther au piano, d’Andreas Lang à la contrebasse et d’Anders Mogensen à la batterie, tous trois étant danois. Improvisateur torrentueux, il fit montre d’un vocabulaire étendu et parfaitement contemporain. Tout l’intérêt du set résida dans le fait qu’il mit sa science au service d’un univers post hard bop qui me rappela furieusement les grands quartets des années soixante lorsque les sets se transformaient en batailles entre musiciens, joyeux et festifs, qui ruaient inlassablement dans les brancards à la recherche de ces notes mythiques qui hérissent le poil des auditeurs autant que des musiciens. Doté de deux infatigables poumons, le saxophoniste, enrôlé à vingt-et-un ans dans le Buddy Rich big band, fit parler la poudre dès le premier titre, soutenu par un trio qui avait tout d’une machine à swing guerrier. Avec un batteur éruptif, un contrebassiste fluide et mélodique, dans la grande tradition danoise, et un pianiste harmonieusement inspiré, il dynamita sans vergogne la scène, le public, la Saône qui en frissonna d’aise et votre serviteur qui songea dans un éclair de lucidité que tout est toujours possible. Bourré d’inventivité, avec une présence forte, Walt Weiskopf sut cependant laisser de l’espace à ses collègues qui ne se firent pas prier pour en remettre quelques louches avec le savoir-faire adéquat. Impétueusement précis, le quartet offrit au final un concert techniquement tiré au cordeau, mais pas dénué de chair et de sueur, chargé d’une saine énergie comme on n’en voit plus guère par ces temps qui trottinent dans les marigots du correctement correct sans jamais éclabousser personne. A part cela, cette soirée eut lieu un 18 juillet, jour qui vit en 1635 Robert Hooke décrire pour la toute première fois une cellule biologique. Ah ben ça alors… j’en suis tout chamboulé.

Je pensais encore à cette fameuse cellule biologique le lendemain, au même endroit, en écoutant la première partie de soirée, à savoir le quartet nommé House of echo. Constitué du pianiste Enzo Carniel, du guitariste Marc-Antoine Perrio, du contrebassiste Simon Tailleu et du batteur Ariel Tessier, ce quartet d’aventuriers s’en prit aux timbres, aux textures et définit des formes musicales évocatrices ayant le désir de malmener le temps dans sa durée, entre contraction et étirement. Des histoires à forte dose d’improvisation en naquirent et déclinèrent des fantaisies fluctuantes aux atmosphères polymorphes et non exemptes d’un doux lunatisme. Plutôt organique, façon transît interne (ou cellule biologique), le déroulement narratif laissa filtrer ici et là quelques clairières propices à la fugue et à son art, dont on sait tous qu’il se traverse en Bach, nourrie de belles architectures mélodiques aux contours sonores assez atypiques, entre bruitisme pacifique et lyrisme suspendu. Ce fut plutôt convaincant selon moi, mais le public sembla plus circonspect qu’il n’eut fallu l’être à l’écoute de cette musique notablement originale.

Je ne pensais plus du tout à Robert Hooke quand le quintet du batteur Fabrice Moreau investit la scène du festival. Avec le saxophoniste Ricardo Izquierdo, Nelson Veras à la guitare, Jozef Dumoulin au piano, Matyas Szandai à la contrebasse, il offrit au public une musique aux structures assez minimalistes et contemporaines dans laquelle je peinai à entrer. Ni les compositions, ni les musiciens ne furent en cause pour le coup. C’est juste votre serviteur qui ne réussit pas la connexion. C’était un 19 juillet et le dicton du jour affirmant « à la Saint-Arsène mets au sec tes graines », j’agis promptement dès mon retour au bercail. On ne sait jamais.


Dans nos oreilles

George Garzone / Peter Erskine / Alan Pasqua / Darek Oles - 3 Nights in L.A.


Devant nos yeux

Amos Oz - Seule la mer


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